Ivan LAVALLÉE
&
RÉVOLUTION SOCIALE
_Essais scientifiques_
Le Temps des Cerises
Ivan LAVALLÉE
CYBER RÉVOLUTION ET
RÉVOLUTION SOCIALE
Le Temps des Cerises
Table des matières
Hommage
Adresse
Remerciements
Préface de l’édition originelle 30
Préface par Jean-François Bolzinger 33
Première partie : Forces productives, travail 43
Chapitre 2 : Forces productives, système technique,
2.1 Des étapes dans l’hominisation 44
2.1.2 Des mécanismes et des machines 45
2.1.3 La maîtrise de l’énergie 46
2.1.4 La maîtrise du calcul, la révolution numérique 47
2.2.1 Comprendre une société 52
2.3 Outils et forces productives 53
2.3.1 L’outil, la technique 53
2.4.1 Système technique global 57
2.4.1.1 Système en évolution 60
2.4.2 Le concept de force productive 63
2.4.2.1 Probablement approximativement correct 64
2.5 Le travail
2.6 Types et qualités des forces productives
2.6.1 Vers un nouveau système technique ?
Chapitre 3 : Regard sur une histoire récente
3.1 Les tentatives de dépassement
3.2 La dictature des forces productives
3.3 Quelles conséquences ?
3.3.1 Une citadelle assiégée
3.3.2 La mobilisation du capital
3.3.3 La coopération industrielle avec l’Allemagne
3.3.3.1 Payer le prix
3.3.3.2 Une dérive dramatique
3.3.3.3 Une vision mécaniste et stérilisante
3.4 Quelles forces productives ?
3.4.1 Le poids de l’histoire
3.4.2 Le souvenir de la répression
3.4.3 La contradiction
3.4.4 Le rôle de la technologie militaire
3.5 Le printemps avorté
3.5.1 La guerre perdue
3.5.2 La confusion
3.5.3 L’organisation force productive
3.6 Le front de classe au vingt et unième siècle
3.6.1 La tragédie
Chapitre 4 : La rupture épistémologique 94
4.1 Ça bouge dans les sciences 94
4.1.1 La science au secours de la technique 95
4.2.1 Quand la mathématique pure saisit le monde réel 99
4.4.1 Transistron et transistor 105
4.4.2 Seconde phase, information et codage 105
4.4.2.1 L’émergence de l’information
4.4.3 Cybernétique, naissance et développement 108
4.4.4 Révision des concepts 111
Chapitre 5 : La société se transforme 113
5.0.1 La planification socialiste, la guerre 114
5.0.1.1 L’informatique, Les ordinateurs 115
5.1 Les ordinateurs arrivent à maturité 116
5.1.1 L’essor de l’industrie logicielle
et de la micro-informatique 118
5.2.2 Produire et consommer 131
5.2.3 Révolution informationnelle ? 137
5.2.3.1 Un biais conceptuel 139
5.3.1 Une profonde modification du monde du travail 148
5.3.2 La modification à venir du monde du travail 149
5.3.3 La Cyber révolution vue par le capital 153
5.3.3.1 Et pourtant, des perspectives 154
Chapitre 6 : Mais où est passée la Classe Ouvrière ? 158
6.2 Prolétariat et classe ouvrière 161
6.2.1 Lutte des classes et dictature du prolétariat 161
6.2.1.1 La révolte vient de loin 164
6.2.2 L’émergence de la classe ouvrière 166
6.3 Une classe en mutation 168
6.4 Quel monde du travail ? 169
6.4.1 Matériel et immatériel 172
6.4.2 Quels acteurs aujourd’hui ? 174
6.4.3 Le tissu change, pas le capitalisme 176
6.4.5 L’entreprise sans usine 178
6.4.6 Quel capital productif ? 179
6.4.7 Quand les jeunes pousses vieillissent,
6.4.8 Une nouvelle organisation sociale 181
Deuxième partie : La Révolution Cybernétique 183
Chapitre 7 : La révolution numérique 184
7.1 La révolution numérique 185
7.2 La simulation numérique outil industriel 186
7.3 Des outils conceptuels renouvelés 188
7.4 La simulation numérique se démocratise 189
7.5 Du médicament au jeu vidéo 190
7.6 Un capitalisme cognitif et consumériste 192
7.6.1 L’information devient la marchandise dominante 194
7.8 Le crépuscule de l’homme aux écus ? 196
7.9 Aux origines de la révolution numérique,
Chapitre 8 : Cybernétique et Informatique 203
8.1.1 La Cybernétique, origine, enjeux 205
8.1.2 L’informatique moteur de la Cyber-révolution 207
8.1.3 Des outils pour calculer 208
8.2 Le concept de machine de Turing 210
8.2.1 Le principe sur un exemple, l’addition 212
8.2.2 Descriptif du fonctionnement 213
8.2.3 La Machine de Turing Universelle, MTU 214
8.3 Une Révolution Technologique 215
8.3.1 Une activité qualitativement nouvelle 216
8.4 L’« intelligence » artificielle 217
Intelligence artificielle, de quoi parle-t-on ? 218
8.5
8.5.1 Apprentissage automatique 219
8.5.2 Les jeux d’échecs, alphaGo, alphaZéro,
8.5.3 L’intelligence humaine 222
8.6 L’informatique, domaine stratégique 223
Chapitre 9 : Cyber guerre US 225
9.2.1 L’essence de la stratégie US de domination mondiale 227
9.3 L’impact sur les entreprises 231
9.4 L’impact sur le statut de la création 232
9.4.1 Droit d’auteur et création 233
9.4.2 Des produits, des œuvres d’art 233
9.5 Un enjeu idéologique majeur 235
9.5.1 La faiblesse d’Internet 236
9.6 Dominer le monde à tout prix 236
9.6.1 Du rapport à l’information 237
9.6.3 Des pratiques et systèmes de santé 240
9.7 De l’organisation de la production 241
9.7.1 De la nature du commerce 242
9.7.2 Conception et production assistées 243
9.7.3 L’activité de recherche 244
9.7.4 Le caractère stratégique de la recherche 246
9.7.5 Appréhension de l’environnement 248
9.7.6 Des enjeux de deux types 248
9.7.7 Gouvernement et administration publique 249
9.7.8 Et le citoyen dans tout cela ? 250
9.7.9 Les réseaux actuels ne sont pas fiables 252
Chapitre 10 : L’organisation du capital 259
10.1.2.1 Le capital comme rapport social 262
10.2 Les différentes phases de l’organisation capitaliste 265
10.2.1 L’entreprise des propriétaires 266
10.2.2 La hiérarchie, les chefs, petits et grands 268
10.2.4 Le temps des réseaux 278
Chapitre 11 : Questions non exhaustives 283
11.1 Sur l’organisation induite 283
11.2 Le droit du plus fort 285
11.3 Et le capital financier ? 287
11.3.2 Le capital produirait de la valeur ? 288
11.3.2.1 Un dilemme, faire du profit sans produire 289
11.3.3 La schizophrénie du capital matériel 290
11.3.3.1 L’entreprise sans salarié 291
11.3.4 Renforcement du caractère abstrait du capital 293
11.3.4.3 Aller beaucoup plus loin 294
11.4 L’activité scientifique élément essentiel 295
11.4.1 L’informatique au cœur 297
11.4.2 Pour une prospective marxiste 297
11.4.3 Que donnera l’informatique ? 298
11.4.4 Une démocratie réelle 299
11.4.5 La prise de conscience 300
11.4.6 Le rôle essentiel du débat intellectuel 302
Troisième partie : Et demain ? 303
Chapitre 12 : Position du problème 304
12.1 Le dépassement du capitalisme 305
12.2 Innovation, progrès technique, croissance 309
12.2.1 Développement et croissance 310
12.2.3 Innovation et croissance pour qui, pourquoi ? 314
Chapitre 13 : Perspectives Scientifiques et Technologiques 317
13.2 La maîtrise du vivant 319
13.2.1 La vie artificielle 320
13.2.4. Comprendre et modifier la machine humaine 323
13.3 D’autres transformations 326
13.3.2 Demain, de nouvelles races humaines ? 327
13.3.3 Quelle société pour les humanoïdes ? 328
13.3.5 Les limites physiques de la croissance actuelle 331
13.3.6 Les contraintes et problèmes 331
13.3.6.2 Et à l’horizon 2050? 334
13.3.7 Les énergies fossiles 336
13.3.7.1 Le pétrole, tensions et turbulences 336
13.3.7.2 Quelles sont les réserves ? 337
13.3.8 Quelles sources d’énergie à l’horizon 2050 ? 337
13.3.10 Effet de serre, des discours et des actes 338
13.3.12 Et l’énergie nucléaire ? 340
13.4 Maîtrise des émissions des transports 345
13.4.2 Une attitude scientifique et sociale 348
13.4.3 Une vision résolument offensive 350
13.4.4 Connaissance et information 352
13.4.5 Cyber-révolution Scientifique et Technique 352
Chapitre 14 : Des lendemains qui chantent ? 355
14.1 Le marxisme comme méthode 355
14.1.1 La logique mortifère du Capital 356
14.1.2 La composition organique du Capital 356
14.1.3 Le travail humain, mesure de toute valeur 359
14.1.3.1 Un mouvement contradictoire 359
14.1.4 La production de valeur en informatique 360
14.1.5 Le capitalisme, système inhumain 360
14.1.6 La question du communisme 361
14.1.6.1 Socialisme ou communisme ? 361
14.1.7 La production sans travail humain 363
14.1.8 Une mutation humaine, un nouvel humanisme 363
Chapitre 15 : Socialisme ou barbarie 366
15.1 La déstabilisation du capitalisme 366
15.2 La responsabilité du mouvement révolutionnaire 385
Hommage
Au Grand Jacques brûlé vif à Cires les Mellos en l’an de grâce 1358 ;
aux Hussites du XVe siècle se révoltant pour la terre ;
aux paysans de 1525 et Thomas Munzer qui ébranlèrent le socle de l’Eglise et menèrent une grande révolte contre l’Église et la noblesse, pour plus de justice sociale ;
aux Communards de juin 1848 qui revendiquaient « le pouvoir aux travailleurs » ;
aux Communards de mai 1871 « montés » à l’assaut du ciel qui établirent une éphémère mais authentique dictature du prolétariat ;
aux Bolchéviques de 1917 qui établirent le premier pouvoir socialiste de l’histoire ;
aux millions de Communistes morts pour la liberté ;
aux millions de militants anticapitalistes par le monde qui jour après jour, malgré tout, apportent leur pierre à l’édification d’un monde débarrassé de l’exploitation de l’homme par l’homme.
Yvonne Abbas, Georges Ibraliim Abdallah, Mumia Abu Jamal, Celestino Alfonso, Henri Alleg, Salvador Allende, Louis Althusser, Louis Aragon, Inès Armand, Jean Arnal, Maurice Audin, Jules Auffret, Gracchus Babeuf, Gilbert Badia, Jean Baillet, Olga Bancic, Hemi Barbusse, Dominique Bari, Henri Bardielemy, Titus Bartoli, Maximilien Bastard, Lucie Baud, Robert Beck, Amar Bellal, Maurice Berlemont, Jolm-Daniel Bernai, Guy Besse, Georges Beyer (alias Nardin), Marie Claire Beyer, François Billoux, Rose Blanc, Lucie Blanchard, Jean-Richard Bloch, France Bloch-Sérazin, Tony Bloncourt, Madeleine Braun, Paul Boccara, Joseph Boczov, Loïc Boisson, Jean François Bolzinger, Jean Michel Bony, Amédéo Bordiga, Général Semion Boudienny, Nicolas Boukharine, Marc Bourhis, Colonel Bourmakov, André Bréchet, Ian Brossât, Jean Bruhat, Marie-George Buffet, Guy Burgess, Marcel Cachin, Félix Cadras, Georgette Cadras, Maria Camino, Daniela Carrasco, Zéphyrin Camélinat, Myriam Cao, Antoine Casanova, Danielle Casanova, Laurent Casanova, Jean Castellou, Fidel Castro, Raoul Castro, Jean Catelas, Jean Chaintron, Robert Chambeiron, Jean Chaumeil, Raymonde Chasle-Lavallée, Fernand Chatel, Bruno Chaudret, Claudine Chaumat, René Chavagnac, Giulio Ceretti, Maurice Choury, Georges Cloarec, Francis Cohen, Claudette Colvin, Louis Couffïgnal, Ambroise Croizat, Buntea Crupnic, Mariana Grajales Cuello, Irène Curie, Henri Curiel, Antony Daguet, Arthur Dallidet, Raymond Dallidet, Maitine Dalmas, Amadi Dansokho, Louis Daquin, Emile David, Joseph Davidovitch, Angela Davis, Florent Debels, Jean Pierre Débris, Jean Charles Delavaquerie, Frédéric Demonchaux, Hector Descomps, Marthe Desrumeau, Fanny Dewerpe, Raymonde Dien, Joseph Dietzgen, Georges Dimitrov, Yvon Djian, Suzanne Djian, Maurice Dobb, Gaston Donnât, Alexandre Dubcek, Christian Dubois, Luce Dubus, Jacques Duclos, Guy Ducoloné, Mounette Dutilleul, Lily Eigeldinger, Ilya Elirenbourg, Thomas Elek, Paul Eluard, Joseph Epstein, Guy Etchessaliar, Colonel Fabien, Etienne Fajon, Helen Mc Farlane, Daniel Féiy, Maurice Fingerweig, Romaine Fitzgerald, Spartaco Fontano, Dominique Frelaut, Alice Friedmann, Eugen Fried, Michelle Fritch, Francine Fromond, Ludovic Frossard, Hervé Fuyet, Youri Gagarine, Roger Garaudy, Maurice Gardette, Fabien Gay, Olivier Gebulirer, Jonas Geduldig, Pierre
Georges, Georges Ghertman, Suzanne Girault, Emeric Glasz, Arme-Claude Godeau, Léon Goldberg, Georges Gosnat, Antonio Gramsci, Jean Grandel, Désiré Granet, Fernand Grenier, Louis Gronowski, Hittel Gruszkiewicz, Szlama Grzyrracz, Pierre Guéguen, Pierre Guéguin, Emesto Che Guevara, Vilma Espin Guillois, Georges Guingouin, Ra}mond Guyot, Jean Hadamard, Georges Hage, Salali Hamouri, Julien Hapiot, Michel Henri, Guy, Hemmer, Ho Clti Minh, Renée Hogge, Boris Holban, Huong Houynk, Sylvestre Huet, Dolorès Ibarruri, Fernand Iveton, Raymond Jeaime, Hania Ben Jedda, Jean Jérôme, Todor Jivkov, Frédéric Joliot, Félicien Joly, Claudia Jones, Jean Paul Jouary, Maréchal Guéorgui Joukov, Paulette Jourda, Emest Kaliane, Jean Pierre Kahane, François Kaldor, Pierre Kaldor, Eugène Kérivel, Huyn Khuong, Léo Kneler, Frida Knight, Bina Kock (alias Blanche Jacquot), Arthur Koesüer, Nicolaï Kolmogorov, Serge Korolev, Marie José Kodicki, Zoïa Kosmodemianskaïa, Henri Krasucki, Jean Kriegel-Valrimont, Nadejda Konstantinovna, Kroupskaïa, Nikita Krouchtchev, Stanislas Kubacki, Otto Külme, Paul Labéreime, Annie Lacroix-Riz, Marc Lacroix, Raymond Laforge, Claude I ,alct, René Lamps, Okba Lamrani, Marcel Langer, Félicia Langer, Paul Langevin, Hélène Lange vin-Joliot, Lucien Lanternier, Général Laskine, Jacqueline Laurier (Ginette), Paul Laurent, Pierre Laurent, Léon Lavallée, Jacques Lavallée, Oliver Law, Léon Lebeau, Pascal Lederer, Nathalie Le Mel, Edmond Lelbevre, Henri Lefèvre, Fernand Léger, René Léger, René Leguen, Hélène Le Chevallier-Le Jeune, Edouard Lemarchand, Edmond Lemoine, Gerhard Léo, Julien Le Panse, Gérard Lepuill, François Lescure, Anicet Le Pors, Waldeck Lhuillier, Maria Teresa Leôn, Karl Liebnecht, Max Lingner, Maxim Litvinov, Arthur London, Lise London, Jack London, Lee Lorch, Raymond Losserand, Domenico Losurdo, Esüier Loewy-Bejerano, Césare Luccarini, Georg Lukàcs, Patrice Lumumba, Jean Lurçat, Rosa Luxemburg, Donald Maclean, Mouchilotte Madhavan, Jean Magniadas, Gregory Malenkov, Nelson Mandela, Mélinée Manouchian, Missaak Manouclrian, Armenak Arpen Manoukian, Mao Ze Dong, Georges Marane, Georges Marchais, Germinal Martel, Henri Martin, Suzamte Martorell, André Marty, José Lins Massera, Farid Medjahed, Claude Meyroune, Victor Michaut, Louise Michel, Charles Michels, Eugène Michelaère, Nicole Michelaère, Anastase Mikoyan, Gaston Monmousseau, Emiliemie Mopty, Guy Môquet, Henri Mougin, Rosa Moussaoui, Willi Münzenberg, Aima Musso, Mohammad Najibullah, Charles Nedelec, Rino Délia Negra, Oscar Niemeyer, Général Ngoc, Clii Cong Nguyen, Ngoc Tran Nguyen, Max Nublat, Lucette Olivier, Sergo Ordjonikidze, Andrea
Oscoz Urriza, Mario Otero, Albert Ouzoulias, Pierre Ouzoulias, Aima Pauker, Marcel Paul, Ester Pelta, Léonard Peltier, Gabriel Péri, Antoine Pesqué, Pliam Van Dong, Pham Tlii Hong, Phan Tlii Hoaï Trang, Kim Philby, Pablo Picasso, Hypolitte Pina, Maurice Pochard, Georges Politzer, Maï Politzer, Jean Poulmarcli, Henri Pourchasse, Marcel Prenant, Lepa Radie, Sandor Rado, Barüielemy Rainier, Artliur Rainette, Pâgylô Rajk, Mâtyâs Rakosi, Charles Rappoport, Marcel Rayman, Pie ire Rebière, Victor Renelle, Radovan Richta, Madeleine Riffaud, Paul Robeson, Waldeck Rochet, Constantin Rokossovski, Henri Roi-Tanguy, Romain Rolland, Théo Ronco, Louis Nathaniel Rossel, Julius et EÜiel Rosenberg, Jacques Rossi, Roger Rouxel, Laurent Salini, Antoine Salvadori, Lucien Sampaix, Thomas Sankara, Fritz Schmenkel, Georges Séguy, Pierre Sémard, Victor Serge, Lucien Sève, Archie Sheep, Alain Signor, Constantin Simonov, Michel Smolianoff, Hélène Solomon-Langevin, Arnaud Spire, Jacques Solomon, Richard Sorge, Anne Souffrin, Joseph Vissarionovitch, Djougachvili dit Staline, Sebastien Sylvestre, Willy Szapiro, Michel Tartakowsky, Boris Taszhsky, Général Vassili Tcliouikov, Raymond Tellier, Maurice Ténine, Valentina Terechkova, Ernst Thaelman, Maguette Tliiam, Ebm Tirntik, Maurice Thorez, Charles Tillon, Jean Pierre Timbault, Palmiro Togliatti, André Tollet, André Tosel, Thi Hoaï Trang, Maurice Tréand, Eisa Triolet, Nguyen Van Troï, Léon Davidovitch Trotsky, Samuel Tzyselman,
• Walter Ulbricht, Amédéo Usségho, René Vautier, Paul Vaillant-Couturier, Marie Claude Vaillant-Couturier, Henri Van Regemorter, Jules Eugène Varlin, Maréchal Alexandre Vassilevsky, Général Nikolaï Vatoutine, Madeleine Vincent, Général Voronov, Général Vo Nguyen Giap, Henri Wallon, Wolf Wajsbrot, Joseph Wedmeyer, Raymond Wintgens, Robert Witchitz, Georges Wodli, Markus Wolf, Alfred Woznik, Deng Xiaoping Xi, Jiping Chen Yi, Clara Zetkin, Howard Zins.
À Nghiêm Trieu Quynh, l’amie trop tôt disparue.
Il faut apprendre à l’enfant à être d’abord et avant tout un être social, c’est-à-dire un humain et non un individu
Thomas Sankara
Cet ouvrage s’adresse à celles et ceux qui luttent joui' après jour pour transformer ce monde en déshérence tombé en désuétude.
L’ambiance générale est délétère quant au pays des Lumières la voyance draine plus d’argent que le budget consacré à la recherche publique, que l’enseignement des mathématiques devient optionnel dans l’enseignement secondaire, et où des élèves de l’École Nationale d’Administration sont obligés de faire pétition pour avoir droit à une formation à un vernis scientifique censé leur permettre de saisir les enjeux écologiques contemporains. Qu’on ne s’y trompe pas, cette amputation dans le cursus scolaire de la pensée mathématique aboutie, n’est pas anodine. Par ailleurs, ne jamais rencontrer Marx ni en philosophie ni en économie, c’est déjà possible aujourd’hui, la liste des auteurs au programme n’étant pas impérative, les enseignants « piochent » parmi ces auteurs, mais ne sont pas tenus de les aborder. Il faudrait être bien naïf pour ne pas voir dans ces programmes un signe fort envoyé, au-delà même de la philosophie, à l’opinion publique d’une obsolescence de la pensée critique, marxiste en particulier bien sûr, et ce au nom de la modernité.
Il s’agit là de la bataille idéologique, au sens fort du terme. C’est tout le progr amme de l’enseignement qui est chamboulé et orienté vers une philosophie officielle insidieuse, idéaliste bien entendu, avec une ode au libéralisme en tant que sublimation de l’individu. Le XIX' siècle n’est pas loin !
C’est la jeunesse qui est visée ; on lui donne des outils conceptuels ringards ou émoussés repeints aux couleurs de la liberté individuelle (en fait du libéralisme de J.B. Say). Et ce sous couvert de nécessité d’introduire des matières nouvelles. L’irrationnel ici n’est pas fortuit, il a un sens, celui d’une classe dominante sur la défensive historique. Il m’a semblé de toute nécessité d’armer intellectuellement les militants de l’émancipation.
Pour ce faire, il est indispensable de partir du rapport des humains avec le monde qui les entoure, c’est-à-dire la dialectique entre les actions desdits humains entre eux et avec les forces qu’ils ont créées d’une part, avec la nature d’autre part. C’est le travail qui est au centre de la démarche, mais il y a travail émancipateur et travail aliéné et un rapport subtil entre les deux, le travail pouvant être à la fois aliéné et émancipateur. Le Manifeste Communiste de Marx et Engels nous apprend que l’histoire des sociétés humaines est l’histoire des luttes de classes. La Cyber-révolution en cours n’en est qu’à ses débuts et est probablement l’outil susceptible de permettre aux humains de rendre techniquement marginal le travail aliéné, et libérer l’humanité des contraintes afférentes. Toutefois, rien n’est automatique en matière de choix politiques, et c’est aux hommes (suigeneris) d’opérer et organiser ces choix, mais pour ce faire, il leur faut avoir une vision claire des mécanismes et forces à l’œuvre et des enjeux. C’est l’objet de cet ouvrage. Le propos vient de loin, après une période d’incompréhension dans les années 1950, dès 1961 au congrès du PCUS1, Nikita Khrouchtchev et en 1963 au congrès du S ED2, Walter Ulbricht identifient la Cybernétique comme particulièrement bien adaptée à l’économie socialiste (voir [Segall, 1997]). En France, en 1966 au comité central d’Argenteuil, Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF (Parti Communiste Français), pose le problème général du rapport aux sciences et techniques. En 1968, Radovan Richta théorise cela de son côté en Tchécoslovaquie [Richta, 1967, Richta, 1969] sous le syntagme révolution scientifique et technique.
Avec Jean Pierre Nigoul3, vivant au cœur battant de la technique qui porte la « révolution scientifique et technique » identifiée par Richta, nous avons écrit sur cette révolution, dès 2002, la caractérisant comme une Cyber-révolution. J’ai repris seul ce travail, la version de 2002 n’a pourtant pas si mal vieilli [Lavallée et Nigoul, 2002]. La science, elle, a particulièrement évolué ainsi que les technologies impactées par la révolution numérique, tant en nombre qu’en qualité. L’informatique et la cybernétique n’ont de cesse d’aborder de nouveaux rivages et d’envahir de nouveaux domaines de l’activité humaine tout en exacerbant les contradictions d’un système basé sur l’exploitation de la force de travail humaine ainsi qu’une exploitation éhontée des ressources naturelles qui met en danger la pérennité d’une grande partie de l’humanité, l’industrie numérique lui donnant une dimension supplémentaire, et ce en un temps où la satisfaction des besoins de l’humanité pourrait être largement obtenue, le temps de travail aliéné drastiquement diminué et la nature préservée en utilisant précisément la Cyber-révolution mais dans un autre système de production et d’échanges.
Notre environnement et les ressources naturelles sont durement affectés par la façon de produire, c’est-à-dire par le mode de production et d’échange. Le « toujours plus individuel » qui est le principe vital du capitalisme est mortifère pour l’humanité en pillant la nature, la salissant, la polluant inconsidérément, y compris en ce qu’il y a de plus essentiel à la vie simple, comme l’eau qu’on boit, celle qui contient la vie, l’air qu’on respire. Le développement capitaliste de la Cyber-révolution annonce une catastrophe écologique et humaine. Là où certains tiennent un discours sur la « dématérialisation » du travail qui éviterait les pollutions, en particulier en C02, il convient d’en mesurer les conséquences sur l’environnement, pas seulement en tenues de C02\ On doit se poser la question de la signature écologique d’une vidéo en ligne ou d’un smartphone, d’autant plus quand, logique capitaliste de marché oblige, on en met en vente un nouveau modèle tous les 18 mois.
L’humanité n’occupe qu’une seule planète, la Terre et tous les peuples se doivent de la partager et la préserver pour eux, pour les autres peuples et pour les générations à venir. Tous les peuples sont aujourd’hui liés par une « communauté de destin » qui ne va faire que s’affirmer de plus en plus.
Cette communauté de destin est incompatible avec la propriété privée des moyens d’action sur la nature, c’est à dire les lorces productives. Il faut ici le dire nettement et fortement, le mode de 4 production capitaliste est incompatible avec lecologie et la gestion pérenne de l’environnement et de l’humanité. L’un des médias au service du capital, média social-libéral s’il en est et des plus lus, Le Guardian, lui-même le reconnaît et écrit « Les entreprises ont un rôle énorme à jouer dans la lutte contre le changement climatique, mais l’obstacle réside dans la "tension absolue " entre la rentabilité à court terme et le besoin urgent de réduire les émission/ » toute politique cherchant à développer une démarche écologique dans le cadre du capitalisme est vouée au mieux à l’impuissance, au pire au cautionnement du système et in fine à un effondrement des conditions de vie sur Terre et donc à une régression majeure de l’humanité, voire pire.
Ladite communauté de destin passe par une socialisation des forces productives. Il ne peut y avoir de gestion écologique et environnementale de la vie sur Terre que dans un cadre global, commun, communiste, c’est aussi ce que, maniant la litote, dit le rapport du GIEC en cette année 2021. Lorsqu’on nous dit qu’un battement d’aile de papillon à un bout du monde peut avoir des conséquences à des dizaines de milliers de kilomètres, il devient alors évident que la gestion de notre environnement ressortit à une planification à l’échelle planétaire. Là est notre communauté de destin. Les moyens scientifiques et techniques, la maîtrise de plus en plus affirmée de nos moyens d’action permet de régler les problèmes techniques et scientifiques. De ce point de vue, les moyens cybernétiques, détournés par le capital, sont un outil structurant d’une puissance phénoménale qui permet de connecter le monde entier (le fameux village mondial) et de porter cette 5 6 communauté de destin, ce communisme et d’en faire prendre conscience. La question actuelle c’est que ces moyens fantastiques sont aux mains du capital qui mène une bataille idéologique et pratique implacable pour s’assurer de la maîtrise sociale de ces outils. Il revient donc au mouvement révolutionnaire de mener aussi cette bataille de façon implacable, et in fine non seulement maîtriser l’utilisation de ces outils, mais surtout de s’en emparer !
Les développements impétueux des sciences et techniques conduisent à des transformations considérables de l’appareil productif. Elles interrogent sur les finalités même de la société. Alors, quel monde construire dans une interaction positive et prospective entre la communauté scientifique, la société en général et l’environnement ? Quels objectifs, quelle maîtrise ? Il reste 80 années d’ici la fin du siècle. La mobilisation de la recherche mondiale sur les problèmes environnementaux plutôt que sur « l’industrie financière » et la course aux armements (course à la guerre en fait !) peut trouver des solutions, la Cyber-révolution y jouera, n’en doutons pas un rôle central, encore faut-il que les conditions politiques en soient réunies.
Ce sont ces questions du présent qui préparent l’avenir. La prétention ici est d’essayer de poser les termes du débat, de le situer historiquement, et d’alerter sur l’impérative nécessité pour le mouvement révolutionnaire de prendre en compte ces profondes mutations en identifiant les leviers qui permettent d’agir efficacement et d’ouvrir, à un ternie court car s’il n’est pas trop tard il est tard, la perspective communiste.
Libérer les forces productives de l’emprise du mode de production du capital nécessite d’en avoir une lecture très précise... Car la classe exploitée la plus nombreuse, celle qui produit la valeur, la classe des prolétaires, ne peut s’en approprier aucune hormis par un programme de prise de contrôle politique, organisé, « planifié » en conscience, entre stratégie et tactique.
Cette classe a besoin d’outils et de machines, d’un système productif adapté, plié au mieux à ses exigences. Ici compte le rapport des forces, en fait les rapports de forces : celui vis-à-vis du capital, et l’autre vis-à-vis de nos « partenaires » sous emprise idéologique de la bourgeoisie.
Il nous est indispensable de repartir à l’assaut du ciel !
À celles et ceux qui m’ont secondé dans cette aventure : Francis Velain spécialiste hors pair des fondements de l’économie politique et de leur application aux enjeux d’aujourd’hui, Jean-Claude Delaunay alias Zhehaï et François Périnet qui, tels des moines bénédictins, se sont astreints à la relecture et m’ont suggéré nombre de modifications, Jean François Bolzinger, praticien du marxisme et des luttes chez les ingénieurs, techniciens et cadres pour sa préface à cette édition, et Amar Bellal, écologiste communiste de la nouvelle génération, avec qui nous nous sommes lancés dans la belle aventure de la revue Progressiste J qui traite de Science, Travail et Environnement, et à toute l’équipe de bénévoles qui en assure le succès, sans oublier bien sûr Jean-Pierre Kahane qui nous a quitté en 2017, qui a été un pilier de Progressistes et m’a fait l’honneur d’écrire la préface à la précédente édition de 2002, préface que je remets ici.
À Évelyne Brouzeng, Jean Claude Masson, Dominique Vidal-Bari, les indéfectibles amis, et bien sûr, une mention spéciale à Nicole, la compagne sans qui rien n’eut été possible. 7
de l’édition originelle
Chaque heure qui passe donne au livre que nous proposent Ivan Lavallée et Jean-Pierre Nigoul une nouvelle actualité. Les Tvvin Towers de New-York ont motivé l’écriture d’un dernier chapitre, Socialisme ou barbarie qui se conclut par : la responsabilité du mouvement révolutionnaire. La présence de Le Pen au second tour des élections présidentielles en France est un nouveau choc qui nous renvoie, une fois encore, à la responsabilité du mouvement révolutionnaire.
C’est ce dont il est question dans ce livre. Les auteurs sont informaticiens, Ivan Lavallée, est l’un des premiers théoriciens de l'informatique parallèle, et son domaine de recherche est l’algorithmique, qui est à la base des performances des calculatrices, des ordinateurs et des réseaux. Jean Pierre Nigoul, aujourd’hui à la retraite a été un haut cadre d’IBM et a suivi de près l’évolution des rapports entre la technique informatique et la société. La « Cyber-révolution », les deux auteurs la vivent au quotidien, dans leur activité professionnelle, et ils savent nous, parler, de façon à la fois claire et enthousiasmante, de l’informatique comme moteur de la révolution scientifique et technologique (c’est le titre du chapitre IV et rien n’empêche le lecteur de commencer par-là)8.
C’est en marxistes qu’ils abordent l’histoire et l’état présent des forces productives et de la société. Le capitalisme et ses formes actuelles, souvent paradoxales et de plus en plus dangereuses, la présence et la menace de la « cyber-domination » (c’est l’objet du chapitre V) sont analysés. Les perspectives qu’ouvrent les avancées scientifiques et l’enjeu crucial de l’enseignement, la marchandisation de toute activité humaine et l’obscurantisme d’un côté, la véritable mutation humaine que peut constituer le communisme d’un autre, sont mis en perspective. Les chapitres « techniques » sont précédés et suivis de réflexions critiques profondes, nourries de culture marxiste, sur tous les aspects théoriques de la pratique révolutionnaire. Que sont aujourd’hui les forces productives, quelle peut-être leur dynamique, quelle place occupent-elles dans le monde, où se trouve la classe ouvrière, comment s’organise le capitalisme financier, où se trouve la source de la valeur, comment s’articulent invention, travail vivant, travail mort, appropriations et monopoles et aussi, nouvelles formes de création et d’appropriation collectives, dont les logiciels libres donnent un exemple.
Il est impossible de donner ici un aperçu, même sommaire, de la richesse des informations et des idées que contient ce livre. Le plus important, cependant, n’est pas ce foisonnement. C’est ce dont il témoigne : un renouveau de la pensée marxiste et de la perspective révolutionnaire dans une voie qu’avaient déjà dégagée
Léon Lavallée, puis René Le Guen9. Les circonstances actuelles nous donnent un coup de fouet. Ce livre peut nourrir bien des réflexions, des débats et des actions. C’est une contribution très bienvenue à la vie intellectuelle et militante dont nous avons besoin plus que jamais.
Jean Pierre Kahane, Paiis 1er Mai 2002.
par Jean-François Bolzinger10 11
La parution de l’ouvrage d’Ivan Lavallée intervient au moment où la période Covid a donné lieu à une forte accélération de la digitalisation de la société, de l’ordre d’une dizaine d’années. Les enjeux de ce que le langage commun nomme la révolution numérique explosent et certains, éludant le réel, y voient même un nouveau système de société supplantant capitalisme et communisme.
L’actualisation des enjeux de ces transformations en cours, soulevés dès 2002 dans le livre Cyber Révolution", vise à donner des repères fondamentaux pour les combats à venir. Rien ne tombe du ciel, pas plus l’invention des ordinateurs que leur conception ou leur utilisation, la nature des algorithmes ou des réseaux sociaux, le type de robotisation ou le type d’emplois. Le gros mérite de cet ouvrage et de ramener sur le devant de la scène la question de l’évolution des forces productives qui façonnent et bousculent le travail et la vie en société.
L’histoire des technologies n’est pas indépendante du combat de classe qui traverse la planète. Le retour sur les sources de l’échec de l’expérience de l’LTnion Soviétique est à cet égard riche d’enseignements.
Émanant d’un scientifique engagé dans le militantisme communiste depuis une longue période, la critique faite par l’auteur des dérives soviétiques comme de la non prise en compte de l’évolution des forces productives par le mouvement révolutionnaire n’en ont que plus de pertinence et d’impact. Le néolibéralisme triomphant pousse les feux de sa vision de la révolution numérique, prônant aussi bien l’économie de travail vivant que la surveillance de masse personnalisée. Ce faisant, il génère des contradictions phénoménales tant au plan social qu’au plan climatique, ainsi que des risques de guerre considérables. Il provoque interrogations et révoltes chez les peuples et notamment dans les jeunes générations qui tentent de reprendre leur destin en main.
L’auteur explore les fondements, décrypte les enjeux et les pistes ouvertes par la Cyber-révolution, laquelle intègre une réorientation de la révolution numérique et le combat des peuples pour leur liberté et leur émancipation.
En replaçant les forces productives comme l’élément déterminant du processus révolutionnaire, ce livre est un atout précieux pour orienter les combats.
Ces forces poussent en avant les exigences de démocratie directe actuelles et la manière nouvelle et globale dont les jeunes générations perçoivent les enjeux : dépasser le capitalisme, mettre fin au patriarcat, au racisme, au productivisme, le tout dans le même mouvement.
Le numérique sera au cœur de ce combat du XXI' siècle où chacun est beaucoup plus à même d’appréhender et d’intervenir sur tout ce qui le concerne et qui se joue, du local au mondial. C’est en ce sens que nombre de repères fournis dans ce livre vont être particulièrement utiles.
Le piège tendu par la fausse alternative qui domine aujourd’hui peut être déjoué. Pour certains, la modernité est représentée par la révolution numérique telle que le Capital la conduit. D’autres sont partisans d’un rejet obscurantiste et antiscience de tout progrès, lequel est assimilé à un productivisme destructeur de l’homme et la nature. Récusant ces deux options, la Cyber-révolution appelle à une réflexion et une intervention consciente de prise en main de leur destin par les travailleurs et les peuples. Ce livre en dévoile le champ des possibles.
Montreuil, 20 octobre 2021.
«... les moyens de production et d’échange, sur la base desquels s’est édifiée la bourgeoisie, furent créés à l’intérieur de la société féodale. A un certain degré du développement de ces moyens de production et d’échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l’organisation féodale de l’agriculture et de la manufacture, en un mot le régime féodal de propriété, cessèrent de correspondre aux forces productives en plein dévehppement. Ils entravaient la production au lieu de la faire progresser. Ils se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait les briser. Et on les brisa. A la place s’éleva la libre concurrence, avec une constitution sociale et politique appropriée, avec la suprématie économique et politique de la classe bourgeoise. Nous assistons aujourd’hui à un processus analogue. Les conditions bourgeoises de production et d’échange, le régime bourgeois de la propriété, cette société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d’échange, ressemble au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées. Depuis des dizaines d’années, l’histoire de l’industrie et du commerce n’est autre chose que l’histoire de la révolte des forces productives modernes contre les rapports modernes de production, contre le régime de propriété, qui conditionnent l’existence de la bourgeoisie et sa domination.
Manifeste du Parti Communiste, 1848
La crise actuelle du système de production et d’échanges qu’est le capitalisme n’est pas seulement, comme elle le fut par le passé, une crise économique ou financière avec retombées sociétales, c’est une crise qui touche aux fondements même du système, à son principe vital, tant par ses ressorts intérieurs que dans sa relation avec la nature. Tous ces aspects entrent en crise en même temps.
C’est une civilisation nouvelle qui frappe à la porte et qui doit englober tous les aspects de la vie de la société, les rapports politiques, culturels, institutionnels, parentaux, de genre et de couple, les relations internationales aussi, le rapport à l’environnement bien sûr. Les luttes actuelles ne sont pas que revendications matérielles. Pour qui veut bien analyser les revendications des travailleurs en luttes depuis une vingtaine d’années, elles contiennent en elles une aspiration autre, foncièrement nouvelle, une aspiration à un autre rapport au travail, elles ne défendent pas seulement l’emploi. De même, dans l’inconscient collectif chemine l’idée qu’il faut passer à « autre chose ». Les sondages le montrent, le capitalisme est désormais rejeté par une grande partie de la population. Il y a une hostilité manifeste aux pouvoirs en place, et depuis le 29 mai 2005 ou plutôt du coup de force versaillais12, la forfaiture, qui lui a succédé, une attitude désabusée vis-à-vis de la démocratie élective, une perte de crédibilité du système, y compris institutionnelle, ce qui se traduit à la fois par une abstention massive aux différentes élections, mais aussi par l’apparition de formes d’expressions spontanées à caractère violent. Les revendications sociétales, féministes, homosexuelles, de genre en général pointent le décalage. De même le désaveu de l’école par une part non négligeable des adolescents, le refuge dans la drogue, le retour en force de l’obscurantisme religieux de toutes obédiences, les intégrismes de quelque religion qu’ils soient, les suicides, qu’ils soient d’adolescents ou au travail sont des symptômes. Cette société est en bout de course, elle rend malade, elle est mortifère. Mais attention, rien n’est donné, toutes les aventures sont possibles, surtout les pires. À nous de montrer quelles sont les clés pour ouvrir la porte qui mène à cette autre civilisation, la civilisation du « bien commun », étymologie du mot communisme. Le socle en est la réalisabilité donnée par le développement des forces productives matérielles13. L’ordre du jour est la libération de toutes les capacités de la « force productive » humaine, sans entrave. Le capitalisme a assuré un développement des forces productives matérielles à un niveau tel
que tous les besoins matériels de la société peuvent être couverts11. Nous sommes passés d’une époque où le socialisme était possible, résultat d’une volonté subjective généreuse d’organisation de la société, mais avec les forces productives du capitalisme, d’où une contradiction majeure, à un tournant de l’histoire où le communisme est redevenu nécessaire (redevenu car- l’humanité a vécu historiquement beaucoup plus longtemps en communisme, fut-il primitif, nécessaire solidarité de survie, que dans des sociétés d’exploitation15). L’établissement du socialisme sur une base subjective, (lorsque les conditions subjectives deviennent objectives comme répondait Lénine à Kautsky et Bernstein), mais alors que les forces productives matérielles et sociales sont encore celles du capitalisme et que celui-ci continue à être dominant au plan mondial, lui confère une fragilité intrinsèque autorisant, comme on l’a vécu, une restauration du capitalisme. Le communisme est aujourd’hui redevenu nécessaire, la puissance des hommes sur la nature est devenue telle qu’un petit groupe d’individus, voire un individu peuvent mettre en cause la vie de millions d’autres ou celle même de l’humanité tout entière, la régression sociale et la dégradation de l’écosystème en cours, ainsi que les armes de l4Qu’on pense ici au scandale que constitue dans ces conditions le fait que des populations entières crèvent de faim, au sens propre. Environ 800 millions d’êtres humains ne mangent pas à leur faim aujourd’hui en 2020 et si ce nombre a nettement diminué cette dernière décennie, passant en dessous du milliard, c’est grâce au développement socialiste de la Chine qui a sorti 700 millions de personnes de cette situation !
15« Les hommes n’auraient pu s’épanouir d’aussi remarquable manière si, au départ, nos ancêtres n 'avaient vécu en étroite coopération. La clé de la transformation d une créature sociale semblable au singe en animal cultivé vivant au sein d une société hautement structurée et organisée est le partage : partage du travail et de la nourriture », écrivait le paléoanthropologue kenyan Richard E. Leakey [Leakey, 1979].
destruction massive, en étant les manifestations les plus visibles. C’est ce qui rend obsolète et mortifère le régime de propriété privée de ces moyens d’action.
Cette dégradation de l’écosystème par ce mode de production capitaliste donne maintenant un caractère d’urgence à cette mutation nécessaire sous peine d’un collapsus majeur. Crise de l’énergie, gaspillage et raréfaction des matières premières, pollution de l’air qu’on respire, surexploitation des sols et des océans, modifications de courants marins essentiels, réchauffement climatique insupportable, montée des eaux et les conséquences sur le monde animal avec une sixième extinction de masse en cours, la biodiversité est menacée...
C’est au nom de cette nécessité que la responsabilité historique du mouvement révolutionnaire est de proposer un projet de société, le communisme comme instance de dépassement du capitalisme, en en précisant les attendus, et de contribuer à l’élaboration d’un programme qui s’inscrive dans cette dynamique. L’ambition ici est de participer à ce « grand œuvre » qui court dans l’inconscient collectif depuis Rousseau et Spinoza, et bien sûr l’abbé Jean Meslier, premier à avoir utilisé le mot communisme en lui donnant ce sens de bien commun, et commencé à dénoncer un système d’exploitation conforté par la chape de plomb idéologique religieuse destinée à lui donner une légitimité morale divine. Nous essayons ici de contribuer à une réflexion sur le niveau de développement de la société capitaliste à l’heure de l'informatique et de la cybernétisation de la société. Nous voulons montrer comment cette Cyber-révolution en cours génère un nouveau système technique qui peut libérer la force productive humaine en désaliénant le travail, en faisant en sorte que le temps de travail contraint, nécessaire encore longtemps, devienne marginal dans l’activité humaine. Le but étant que les usines tournent toutes seules"’ et que le travail devienne le premier besoin social de l’homme'7.
Le système technique de la révolution industrielle a été porté par la maîtrise du transformateur d’énergie, d’abord la machine à vapeur, puis des moteurs plus autonomes comme le moteur électrique ou les moteurs à huile lourde.
Le système technique de la Cyber-révolution est porté par la Machine de Turing Universelle, laquelle en tant qu’universelle est maintenant présente dans quasiment tous les artefacts humains et structure la société, modifiant tant ses façons de produire et travailler que sa façon d’être au monde.
Quelles sont les dynamiques internes du monde du travail ? Comment doit se structurer un projet communiste ? Ce ne peut-être simple incantation anticapitaliste, socialiste ni seulement anti libérale, ni simplement « ce que veulent les gens ». Le spontanéisme n’a jamais fait projet ni programme, pas plus que la vox populi N’oublions pas cette mise en garde de Berthold Brecht dès lors que les intérêts du capital sont enjeu : " Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie bourgeoise mais son évolution par temps de crise ! " 14 15
PREMIÈRE PARTIE
FORCES PRODUCTIVES, TRAVAIL
Forces productives, système technique, essai de caractérisation
Ce qui a distingué l’homme du singe, c’est le travail8.
F. Engels 1883
Il s’agit ici, de comprendre ce que sont les forces productives et surtout quel est leur rôle dans le développement des sociétés. C’est fondamentalement et historiquement ce qui a conduit à la mise en route du processus d’hominisation, processus qui continue toujours.
Pour illustrer ce rôle du travail dans la constitution de l’homme (sui genen's) et de la société, on peut distinguer trois grandes périodes, aux contours plus ou moins flous en fonction des périodes historiques en jeu, sachant que moins la période sera éloignée, plus nous poumons préciser les choses. Nous entamons une quatrième période dont nous essayons ici de cerner les prémisses et les effets. 16
2.1.1 - Des outils
Il y a quelques trois millions et demie d’années (à quelques centaines de milliers près), un pré-humain (Australopithèque ?) se dégage du règne animal, sa réflexion vient seconder, voire remplacer, son instinct, le processus d’hominisation est enclenché, il utilise une technique, aussi fruste soit-elle vue d’aujourd’hui pour fabriquer des outils. Certes, certains animaux utilisent des outils, mais ils les utilisent, ils ne les fabriquent pas et quand un singe enlève l’écorce d’un bâton pour aller fouiller un nid de ténuités ou autres insectes, il ne le fait qu’une fois, il ne garde pas le bâton pour une utilisation ultérieure ni pour le donner à un autre.
L’homo Habilis, lui, a fabriqué des outils en pierre, élaborés. Pour ce faire, il a fallu plus ou moins et plutôt plus que moins, qu’il se les représente à un moment dans son intellect, et plus encore, qu’il imagine le geste qui va porter transformation de la matière brute pour en faire un outil17. L’utilisation du loup pour la chasse par des hominidés est une autre preuve de la nécessité d’une activité réflexive.
La maîtrise du feu marque une amélioration notable de l’alimentation et la santé des humains.
2.1.2 - Des mécanismes et des machines
Il faudra attendre 3500 ans environ avant notre ère pour qu’apparaisse la première roue, premier vrai mécanisme avec le tour de potier. Dès lors l’ère des mécanismes et des machines va
se développer. Avec la domestication des animaux de trait, apparaissent alors charrettes et autres chars.
Petit à petit vont apparaître divers mécanismes dont les clepsydres (-1400 en Égypte) qui permettent de mesurer le temps et d’autres mécanismes plus ou moins sophistiqués, mais une rupture aurait alors pu se produire qui est restée « lettre morte » et est restée comme curiosité sans plus, c’est l’Éolipyle de Héron d’Alexandrie, au premier siècle de notre ère qui aurait pu inaugurer l’ère de la maîtrise de l’énergie.
2.1.3 - La maîtrise de l’énergie
Les premières énergies maîtrisées par les humains, outre l’énergie animale18, furent sans aucun doute le feu simple pour cuire ou fondre, et le vent et l’eau, en particulier pour se déplacer, les voiles depuis l’antiquité. Les moulins, eux qu’ils soient à eau ou au vent marquent un passage à l’utilisation mécanique de l’énergie. Les premiers moulins à vent recensés datent de 620 de notre ère et servent à pomper l’eau en Perse. Ils vont être décisifs pour écraser essentiellement, produire de la farine qui va permettre une exploitation plus rationnelle de céréales dont le blé et une amélioration de l’alimentation (pain) et donc de la santé des populations.
Les systèmes techniques (voir 2.4) vont se succéder tout en s’interpénétrant en fonction du niveau de maîtrise des sources d’énergie ; la vapeur puis l’électricité et l’atome. La grande industrie est née, inscrivant le capitalisme sur les fonds baptismaux.
2.1.4 - La maîtrise du calcul, la révolution numérique
Il est bien évident que ces différentes phases de l’activité productrice des hommes, si elles sont déterminantes à une époque donnée ne sont pas étanches entre elles. Comme on a pu le voir avec le feu, leolipyle ou les peut-être piles de Bagdad19, certaines idées, ou pratiques ont une longue histoire qui traverse les siècles si ce n’est les millénaires. Il en est ainsi du calcul.
Machine à calculer : La plus vieille machine à calculer connue est un tibia de loup ou bâton de comptage, marqué de onze groupes de cinq entailles. Nombre de ces bâtons de comptage ont été retrouvés. Il y a 37.000 ans, âge de ce bâton trouvé à Vestonice, la notion de nombre et de dénombrement (comptage) semblent déjà bien ancrés dans le quotidien, c’est là sans doute aussi concomitamment une des manifestations de l’apparition de l’écriture ; (voir également [Torra, 2013]).
Le développement des techniques, la volonté de comprendre les phénomènes conduit à développer ces techniques de calcul.
Calcul et codage binaire : Thomas Harriot, élève de Viète est le premier à poser le problème de représentation systématique des nombres, certains lui attribuent l’idée de la notation binaire. C’est Leibniz au X\ IIe siècle qui va poser un jalon important vers ce qui deviendra trois siècles plus tard la révolution numérique. Il invente le calcul binaire et énonce qu’on peut représenter le monde entier et tous les phénomènes avec seulement deux symboles ; c’est-à-dire qu’en plus du calcul binaire, il introduit l’idée du codage binaire. Leibniz invente une machine à calculer mécanique et le
fameux « cylindre de Leibniz »20 qui permettait de faire des multiplications et introduit la notion décisive de mémoire (on garde le multiplicande pour faire des additions successives) et qui sera l’organe central de l’arithmomètre de Thomas de Colmar qui régnera près de trois siècles dans les machines à calculer et compter.
Le métier Jacquard : Joseph Jacquard au XIXe siècle invente le métier à tisser éponyme qui est programmable par cartes perforées. Un trou ou pas de trou dans la carte, c’est du codage binaire !
La machine de Babbage, Ada : On attribue à Charles Babbage l’invention du premier ordinateur mécanique qui succède à sa première machine à calculer, la machine aux différences21 22. La machine aux différences fut construite et fonctionna. Ce qu’on nomme « machine de Babbage », et considérée comme l’ancêtre de l’ordinateur, ne put être construite à cause de la médiocrité du système technique de l’époque. Si cette machine ne fut jamais construite à l’époque du moins, elle inspira à la mathématicienne anglaise Ada Lovelace21 les premiers rudiments de programmation et une réflexion approfondie sur le calcul mécanique, pertinente
aujourd’hui encore. C’est elle qui déclare : La Machine Analytique n ’a nullement la prétention de créer quelque chose par elle-même. Elle peut exécuter tout ce que nous saurons lui ordonner d exécuter. Elle peut suivre une analyse ; mais elle n ’a pas la faculté d imaginer des relations analy tiques ou des vérités. Son rôle est de nous aider à effectuer ce que nous savons déjà dominer. Réflexion profonde à méditer encore aujourd’hui.
La machine de Turing : C’est grâce à une rupture conceptuelle mathématique en l’année 1900 que tout va basculer. C’est, selon moi, la quatrième phase de l’évolution humaine qui surpasse et modifie de fond en comble notre façon de produire (voir [Brynjolfsson et McAfee, 2015] pour une vision purement libérale de cette évolution) et de faire monde. C’est l’objet de tout ce qui suit.
On commence ici par préciser les concepts, en particulier les concepts d outil, de technique, d’ensemble technique, de filière puis, de système technique ce qui nous amènera à bien comprendre le concept fondamental pour notre propos de force productive terme relativement galvaudé et jamais bien défini.
( ^ c concept de force productive c’est là l’élément fondamental, c est le rapport d un grand homimdé à la nature, ou plutôt à la transformation de celle-ci et à lui-même qui a fait émerger l’homme du règne animal.
C est au cours d un processus dont la durée se mesure en millions d’années2, que se sont dégagées les forces productives.
La divergence de la lignée des chimpanzés et de la lignée humaine peut être situee il y a 7 à 10 millions d’années et 2, 8 millions d’années pour les premiers outils systématiques, [Leroi-Gourhan, 2005] c’est-à-dire produits en tant que
C’est le processus d’hominisation qui se continue aujourd’hui. Dans la famille des hominidés, certains se sont peu à peu singularisés au point de se différencier du règne animal. Bien sûr ce processus s’étend sur des centaines de milliers d’années, peut-être des millions. On assiste alors à la transcendance et la libération de la main par l’apparition d’outils extérieurs à cet organe, qui le prolongent et ouvrent de nouveaux horizons à l'activité humaine. C’est la révolution néolithique, il y a environ 8000 ans. Apparaissent alors les outils spécialisés chacun pour une tâche unique et simple non exécutable directement par la main, le tranchoir, le racloir, le harpon, ... mais impossibles sans elle qui joue le rôle à la fois de moteur et de guide. La révolution néolithique correspond aussi à l’apparition de l’agriculture et des débuts de la sédentarisation.
Avant que le premier caillou ait été façoimé par la main de l’homme pour en faire un couteau, il a dû s’écouler des péiiodes au regaixl desquelles la période historique connue de nous paraît insignifiante. Mais le pas décisif était accompli : la main s était libérée ; elle pouvait désormais acquérir de plus en plus d’habiletés nouvelles (...). Ainsi la main n 'est pas seulement l’organe du travail, elle est aussi le produit du travail [Engels, 1883].
Si la main n’est pas seulement l’organe du travail mais son produit, cette activité de la main a aussi et surtout, en un processus dialectique, fait évoluer le cerveau. Les paléontologues font remarquer que si les restes de mains de sapiens anciens ne permettent pas de remarquer de différences fondamentales avec tels, des galets taillés. Bien sûr il est possible qu’il y ait eu des outils en bois ou corne avant mais les seuls outils dont des restes identifiables sont parvenus jusqu’à nous, sont des choppers, des galets (ou des blocs anguleux) présentant un bord tranchant.
les mains des sapiens actuels, par contre il y a des différences notables avec les mains des australopithèques et autres hominidés vivant il y a 2,7 millions d’années, et le cerveau lui a considérablement évolué, en volume et masse d’abord, en structuration aussi pour ce qu’on en connaît, il n’est pas interdit de penser que c’est cette dialectique du possible et du faire qui a transformé le système main-cerveau. Il suffit de voir aujourd’hui l’aire du cerveau principalement consacrée au contrôle des mains pour s’en convaincre. Au fur et à mesure que, fort de sa dextérité, et la découvrant, sapiens s’aventurait à de nouvelles activités manuelles, ses capacités cognitives s’en ressentaient. Comme tous les animaux, la première activité de l’homme c’est de se nourrir et de se donner les moyens de vivre.
Dès lors qu’au lieu de se contenter de prélever sur la nature autour de lui, c’est-à-dire du statut de Chasseur-Cueilleur, il a agi pour produire cette nourriture et s’aménager un espace vital consciemment, le processus d’hominisation est enclenché.
Et précisément ce qui caractérise ce processus d’hominisation, c’est le mouvement des forces productives, ce que Marx exprime dans la préface à la Critique de l’économie politique quand il écrit qu’iti fine l’histoire de l’humanité c’est l’histoire de ses forces productives.
2.2.1 - Comprendre une société
Si l’on veut rendre intelligible une « époque de révolution sociale », le passage d’un type de société à un autre, il faut partir, non pas des idées ou de la conscience des acteurs, mais de la production matérielle. Les révolutions sociales sont préparées souterrainement par des transformations dans la production, par l’évolution des relations entre « forces productives » et « rapports de production ». Elles ne sont donc pas possibles à tout moment ni en tout beu. Les conditions objectives, nécessaires, ne suffisant jamais, l’action politique conserve tout son sens ; elle doit se méfier néanmoins de l’aventurisme révolutionnaire qui s’imagine que la transformation du monde n’est qu’affaire de volonté.
Il nous faut ici préciser ce que sont les forces productives matérielles et les forces productives sociales qui constituent l’ensemble forces productives. Le concept de forces productives désigne les moyens de production (outils, machines, système de machines), système technique global l’ensemble des hommes qui les utibsent, ainsi que les savoirs indispensables au travail (savoir-faire des métiers traditionnels, connaissances techniques et scientifiques, brevets). Rapport de l’homme à la nature, la production est toujours et en même temps sociale, rapport des hommes entre eux [Quetier et Gulli, 2014]. On voit là se dessiner le rapport de classes de la société.
Une caractéristique majeure du genre humain par rapport aux autres animaux, c’est son rapport à la nature et surtout à la transformation de celle-ci. Certains animaux transforment leur environnement (castors ou termites par exemple) de façon sensible, mais ce n’est pas réfléchi, c’est instinctif et à l’infini répété. L’araignée crée de belles toiles bien régulières de même l’abeille dite domestique crée des galettes de cire faites d’alvéoles géométriques en forme d’hexagone, mais ni l’araignée ni l’abeille n’en ont fait les plans, contrairement au plus mauvais architecte humain qui fait le plan de son œuvre d’abord dans sa tête, comme le fait remarquer Marx.
2.3.1 - L’outil, la technique
L’outil, aussi primitif soit-il, apparaît en définitive, comme le premier témoignage de l’humanité. (...) c’est un héritage que l’on conserve et qui se transmet autant dans sa matière que dans sa fabrication. Il est bien le début d’une culture. L’outil n’est pas seulement le matériau adéquat ramassé ici ou là, dans la forme que lui a donné la nature et les circonstances, c’est une matière préparée pour l’usage qu ’on veut en faire, une forme raisonnée [Cille, 1978]
Toute transformation de la matière, consciente ou non, nécessite une dépense d’énergie. La transformation de la matière, répond donc au schéma matière/énergie/matière la matière d’amvée étant bien sûr différente de la matière d’origine. On pourrait caractériser ça par matière-l/énergie/matière-2 ; matière-2 étant ce qui a été produit par la transformation de matière-1. La transformation consciente de la matière nécessite de contrôler d’une manière ou d’une autre la façon dont l’énergie est dépensée, dirigée. C’est là qu’intervient chez l’humain, l’outil.
Au couple obligatoire matière/énergie présent dans toute transformation de la matière, vient s’insérer chez les humains un tr oisième élément, et ce de manière réfléchie. Cette transformation matière/énergie/matière s’appuie chez l’homme sur un élément intermédiaire, l’outil, lequel nécessite pour être utilisé une technique aussi fruste soit-elle. Dès lors que cette médiation matière/énergie/matière nécessite des outils différents, c’est un ensemble technique qui apparaît et se développe, et cet ensemble technique va permettre à terme que le schéma « matière-l/outil/matière-2 » devienne « matière-l/outil/matière-2/outil/
matière... » c’est à dire qu’apparaissent des filières techniques.
Dès lors que les humains produisent des outils, et qui plus est, des outils pour d’autres, et les améliorent, ou produisent ces outils en vue d’un usage ultérieur, le processus d’hominisation se pérennise. Ces outils et ensembles techniques forment les premières forces productives matérielles. Ce faisant, en un processus dialectique, l’humain devient lui-même, en tant qu’individu, mais surtout en tant que collectif, puis société, une force productive.
2.3.2 - Ensemble technique
Il y a des techniques quelque peu complexes qui nécessitent en fait un faisceau de techniques particulières dont la combinaison, l’ensemble, aboutit à un acte technique bien défini propre à une activité et à celle-là seule.
Par exemple la fabrication de l’acier nécessite, entre autres choses, une connaissance de la chimie du carbone et la maîtrise de la technique afférente, une maîtrise de l’énergie nécessaire, donc ici de la technique du haut fourneau et de ses composants comme les revêtements réfractaires et des fours associés, ainsi que la maîtrise du combustible, le coke dont l’obtention nécessite aussi
une technologie particulière, l’oxygène qui doit être insufflé à bon escient. Chacune de ces activités ressortit à une technique propre, qu’il s’agisse de la fabrication et de la structuration des briques réfractaires qui tapissent l’intérieur du haut fourneau ou de l’obtention du coke qui va permettre d’affiner la fonte pour obtenir de l’acier ; Il s’agit bien là d’un ensemble technique dont chaque élément est indispensable à l’obtention d’un acier de quahté.
2.3.3 - Filière technique
La filière technique, elle, est composée de suites d’ensembles techniques en relations plus ou moins complexes, nécessaires à l’obtention d’un produit fini qui ne peut être obtenu qu’après plusieurs étapes, chaque étape ressortissant à un ensemble technique. Avec toutefois cette remarque qu’un produit fini d’une filière peut-être un composant d’une autre filière. Par exemple la filière de fabrication de moteurs est aussi un élément de la fflière automobile, mais pas seulement, elle peut-être aussi une fin en soi, ou un élément de filière de production de machines agricoles. De même la filière de fabrication des gueuses de fonte fournit un produit —les gueuses— qui entre de fait dans d’autres filières techniques.
2.4 - Système technique
Si on veut évoquer le concept de système technique il nous faut tout d’abord nous expliquer sur ce qu’on entend par système.
Le concept de système : Il a été explicité par Ludwig Bertalanfy [von Bertalanfy, 1973]. Parler de système est sans doute la façon la plus adéquate de traiter d’une organisation ou d’un organisme. L’analyse des systèmes, concept qui va structurer la pensée cybernétique, considère les organismes comme un système de variables dépendantes les unes des autres. Le concept semble issu
de la biologie mais a été utilisé par la suite comme un concept central de la Cybernétique.
Un système est un ensemble d’éléments (voire de systèmes ou sous-systèmes) en relation entre eux et interagissant, de telle façon que toute évolution ou modification de l’un ou de l’autre ait une répercussion sur l’ensemble et que toute modification de l’ensemble ait aussi une répercussion sur chacun des éléments, ou du moins sur l’organisation des relations entre ceux-ci, cette interdépendance d’éléments différents fait que chaque sous-système ou composant est différent des autres et qu’on ne peut ainsi déduire les propriétés de l’ensemble des propriétés de chacun de ces éléments ni de tous ensemble, l’aspect dynamique et informationnel étant indispensable. C’est ce qui conduit à la formule fameuse : « le tout est plus que l’ensemble des parties ». Un système se caractérise par la double propriété, d’une part des inter-relations entre éléments principaux, et d’autre part sa relation en tant qu’organe, avec l’extérieur.
Les systèmes échangent de l’énergie, de l’information, voire de la matière avec leur environnement. Le monde vivant fournit nombre d’exemples, ainsi les cellules et le biotope sont des exemples de systèmes naturels.
On peut distinguer trois grands types de systèmes :
— ouverts aux flux (énergie, information, fluides...) du milieu dans lequel ils baignent, ils adaptent leur comportement en fonction des informations générées par les flux et donc aussi aux modifications du milieu23 ;
— fermés en thermodynamique, un système fermé n’échange pas de matière avec l’extérieur ;
— isolés aucun échange n’a heu avec le milieu ni l’entourage.
Le type de système qui nous intéresse ici est tel que les interrelations produisent une évolution, le système est dynamique, en évolution. La vitesse, plus ou moins lente de cette évolution fait que certains en viennent à considérer des systèmes statiques, en fait en évolution lente ou même très lente, et le plus souvent prélude à une évolution catastrophique due à une émergence. Un système naît, évolue et meurt (ou se transforme en un autre système, ce qui revient au même).
2.4.1 - Système technique global
Ainsi un système technique global est-il un grand ensemble de cohérences technologiques et techniques qui se tissent à une époque donnée et qui constituent un stade plus ou moins développé et durable de l’évolution des sciences et des techniques. C’est un phénomène d’émergence qui fait cohérence entre différentes techniques et qui induit ainsi des changements structurels non seulement dans le système, mais dans la société elle-même. Ainsi, le licol, le joug et la charme à soc de fer vont provoquer un bond dans la production agricole.
Chaque époque est caractérisée par un système technique constitué de techniques et technologies fortement imbriquées et d’autant plus efficaces qu’elles sont imbriquées et dépendantes les unes avec les autres, formant ainsi un ensemble cohérent qui fait système. Il serait réducteur de limiter le concept de système technique à son aspect purement technique. Les techniques et technologies dépendent de, et infèrent un système de pensées, de représentation du monde. Ainsi en est-il de l’Encyclopédie de
Diderot et D’Alembert qui décrivit le système technique de leur époque24. Bien sûr cette interaction entre système technique stricto sensu et représentations, art, idées, idéologie, science... a une dynamique et une logique qui lui sont propres. Un ensemble de teclmiques n’est pas auto-suffisant pour former un système technique, il y faut une cohérence et un système institutionnel et social qui leur permette d’émerger en tant que système. Il y a une dialectique entre la société et ses superstructures à un moment historique donné, le système technique propre à cette société et le système technique en devenir, en gestation25, qui induit des contradictions à la fois dans les représentations et les possibilités offertes ou prérisibles par l’apparition de ces techniques et la structure institutionnelle et sociale. Ainsi la maîtrise de la contraception par exemple a fait évoluer des pans entiers de la société, la téléphonie mobile a modifié les rapports entre les gens, permettant à la fois une très grande interconnexion ainsi qu’une modification, voire, paradoxalement, un éloignement du rapport humain.
Un système technique est donc un ensemble cohérent d’outils (au sens large), techniques, et machines d’une période particulière, ces outils, et techniques étant interdépendants les uns des autres, formant un tout homogène. C’est là la généralisation du concept d’outil et d’ensemble technique précédemment évoqués, c’est l’intermédiaire entre le groupe humain formant société considérée en tant que telle et ses productions, c’est l’intermédiaire dans le triptyque Matière/énergie/Matière. Ua transformation de la matière
nécessite de l’énergie elle-même permettant aux humains de mettre en œuvre leurs techniques pour transformer la matière.
A une époque et dans un mode de production donné, toutes les techniques, les ensembles et filières techniques sont plus ou moins dépendantes les unes des autres et ce à des degrés divers, ce qui nécessite et entraîne une certaine cohérence. Ce sont ces relations dialectiques entre les filières, les techniques qui donnent cette cohérence qu’on nomme système technique stn'cto-sensu, mais il y faut ajouter l’organisation dans laquelle se meut et se développe ledit système, ainsi que les rapports de production qu’il engendre et ceux qu’il permet.
Un certain nombre de techniques forment un noyau dur de moyens et techniques interdépendants, l’un ne pouvant se concevoir ni s’utiliser rationnellement sans l’autre. Par contre certaines techniques, héritées d’un système précédent y peuvent n’avoir été qu’améliorées et n’en sont que vaguement dépendantes, d’autres techniques antérieures auront été abandonnées, frappées d’obsolescence. On ne peut évoquer un système technique sans l’associer au régime socio-économique de la période historique dans laquelle il s’inscrit, et aux rapports sociaux qui en découlent, à la production des richesses afférente, bref à la production de valeur.
[Febvre, 19221 : « L’activité technique ne saurait s’isoler des autres activités humaines ».
On peut ajouter à cette remarque du grand Lucien Febvre, que cette activité est aussi dépendante des représentations mentales et influe sur celles-ci, c’est une activité humaine réflexive. Ces représentations mentales par rapport aux techniques, conduisent dans le monde grec à une activité intellectuelle spécifique, l’activité scientifique qui va donner une impulsion de plus en plus prégnante
au système technique jusqu’à ce que, dans le monde moderne, la science en tant que telle (c’est-à-dire l’ensemble des activités scientifiques) devienne partie intégrante, et motrice, du système technique. En fait dans un premier temps, il semble bien que l’activité scientifique ait été purement spéculative, activité due à l’observation d’événements astronomiques par exemple ou de questionnements tels que la forme et la taille de la Terre, mais les méthodes ainsi mises en œuvre ou élaborées vont donner les outils conceptuels qui vont permettre de faire évoluer le système technique.
Bertrand Gille [Gille, 1978] exprime l’influence de la science sur le système technique par le schéma suivant :
progrès scientifique => invention => productions
et
invention => innovation => croissance
Ce que Léon Lavallée, considérant que la science devient l’élément moteur des forces productives, illustrant la thèse de Marx sur « la science force productive directe », traduit par le schéma [Lavallée Léon, 1969] :
Science => Technique => Production ou encore S -> T->P
2.4.1.1 - Système en évolution
Bien sûr un système technique n’est pas figé, des améliorations, des innovations le font évoluer, mais le passage d’un système technique à un autre s’opère plutôt par rupture, soit qu’apparaît directement une technologie nouvelle qui bouleverse le noyau dur
du système technique, soit qu’une succession d’innovations internes finisse par changer qualitativement les rapports internes du système technique et le rendent obsolète, laissant ainsi la place pour un autre. Mais pour que naisse et grandisse une technique, il faut qu’elle trouve un environnement favorable, à la fois sociétal et idéologique, qu’elle réponde à un besoin social ou en fasse émerger un nouveau. La raison d’être d’une action technique n’a de sens que dans une culture et dans un temps donné, de sorte qu’ils ne peuvent être saisis indépendamment du système dans lequel ils font sens et dans un environnement qui les transforme. La dialectique entre le système technique et la société est à double sens (ce en quoi elle est dialectique). La technique peut amener à des évolutions drastiques de la société, mais les superstructures idéologiques, religieuses, institutionnelles peuvent non seulement influer sur le développement des techniques, mais aussi tout simplement les étouffer. La superstructure sociétale et institutionnelle « étouffe » alors le progrès technique. On a un phénomène semblable en Chine ancienne où les inventions de la poudre noire, de la boussole, de la charrue, du joug, alors qu’elles vont se diffuser dans le monde, se sont étiolées petit à petit en Chine même car la structure de la société y était très rigide et peu propice aux innovations, la science chinoise en a pâtit et s’est enfermée dans une scholastique stérile.
Comme le fait remarquer Bertrand Gille déjà cité le fameux miracle grec, associé presque toujours à la naissance conjointe de la science et de la philosophie, présente en fait un second volet, celui de la naissance d’une technologie au sens moderne du terme. Ainsi l’ensemble des remarquables avancées scientifiques de la période du règne d’Alexandrie — Euclide, Archimède, Eratosthène, Ptolémée... — s’appuie et se développe concomitamment à un système technique hautement élaboré et avancé et d’une
cohérence telle, malgré quelques lacunes, qu’il faudra attendre plus de mille ans avant qu’il soit remplacé. Le système technique des Grecs avait remplacé celui des civilisations précédentes, basé sur l’usage de machines simples, avant d’être lui-même supplanté par la libération idéologique qui a marqué l’époque de la Renaissance.
Pendant un millénaire, on patine, on piétine, rien de fondamentalement nouveau n’émerge, il ne se dégage pas une société technique, les avancées techniques et technologiques apparaissent plutôt comme des résultats de jeux de l’esprit, curiosités, passe-temps de personnages débarrassés de la nécessité de travailler pour vivre26. Bien que Héron d’Alexandrie ait inventé l’Éolipyle27 28, en fait première turbine à vapeur, le monde grec comme le monde romain ne connaîtront pas une société tecluiique. La cohérence du système technique stncto-sensu est là prise en défaut, la maîtrise de la chaleur manque. Les aciers sont très élémentaires et ne peuvent supporter les contraintes inhérentes aux activités industrielles ; à défaut de charbon, fonte, joints et soupapes, l’éolipyle ne pouvait faire émerger une quelconque révolution industrielle. De plus, les chaînes techniques cinématiques sont relativement frustes, il y manque un mécanisme majeur qui n’apparaîtra qu’au XVe siècle de notre ère, le système bielle-manivellé' qui permet de transformer un mouvement rotatif en mouvement alternatif de translation et rice-versa. Le système technique des grecs ne permet pas d’aller plus avant. Et aussi, comme le suggère K. Marx, « les esclaves coûtaient moins cher », ce qui n’incitait pas à trouver d’autres moyens d’action. Ce
piétinement, recul même, qui ne prendra fin qu’avec l’époque de la Renaissance, constitue un cas exemplaire de blocage qui permet de mieux appréhender des stagnations similaires dans d’autres civilisations que la nôtre, comme nous bavons signalé supra pour la Chine par exemple.
La contradiction réside ici dans le fait que ce système technique a une cohérence certaine, c’est ce qui fait sa force, mais aussi sa faiblesse car il ne pourra pas évoluer, seulement exploser.
Ce qui va faire exploser le système technique des grecs, c’est non seulement l’apparition d’éléments nouveaux dans les chaînes cinématiques, comme le système bielle/manivelle mais aussi et surtout l’apparition du convertisseur d’énergie autonome, le moteur. Bien après que l’éolipyle ait été oublié, il faudra attendre le XVII' siècle pour que soit de nouveau tentée l’aventure de la vapeur. Dès lors, un processus est enclenché qui va conduire à la révolution industrielle et un nouveau système technique dont les convertisseurs d’énergie formeront le noyau.
2.4.2 - Le concept de force productive
Le développement des forces productives humaines et sociales est la réalité fondamentale, la base concrète sans l’étude de laquelle on ne peut comprendre la structure, l’histoire des sociétés ni l’apparition des divers modes de production29.
Les forces productives concernent tout ce qui concourt à la transformation consciente de la nature par les humains. Ce sont donc les outils, machines, usines, techniques, science et technologie ; bien évidemment le système technique en est une composante importante, essentielle même, l’organisation pour ce
qui est des forces productives matérielles, l’organisation de la production, mais aussi l’organisation de la société. Il faut y ajouter la nature en tant que telle, la Terre, qui fournit l’eau, le support des cultures. La nature (la Terre pour l’essentiel) n’étant force productive que considérée et utilisée comme telle. L’humain, l’humanité elle-même, est une force productive.
Ce qui a distingué l’humain dans le monde animal, car il en fait toujours partie quoiqu’il advienne, c’est la transformation consciente de la nature qui l’entoure dans laquelle et par laquelle il vit. L’intelligence animale, qui caractérise la vie, c’est l’adaptation au milieu dans lequel évolue l’être vivant, et plus encore l’adaptabilité, c’est-à-dire la résilience aux modifications du milieu et l’adaptation, éventuellement par évolution (ce qui fonde la théorie de l’évolution de Darwin [Darwin, 1872]), au nouveau milieu.
2.4.2.1 - Probablement approximativement correct
Il est pertinent là d’introduire le concept de probablement approximativement correct [Valiant, 2019]“. En effet, c’est là la condition de cette adaptabilité, adaptabilité qui ne concerne pas un individu ou un autre, mais bien une espèce, à travers bien sûr les individus qui la composent. Il s’avère que dans le processus de reproduction, celle-ci ne se fait JAMAIS à l’identique et que dans la multitude des rejetons d’une espèce, il y a des variations aléatoires. Lors d’une modification du milieu, certains de ces rejetons sont plus ou moins approximativement adaptés à ce nouveau milieu. Ceux-là vont se développer et se reproduire et les autres péricliter. C’est là, très grossièrement, le moteur du processus de l’évolution. La condition de l’évolution réside 30
précisément dans le approximativement ; en effet si un individu est parfaitement et justement adapté à un milieu particulier, il est condamné ainsi que sa descendance dès lors que ce milieu change. Contrairement à ce qu’insinue une idéologie réactionnaire, voire fascisante, la théorie de l’évolution telle qu’exprimée par Charles Darwin ne fait pas la part belle « aux plus aptes » mais aux « moins inaptes », à toutes celles et ceux qui sont approximativement aptes à ri vie dans un environnement donné. Les évolutions viennent toujours des marges.
La caractéristique des humains que nous sommes là, c’est sans aucun doute que les premiers sapiens, issus probablement de divers croisements avec d’autres races humanoïdes, apparus il y a
300.000 ans environ, se sont non seulement adaptés aux variations du milieu, mais ont modifié le milieu à leur convenance, ce qui marque l'apparition d’une intelligence réflexive dépassant ainsi la seule adaptabilité.
2.5 - Le travail
Avec 1 humain, la matière devient consciente d’elle-même, mais le chemin a été long et chaotique, et l’époque que nous vivons n’est qu une étape, un moment dans la longue histoire de 1 hominisation. C’est cette conscience qui va mener à 1 introspection et l’abstraction, à l’intelligence humaine, qui n’est en rien artificielle. De l’éclat de quartz sur un galet à la manipulation du patrimoine génétique, nombre d’étapes ont été franchies, de nombreuses ruptures se sont produites. Au-delà de l’individu, c’est l’humanité tout entière qui devient matière consciente et pensante. Ce sont les rapports des humains dans la production de leur existence qui créent le lien social. La nécessité pour les humains de produire leur subsistance en a fait des êtres sociaux. Les différentes évolutions de sa façon de produire, de ses
moyens d’action sur la nature permettent des évolutions sociales majeures, mais ce sont les humains qui provoquent les mutations, il n’y a rien de spontané ni d’automatique. Il dépend des hommes que progrès social et progrès technique aillent de pair [Lavallée,
1991b].
Ce sont les humains qui font l’histoire, même si bien souvent ils ne savent pas quelle histoire ils font !
L’histoire de l’humanité, l’histoire de France pour ce qui nous concerne sont jalonnées des luttes de celles et ceux qui voulaient avoir la maîtrise du produit de leur travail, des Jacques du XVIe siècle aux revendications ouvrières d’aujourd’hui.
Aujourd’hui, le rythme des transformations s’accélère, le champ d’action des hommes et des femmes sur la nature s’élargit de jour en jour, il n’y a plus de problème qui, posé en termes purement techniques soit insurmontable. La responsabilité humaine est d’autant plus engagée, en particulier par rapport à 1 écosystème dont nolens volens nous faisons partie et qui est indispensable à la survie de l’espèce.
L’humanité est arrivée à un stade où, telle une gigantesque araignée, elle tisse sa toile entre les planètes. Spoutnik, une sphère de 83, 6 kg lancée le 4 octobre 1957 pour le quarantième anniversaire de la révolution bolchévique a ouvert la conquête de l’espace, mais c’est le 12 avril 1961 que la grande aventure spatiale humaine commence vraiment avec le premier vol humain dans le cosmos. Ainsi que l’avait prévu le père de l’astronautique, le russe Constantin Tsiolkovsky (1857-1935), le premier homme dans l’espace, le cosmonaute Youri Gagarine, est soviétique.
Pour paraphraser Frédéric Joliot (voir 4.1), on pourrait dire qu’en s’affranchissant de la pesanteur terrestre, l’humanité sort de la préhistoire.
Les forces productives peuvent être considérées à partir de trois critères : le degré de qualification, le degré d’appropriation sociale et le degré de mise en oeuvre.
Ce qui distingue une époque économique d’une autre, c’est moins ce que l’on fabrique, que la manière de fabriquer, les moyens de travail par lesquels on fabrique, ainsi que l’organisation, à la fois stricto-sensu du tr avail, mais aussi des rapports sociaux et sociétaux, bref, la société dans laquelle on produit.
En fait le syntagme forces productives recouvre une réalité de diverses natures qui jouent des rôles parfois contradictoires dont une dialectique subtile jalonne notre histoire et plus généralement celle de l’humanité et de l’ensemble de la vie sur Terre. La compréhension de cette dialectique permet d’agir sur le présent et surtout, d’envisager l’avenir à la condition d’avoir la maîtrise de ces forces qui sont actuellement obérées par le poids de la propriété privée, et dont la dynamique est par conséquent régie par des intérêts particuliers là où, au stade de développement où en est arrivée l’humanité le seul critère qui vaille est celui de la pérennisation de la vie sur Terre et plus précisément de la vie humaine ainsi que l’intérêt commun qui en est une condition. En fait le bonheur, voire la vie des uns est tributaire du bonheur et de la vie des autres. C’est ce qui fonde la communauté de destin de l’humanité.
La force de travail humaine. Dans un premier temps, pour nos très anciens ancêtres chasseurs cueilleurs, la force productive est
essentiellement la force tout court, leur force physique, mais aussi déjà une technologie balbutiante et d’une sopltistication certaine pour la fabrication des armes de chasse, massue, sagaie, puis lanceur, puis arc... Aussi la technologie du silex, ou du façonnage des os, et la capacité à identifier les différents éléments dans la nature, fruits, reconnaissance d’empreintes et identification de fèces, techniques de piégeage d’animaux. D’emblée, les forces matérielles comprennent une partie « immatérielle31 » ou plutôt cognitive, ne serait-ce que l’activité consciente de fabrication d’un outil un peu sophistiqué comme un silex taillé qui nécessite un plan et un savoir-faire, ce qui veut dire aussi transmission de ce savoir-faire. Plus encore, la domestication d’animaux et la sélection de semences non seulement nécessite un plan à un terme assez éloigné, et donc une projection dans le temps a minima une saison pour la sélection mais surtout une activité intellectuelle consciente.
Aujourd’hui cette force de travail humaine comprend tout ce qui concerne l’activité cognitive, de l’éducation à la recherche scientifique, la technique, les brevets et procédés divers, en passant par la littérature, l’expression artistique et la langue.
Vient aussi tout ce qui constitue une médiation entre la société et ses productions. À titre individuel, les outils matériels et conceptuels, à titre social, les outils, machines, le système technique stn'cto-sensu, l’organisation de la société elle-même.
2.6.1 - Vers un nouveau système technique ?
La question aujourd’hui mérite d’être posée, et le présent ouvrage entend aller dans ce sens. Un nouveau système technique 31
est en cours d’installation, on peut en pressentir les débuts dans quelques récents bouleversements techniques qui commencent d’ores et déjà à concerner notre société : en son cœur, l’informatique sous sa forme Informatique Avancée ou I.A. (ArtificialIntelligence pour les anglo-saxons), le génie génétique, le génie moléculaire, et à plus long terme, le génie quantique. L’informatique, traite l’information de l’humanité, elle devient la mémoire des hommes même si paradoxalement, elle fait courir le risque d’une société sans mémoire historique à cause du caractère labile de ses supports. On ne peut désormais plus s’en passer. De la lédaction d un livre à 1 élaboration d’un nouveau médicament ou vaccin, en passant par la conception d’une œuvre cinématographique ou le dépannage d’une ligne de production automatisée, l’informatique est omniprésente.
Les tentatives de sortie, de dépassement du système capitaliste, de la Commune, de la Russie, ou de la Chine sont des moments d’un mouvement plus global de transition d’une société à une autre. La construction d’une société nouvelle se fait toujours à partir des forces productives et des superstructures étatiques et mentales héritées de l’ancienne société.
La transition d’une société à une autre, d’un mode de production et d’échange à un autre se fait sur une période longue, de plusieurs siècles parfois. En tout état de cause, supérieure à la durée de vie humaine. Les individus que nous sommes ne vivent que des moments de cette transition. La Révolution Française est passée par trois monarchies et deux empires. L’avènement et la construction d’une société débarrassée des scories de l’exploitation de la force de travail humaine ne se feront pas sans heurts, erreurs ni reculs. La transition est faite de successions de ruptures et de périodes d’adaptation plus ou moins longues, plus ou moins violentes, d’avancées fulgurantes et de régressions. La frontière n’est pas nécessairement très nette entre le passage d’une société à une autre ; il y faut des actes marquants, des symboles. Il en est ainsi de la décapitation de Louis XVI, et de la prise du palais
d’hiver en 1917. Sans hommes conscients, il n’y a pas d’acteurs de l’histoire, donc pas d’histoire. Même lorsque le nouveau système économico-social a pris le dessus, les anciennes forces productives, les structures de pensée et souvent de commandement de l’ancien système demeurent, et ce d’autant plus qu’elles sont encore prégnantes au plan mondial.
Les grandes marées de l’histoire ont une amplitude de plusieurs siècles et sont ponctuées de vagues de fonds et de ressacs.
C’est à l’aune du développement des forces productives matérielles stricto sensu et de ses effets induits qu’il faut juger des expériences socialistes, comme de l’histoire en général. En effet, nombre d’historiens, en particulier français, et pour certains se réclamant du courant marxiste, analysant le Court Vingtième Siècle (voir [Hobsbawm, 2003]), ne prennent pas en compte cette grille de lecture qui est pourtant fondamentale32. Ce faisant, il leur manque la base objective, matérielle des événements qu’ils décrivent. Ils prennent ainsi le risque d’une lecture idéaliste de l’histoire, tombant dans le piège tendu par l’idéologie dominante, d’un jugement moral désincarné (ou plutôt fortement teinté de l’idéologie dominante), indépendant du contexte culturel, matériel, historique et politique. L’organisation de la société des hommes, son histoire, est la perpétuelle tentative d’adéquation entre, le possible, le nécessaire et le souhaitable. Le possible est donné par le développement des moyens d’action sur la nature, c’est-à-dire les forces productives matérielles. Le nécessaire est l’organisation qui confère la pérennité à l’humanité, et pour une
société donnée ce qui lui permet de se reproduire, a minima, à l’identique, mais en fait, en développant ses forces productives. Ainsi une société de métallurgistes ne peut être organisée, ne peut présenter les mêmes rapports de production, qu’une société de chasseurs-cueilleurs. Si on veut bien considérer de plus, que l’organisation est une force productive, le seul fait de passer à un autre mode d’organisation de la société est déjà en soi un développement des forces productives. Le souhaitable, c’est le maximum à partir du possible, l’idéal, (l’utopie ?), il dépend du niveau de conscience et d’action des hommes. Par contre, si la société de métallurgistes ne peut être organisée comme une société de pasteurs, ne serait-ce que parce l’activité de métallurgie d’une part interdit le nomadisme et d’autre part nécessite au moins le troc, le métal n’étant en général guère comestible, elle peut par contre, présenter des variantes importantes, être organisée de différentes façons. À un certain niveau de développement des forces productives, certains rapports de production ne sont plus possibles, d’autres ne le sont pas encore (et ne sont souvent pas encore imaginés), mais plusieurs fomies d’organisation des mêmes rapports sociaux peuvent exister, et ce d’autant plus que les forces productives, les moyens d’agir sur la nature sont plus développés. Par exemple le Chili de Pinochet ou la France de Macron sont deux fomies, très différentes, d’existence du capitalisme. Pour prendre une image empruntée à la physique, les sauts qualitatifs, révolutionnaires, ont tendance à se faire à dépense d’énergie minimale, c’est-à-dire plutôt du côté du nécessaire que du souhaitable, tout en étant souvent motivés par le souhaitable dans la conscience populaire. C’est là l’apanage de l’humain. Il voit parfois (parfois seulement, malheureusement) plus loin que le nécessaire, il rêve et il fait des projets, des programmes des plans, il se projette dans l’avenir. Il construit l’avenir, jamais exactement
comme il l’a rêvé, mais c’est sa construction. Il en est ainsi de la Révolution Française ; les idéaux qu’elle a véhiculés allaient bien au-delà de ce qui a été réalisé. La bourgeoisie en tant que classe n’avait besoin que du nécessaire (ce qui était nécessaire pour faire du profit), le peuple quelle avait mis en mouvement et qui a mené la phase active (activiste) de la révolution se battait pour le souhaitable, la République sociale dont le projet continue jusqu’à nos jours en filigrane de l’histoire de France, avec de grands moments comme les communes de 1848 et 1871, dans une moindre mesure le Front Populaire, mais aussi les conquêtes du CNR à la Libération qui marquent encore aujourd’hui la société française et que la bourgeoisie s’acharne et s’échine à vouloir éradiquer non sans mal. Les intérêts de classe n’étaient pas les mêmes. La confiscation du processus révolutionnaire par la bourgeoisie, la mise en place et la stabilisation du capitalisme industriel nécessitaient l’assassinat de la Commune qui était porteuse des idéaux les plus avancés de la Révolution Française (La sociale !). Ces idéaux n’étaient pas générateurs de plus-value, pire, ils ouvraient la porte à une possible confiscation du surtravail par les travailleurs eux-mêmes. C’est ainsi qu’est né le Communisme pré-marxiste. Dans le processus révolutionnaire lui-même du reste cette lutte contre les éléments les plus avancés avait commencé.
De même on ne saurait juger de l’expérience socialiste du vingtième siècle sans prendre en compte, de façon fondamentale,
1 aspect économique des choses, au risque de passer à côté de 1 essentiel, c’est-à-dire de ne pas comprendre les causes profondes des événements qui ont marqué l’épopée communiste de ce siècle.
L’expérience soviétique (et par certains aspects aussi l’expérience chinoise à ses débuts) a lieu dans un pays arriéré, il faudra aux dirigeants communistes mener de front et en contradiction, simultanément, deux fronts révolutionnaires, abolir la société monarchique semi-féodale héritée du tsarisme et essayer de mettre en place un système de production et d’échange à caractère socialiste dans un contexte de guerre civile et d’intervention étrangère.
Pour la Chine il faut casser à la fois les structures féodales de l’empire du milieu et se débarrasser de l’intervention étrangère néocoloniale d’asservissement, avilissement, de la société chinoise qui est essentiellement agricole.
Aujourd’hui, il lui faut accéder au statut de puissance mondiale en développant harmonieusement les forces productives du pays en donnant à ce développement une orientation socialiste résolue alors que pour un temps encore le système dominant à l’échelle mondiale est le système capitaliste qui fait tout pour essayer de déstabiliser la Chine.
3.3.1 - Une citadelle assiégée
Dès sa naissance, l’URSS se considère à raison comme assiégée33 et le problème vital, essentiel, problème de survie qui est posé, est celui d’assurer l’indépendance économique et la parité militaire : « La guerre est inexorable. Elle pose la question avec une âpreté
implacable : ou bien périr ou bien rattraper les pays avancés et les dépasser aussi du point de vue économique34 »
Toute l’histoire des expériences socialistes est surdéterminée par cela, l’ignorer c’est au mieux se boucher les yeux, au pire falsifier l’histoire. En effet, la question que doit se poser tout analyste de l’expérience socialiste est la suivante :
Comment faire pour qu un pays (l’URSS en l’occurrence) qui, en 1930 sort à peine de la guerre civile, ravagé, privé de cadres et de technologie, quasi exclusivement agricole, soumis à un blocus hypocritement appelé « cordon sanitaire » produise en 1942 plus de canons et de chars modernes que tout le reste de l’Europe réunie, Allemagne comprise ?
3.3.2 - La mobilisation du capital
Cela n’est possible que par une mobilisation de tous les instants et de tous les secteurs de la société, et pas seulement de 1 économie, tout se fait dans une urgence vitale, à marche forcée. Si ceci explique la ligne politique globale, cela ne justifie en rien 1 utilisation de la terreur comme moyen, en particulier contre des communistes. Monter ex nihilo une industrie lourde dans un pays soumis à un terrible blocus et un encerclement militaire nécessite des investissements colossaux, donc une mobilisation de capital extrêmement importante, y compris et surtout de capital humain. Dans un pays agricole, le capital se trouve dans l’agriculture et c’est là qu’il faut en dégager, en mobiliser. D’où la politique de
collectivisation forcée des terres35. C’est à ce prix que l'Armée Rouge est entrée dans Berlin n’en déplaise aux contempteurs !
3.3.3 - La coopération industrielle avec l’Allemagne
L’acquisition des technologies de base de l’industrie ne pouvant se faire à partir des principaux pays occidentaux à cause du blocus anti-bolchévique (le fameux « cordon sanitaire »), c’est en jouant sur les contradictions inter-impérialistes que l’URSS résout le problème, en passant des accords industriels avec un autre pays, détenteur du savoir-faire technologique, lui aussi soumis à une forme de blocus consécutif à sa défaite dans la première guerre mondiale, l’Allemagne, que l’URSS acquit une partie de sa technologie. L’URSS accepta ainsi des usines d’armement allemandes sur son territoire. D’une part l’Allemagne n’avait pas le droit d’en avoir, le traité de Versailles l’ayant mise au ban des nations occidentales, d’autre part, cela permettait à l’URSS, d’acquérir les technologies afférentes, tout en introduisant de la contradiction dans le jeu inter-impérialiste. Toutefois si cette production permit l’acquisition de savoir-faire et d’outils industriels, qualitativement indispensable, elle s’avéra quantitativement marginale.
3.3.3.1 - Payer le prix
Cette industrialisation à marche forcée a eu un coût terrible. Ce coût à payer est le centre de la polémique entre Préobrajenski et Boukharine ; Boukharine « opposition dite de droite » prônant une concentration agricole à base d’incitations et de mécanismes de marché. Boukharine voit bien que le danger intérieur est d’aliéner une grande partie sinon toute la paysannerie à la
i é\ olution, Préobrajenski « opposition de gauche » pour sa paît prône la concentration à marche forcée, l'industrialisation nécessitant selon lui une « accumulation socialiste primitive ». On sait comment Staline, sur une ligne « centriste » a tranché le débat. L uigence commandait. La vision historique de l’inéluctabilité de la guerre a sous-tendu toute cette politique. L’Histoire a donné raison à Staline et la direction soviétique d’alors sur cette ligne politique si ce n’est sur les méüiodes marquées par la brutalité, conséquences d’une société peu développée, pour ne pas dire arriérée.
Toutefois, on ne peut juger du coût d’une telle construction que pai 1 apport à d autres. Ainsi, quel a été le coût humain de 1 industrialisation capitaliste, alors qu’elle n’était pas soumise aux mêmes contraintes ni aux mêmes urgences ? Sans parler de 1 extermination systématique des amérindiens39 ni des conditions de travail dans les colonies. Rappelons-nous les enfants de neuf ans travaillant dans les mines et les émeutes de la faim dans les cités ouvrières ; il suffit de relire Zola.
Et aussi : On peut citer ici les enquêtes de Villermé ou de Buret. Les statistiques de 1837 révèlent que sur 10.000 conscrits on compte 8.980 infirmes ou déficients. « À Lille il meurt avant la cinquième année un enfant sur trois dans la rue Royale, et, dans la rue des Etaques considérée seule, c’est sur 48 naissances, 46 décès que nous constatons » . À Nantes, le docteur Guépin nous apprend que « les ouvriers n’élèvent pas en moyenne le quart de leurs enfants »... 36 37
L’aventure coloniale elle aussi (et avant l’esclavage), avec son cortège de massacres, de pillages et de souffrances a joué un rôle important dans l’accumulation primitive du capital (voir à ce propos [Bihr, 2018]).
3.3.3.2 - Une dérive dramatique
Cette nécessaire mobilisation de tous les instants, de toutes les forces vir es, dans un pays arriéré à tous points de rue aura des conséquences dramatiques, tragiques même. Toute l’activité intellectuelle elle-même est mobilisée, instrumentalisée. Il en va ainsi des arts, de la musique, du cinéma, etc. Il faut mobiliser les masses, d’autant plus que l’ennemi le fait lui ! Il en va aussi ainsi de la pensée, de la philosophie. Un cadre révolutionnaire soviétique des années 1920—1930 est quelqu’un qui sait lire et écrire, c’est tout, et il y a beaucoup plus de popes que de cadres bolchéviques.
L’urgence est telle, le niveau idéologique, et plus généralement culturel, si faible, reflet du développement réel du pays, qu’on passe de la philosophie marxiste à une pseudo théorie marxiste-léniniste, théorie qui donne le mode d’emploi de toute chose dans toutes les situations. Théorie de l’action aussi, elle-même sans philosophie, mais c’est un autre débat, récurrent encore aujourd’hui. On dispose alors d’un schéma d’analyse
prédéterminé, il suffit de l’appliquer et on a la Science des sciences, et toute activité humaine, la pensée, l’activité scientifique, sont ainsi formatées. Possédant la science des sciences, on n’a plus besoin de l’avis des autres, la science des sciences peut donner son avis sur tout. La gestion de la polémique entre Lyssenko, qui sans le savoir
est paradoxalement un précurseur de l’épigénétique, et Vavilov38 illustre savant tenant de la génétique mendélienne qui avait commencé un programme alors unique au monde d’importation systématique de variétés de plantes issues d’autres contrées de la Terre et avait initié l’étude de ces variétés en vue d’améliorer les espèces vernaculaires ; on sait comment le débat fut à l’époque dramatiquement tranché. Cela illustre à quelles aberrations on peut arriver lorsque l’idéologie et la politique entendent interférer et dicter leur loi dans le débat scientifique, d’autant plus que dans ce cas précis, l’URSS eut pu être en pointe en menant sereinement le débat qui sera tranché quelques années plus tard avec précisément l’avènement de l’épigénétique qui ne s’oppose pas à la génétique mais au contraire vient compléter le tableau et confirmer le rapport dialectique entre l’ADN et son environnement [Waddington Hal, 1957] (un autre point de vue : [Valiant, 2019]).
De même la nécessité de la mobilisation, cette interférence du politique qui se veut scientifique conduiront au calamiteux discours de Staline du 5 mai 1932 sur l’art et le réalisme socialiste qui coupe les ailes à toute une école artistique dans le domaine des arts plastiques. L’autorité scientifique est absolue. On le sait, la science n’est pas démocratique. On ne vote pas la validité d’un théorème, on le prouve, sauf que là on ne prouve rien.
3.3.3.3 - Une vision mécaniste et stérilisante
Au nom de la mobilisation des énergies, vitale, absolument nécessaire, on en arrive à la stérilisation de la pensée critique, donc
à l’empêchement de toute création véritable par un endoctrinement normalisant et destructeur. Là où la dialectique marxiste devait s’enrichir du mouvement de la pensée critique et de l’affrontement de ses hypothèses au réel, elle devient vade mæcum de toute activité humaine. La vision mécaniste prend le pas sur le processus dialectique, on passe de la théorie au dogme quasi religieux. Staline ira jusqu’à énoncer dans Matérialisme dialectique et matérialisme historique la « Loi de la correspondance nécessaire ». Passons déjà sur le terme de « Loi » pris ici au sens strict des lois de la mécanique élémentaire39, mais parler de « correspondance nécessaire » est en soi tout un programme, une conception mécaniste de l’histoire des sociétés qui fait l’impasse sur l’action des acteurs de l’histoire, les hommes. S’il y a correspondance nécessaire, elle s’opère automatiquement bon gré, mal gré. Cela est en contradiction flagrante avec tout l’enseignement du marxisme. Le drame se joue alors. On passe de la dictature nécessaire pour construire un ordre nouveau et faire face en situation de guerre, à un despotisme sclérosant et destructeur.
Mais si le développement des forces productives était au centre des préoccupations des dirigeants soviétiques, ce n’était que le développement de moyens de production et de l’acquisition de technologies existants. Il n’y a pas émergence de force productive nouvelle. Il s’agit là d’un « rattrapage » de développement, et qui
plus est de surcroît d’un développement essentiellement quantitatif de moyens de production40.
« Nous retardons de cinquante à cent ans sur les pays avancés. Nous devons parcourir cette distance en dix ans. Ou nous le ferons, ou nous serons broyés. »“.
3.4.1 - Le poids de l’histoire
Qui plus est, les superstructures étatiques, juridiques, mentales sont celles héritées du tsarisme, société de type monarchique, autocratique. Ainsi, non seulement la phase économique du développement capitaliste est sautée, comme en prend acte Lénine lorsqu’il lance la Nouvelle Politique Économique (NEP), mais aussi tout l’acquis démocratique qui est lié à cette société, nécessaire à son développement, c’est-à-dire essentiellement certaines libertés individuelles, ne serait-ce par exemple que la libre circulation des individus nécessaire à la constitution du marché de la force de travail. Le prolétaire est alors libre de choisir ses exploiteurs. Marqués par le sceau du capitalisme, non ressentis comme nécessaires au développement d’une économie socialiste de guerre, ces acquis démocratiques non seulement ne se frayeront pas un chemin dans une société confrontée à une guerre permanente, d’abord civile, puis mondiale, puis froide, mais cette
situation ne permettra pas l’épanouissement de nouvelles libertés ni de nouvelles formes d’organisation et d’intervention des citoyens, puisque non ressenties comme nécessaires. La nécessité s’en fera jour lorsque le développement de la société elle-même ne sera plus possible dans ces conditions. Trop tard. C’est alors le système capitaliste, dominant au plan mondial qui arbitrera la crise, on sait comment !
3.4.2 - Le souvenir de la répression
De plus, les dirigeants soviétiques de l’époque, même s’ils regardent du côté de la Révolution Française et s’en réclament en ce qui concerne la radicalité révolutionnaire n’en voient pas l’aspect des acquis démocratiques. Ceux-ci sont d’autant plus considérés comme une faiblesse ou pire, un leurre, que, vu de 1917, il n’y a pas si longtemps que la bourgeoisie française a écrasé les tentatives révolutionnaires ouvrières dans des fleuves de sang, les Communes de 1848 et surtout 1871. En outre, une lecture rapide de K. Marx peut laisser penser qu’il fustige la Révolution Française en la qualifiant de bourgeoise, le côté dialectique et contradictoire de la chose étant totalement évacué.
Il faut ajouter à cela, en conséquence de l’échec des Communes de Paris (juin 1848 et mai 1871), de la République de Weimar, de la révolution Hongi'oise (république des conseils de Bêla Kun), la crainte, de lapait de la bourgeoisie, d’une répression d’une férocité totale, comme elle l’a été contre les acteurs de ces révolutions avortées. Les révolutionnaires russes d’alors en avaient fait l’expérience malheureuse en Russie même en 1905. Staline entre autres qui fut déporté sept ans en Sibérie et y a vu mourir de faim nombre de ses camarades, et Lénine dont la pendaison de son frère Alexandre fut un marqueur décisif de son engagement révolutionnaire. Même pour un monde sortant de la boucherie de
la guerre de 1914 ces répressions étaient d’autant plus vivaces dans les mémoires qu’en 1918, après l’accession de la Finlande à l’indépendance grâce au pouvoir soviétique, la répression contre-révolutionnaire qui frappa les révolutionnaires finlandais fut un véritable massacre orchestré par le général Mannerheim qui devint ensuite un familier de Hitier. Ces rappels dramatiques à la réalité ont sans aucun doute marqué comportements et échelles de valeurs. Quitte à se faire massacrer, liquidons l’adversaire pour l’empêcher de relever la tête, et par extension, tous ceux qui plus ou moins ne sont pas en phase avec l’avant-garde révolutionnaire (s’autoproclamant comme telle bien sûr), la moindre faiblesse pouvant s’avérer fatale.
3.4.3 - La contradiction
On mesure mal souvent ce que la course aux armements, la guerre froide et l’aide au développement d’autres pays ont coûté à l’URSS. Il ne s’agit pas seulement de parts du budget national, mais dans un pays exsangue (29 millions de morts dans la seconde guerre mondiale, 13 millions de militaires et 16 millions de civils, 80 % de la classe 42, c’est-à-dire de ceux qui eussent eu 40 ans en 1962, la force vive du pays, et évidemment, les classes 40, 41, 43 ont aussi été sérieusement étrillées) et arriéré, d’affectation des priorités, en cadres, en hommes, en technologies, en investissements, de freins aussi au développement de la pensée. La seconde guerre mondiale a été vis-à-vis de l’URSS une guerre d’attrition suivant le mot de la grande historienne Annie Lacroix-Riz [Lacroix-Riz, 2004].
On a souvent dit en France que l’URSS avait de gros retards technologiques, c’est pour l’essentiel faux au sens où dans le domaine militaire il y avait ce qu’il fallait. Les super-ordinateurs soviétiques étaient parmi les plus rapides du monde, ils avaient
5 ans d’avance sur l’occident et les USA41 42. Boris Babayan et ses collègues ont développé Elbrouz-I, un ordinateur super scalaire, dès 1978, 15 ans avant l’appantion de cette technologie en Occident en 199216.
Dans le domaine spatial, leur réussite est plus connue du grand public, la fusée Soyouz qui vole depuis soixante-dix ans maintenant avec plus de mille tirs à son actif, tirée par tous les temps, est inégalée encore à ce jour. Il en est de même pour la station orbitale MIR qui fut la toute première station orbitale humaine mise en orbite en 1986 jusqu’en 2001 où elle fut déduite volontairement, la Russie participant dès lors au programme ISS. La fusée Energia est encore aujourd’hui (en 2018) la plus puissante fusée créée par les hommes. Les Soviétiques étaient maîtres incontestés en physique des particules (l’appareil Tokamak qui permet l’étude de la fusion thermonucléaire est de conception soviétique), leur technologie de l’acier était une des toutes premières du monde, presque tous les brevets concernant la coulée continue, la coulée sous laitier, la fabrication d’aciers spéciaux (aciers à l’argent, aciers au plomb, mousses de fer, mousses de matériaux composites, etc.), sont soviétiques. L’essentiel de la technologie du titane est d’origine soviétique. Ce sont les Soviétiques qui ont inventé le laser (à ce propos on oublie souvent délibérément ? de dire que deux Soviétiques Nicolay G. Basov (1922 — 2001) et Aleksandr M. Prokhorov (1916 — 2002) ont eu le prix Prix Nobel de Physique en 1964, avec Townes (qui l’avait découvert 5 ans après eux !) pour cette découverte).
Que dire des écoles mathématiques et physiques de l’URSS, Ambartsoumian, Androv, Babayan, Cerenkov, Chevtchenko, Dinic, Ershov, Frank, Kantorovitch, Kapitza, Karzanov, Keldych, Khachyan, Kolmogorov, Korolev, Kotov, Kourtchakov, Landau, Lebedev, Léontiev, Lidorenko, Lifchitz, Lupanov, Markov, Maslov, Metcnikov, Nazirov, Pavlov, Pereleman, Perelygine, Pontiyagrn, Sagdeev, Sakharov, Sedov, Semenov, Sobolev, Sviridenko, Tarn, Tchekounov, Tikhonravov, Tolstoï, Trathenbrot, Tsiolkovski, Vavilov, Vitt, Yablonski, etc. ? pour ne citer que ceux-là qui sont les plus connus ou encore Vitgosky en pédagogie et développement de l’enfant, dont on n’a pas fini d’entendre parler. Ils ont marqué l’histoire de leur discipline. On peut constater également que, contrairement aux USA, l’URSS n’a pas cherché à drainer les élites scientifiques d’autres nations. L’URSS était en mesure de former les élites dont sa société avait besoin. Plus encore, l’université Patrice Lumumba en témoigne, elle a contribué à former les élites de nations en voie de développement, élites qui retournaient dans leurs pays, leur apportant ainsi leurs savoir-faire. De même, la coopération soviétique avec des pays en voie de développement, si elle n’a pas toujours été exempte de maladresses, a été d’un grand secours pour ces pays. Elle n’a pas revêtu le caractère impérialiste de « l’aide » des pays capitalistes au tiers-monde, aide dont le seul but in fine est de les faire entrer dans le grand marché mondial pour pouvoir mieux les exploiter, ce qui, quoi qu’on en dise n’était pas le cas pour l’URSS. Cela lui a coûté cher car là où les pays capitalistes développés tiraient des bénéfices économiques de leur exploitation du tiers-monde, pour l’URSS, l’aide se traduisait plutôt par des coûts, même si bien sûr il y avait un indéniable intérêt politique.
Dans bien des domaines technologiques ou scientifiques encore, en particulier en électronique, en avionique, en automatismes, en médecine, etc.... l’URSS était obligée de développer elle-même, souvent ex nihilo toute la technologie moderne, elle n’avait pas la possibilité d’acheter de la technologie de pointe à l’étranger (COCOM). Il faudra aussi dire un jour que l’URSS fut le seul pays du Tiers-Monde qui ait réussi, malgré tout, sa sortie du sous-développement, c’est d’ailleurs un des éléments de son aura dans ces pays.
Mais, en grande partie (mais pas seulement, les pesanteurs historiques et culturelles ont joué aussi un rôle important) à cause de la guerre froide, toutes ces avancées technologiques restaient pour l’essentiel confinées dans des domaines précis, militaire en particulier. Elles ne bénéficiaient pas suffisamment à la production civile ou à la population. C’est sans doute là, dans l’outil de production de masse que se situait le retard.
3.4.4 - Le rôle de la technologie militaire
Contrairement à ce qui se passe aux USA où la technologie militaire a toujours eu des retombées importantes dans le domaine civil, le DOD43 44 sert à financer des recherches au travers des universités ou de laboratoires de la NSF18. En effet, le cycle de fonctionnement est particulièrement bien inséré dans le système américain, la socialisation des retombées de la recherche-développement se fait au travers du marché, c’est de plus un moyen indirect de financement de la recherche militaire. Par exemple la diffusion massive des microprocesseurs a permis d’en faire baisser le coûtmarginal. En URSS, pour des raisons qu’il reste
à élucider ce ne fut pas le cas. Le culte du secret, la logique de rattrapage ont sans doute joué un rôle déterminant. Le problème des soviétiques n’était pas de vendre des ordinateurs, et donc de créer les besoins afférents, mais de produire les ordinateurs dont ils avaient besoin, ils n’étaient pas dans une logique marchande. La logique était de répondre à des besoins, pas une logique de l’offre. C’est un problème clé sans doute du développement de la société socialiste dans un monde largement dominé par le capitalisme qui impose encore pour quelques temps, qu’on le veuille ou pas, son calendrier. C’est le rapport entre la politique du développement de forces productives et la politique de développement des rapports sociaux qu’il conviendrait d’analyser ici. Par exemple alors que les besoins sociaux et économiques s’expriment en système capitaliste au travers du marché le problème du fonctionnement d’un marché socialiste, ou éventuellement d’un autre mécanisme de régulation, n’a jamais été correctement abordé, du moins dans les pays socialistes développés (URSS, RD A, Tchécoslovaquie) au cours du XXe siècle. La Chine aujourd’hui met en place un système de production et d’échanges à caractère socialiste dominant qui pose les problèmes auxquels va se confronter une économie socialiste développée dans un monde encore dominé par l’impérialisme, même s’il est, par la Chine en particulier, fortement contesté et miné par ses contradictions internes et son rapport à la nature.
3.5 - Le printemps avorté
Ce n’est que dans les années soixante que le problème de la contradiction entre la dynamique des forces productives dans les pays socialistes développés et l’organisation de la société commence à se poser en d’autres termes. Le développement des sciences est alors vu comme émergence d’une force productive nouvelle, d’une force productive spécifique du socialisme. Analyse
visionnaire s’il en est, La Science Force Productive Directe, l’histoire a tranché dans ce sens, n’en déplaise aux tenants de l’économie subjective, même s’il convient aujourd’hui d’en « revisiter » le concept. Malheureusement l’articulation avec l’organisation sociale et la nécessité absolue de libérer la créativité sociale et indhiduelle, pourtant pointée par les promoteurs du Printemps de Prague en 1968 [Richta, 1969]19 n’a pas été faite. Au contraire l’expérience tchécoslovaque a été étouffée. Elle a buté sur des intérêts géostratégiques mal compris et une sclérose de la pensée communiste dans les pays socialistes, en premier lieu en URSS. Du reste ce n’est pas par hasard si c’est à Prague que la tragédie s’est jouée, c’était l’un des pays socialistes technologiquement le plus avancé et de plus celui qui avait historiquement des traditions démocratiques, fussent-elles celles de la démocratie bourgeoise45 46.
3.5.1 - La guerre perdue ‘
Le système soviétique héritier de l’histoire monarchique et autocratique Russe, engoncé dans les logiques de rattrapage et de guerre civile, mondiale, puis froide n’a pas pu (pas su ?) faire émerger en son sein une démocratie indispensable (du reste pas nécessairement identique à celle qui existe dans nos pays) ; pire, il a étouffé l’embryon de démocratie directe dont les soviets étaient porteurs, même si comme l’a fait remarquer Rosa Luxemburg, ils présentaient eux aussi des défauts importants du point de vue de la démocratie. Tant qu’il s’agissait de « rattraper » les grands pays
capitalistes ou de mener la guerre, ces méthodes de gestion et de direction avaient une efficacité certaine. Dès lors qu’il s’agissait de « passer à autre chose », elles devenaient non seulement un frein mais surtout un élément de sclérose ; la maille filée qui devait emporter tout l’ouvrage. Le camp socialiste européen a perdu la guerre froide, car c’est bien de guerre qu’il s’agissait.
Du fait du retard et des conditions de guerre, le problème du développement de forces productives spécifiques du socialisme, de rapport au travail, de la redéfinition de celui-ci, ne s’est pas posé avec suffisamment de force. Le problème a pour l’essentiel toujours été de développer des forces productives matérielles à parité avec les grands pays capitalistes développés. La question était posée en termes de vie ou de mort pour l’URSS.
Cette question, majeure selon nous de l’émergence d’un système technique spécifique du communisme est l’enjeu et le défi posé aujourd’hui à la Chine populaire et à ses dirigeants. La question écologique et plus généralement environnementale en sera, n’en doutons pas un élément structurant.
3.5.2 - La confusion
L’expérience socialiste soviétique se place d’emblée sur les mêmes critères que la société capitaliste. Lénine lui-même n’est pas exempt de cette vision purement économiste de la compétition entre socialisme (il écrit lui communisme) et capitalisme : « La productivité c’est en dernière analyse ce qu’il y a de plus important, d’essentiel pour la victoire du nouvel ordre social. Le capitalisme peut-être définitivement battu, et il le sera parce que le socialisme crée une productivité nouvelle, beaucoup plus élevée. Tâche très
difficile et très longue. (...) Le communisme, c’est une productivité supérieure à celle du capitalisme47 » (voir [Lénine, 1967]).
La contusion est patente qui veut comparer capitalisme et socialisme, et même communisme avec des critères intrinsèquement issus du mode de production capitaliste, du moins dans leur formulation ; d’autant plus que c’était l’occasion de faire évoluer le concept de productivité en y incluant des aspects non monétaires et environnementaux au sens large. En effet, en reposant en d’autres termes le problème de la productivité, c’eut peut-être été une autre histoire. C’est compréhensible aussi, la Russie n’ayant pas atteint le stade du capitalisme développé, l’après capitalisme n’est pas concevable en des termes autres. La cohabitation, ou plutôt la compétition entre les systèmes socialiste et capitaliste elle-même, le système capitaliste étant dominant à l’échelle mondiale, impose ses critères :
« le nouveau système naissant, ici le socialisme, n’est pas libre de développer à telle ou telle vitesse et dans tel ou tel sens ses forces productives car il doit pouvoir résister victorieusement aux contraintes de tous ordres que l’autre lui impose » [Lavallée Léon, 1969].
3.5.3 - L’organisation force productive
On peut ajouter ici que c’est d’autant plus vrai, qu’à l’échelle mondiale c’est l’autre qui est très largement dominant. Les rapports de production étant intimement liés au développement des forces productives il a fallu assumer des rapports de production capitalistes, des méthodes de commandement héritées de l’autocratie tsariste, des modes de pensée, dans une société qui se
voulait socialiste, c’est-à-dire censée être débarrassée de ces rapports de production et de ces méthodes. Il eût fallu également comprendre et intégrer dans la pratique, de façon non mécaniste, que 1 organisation elle-même est une force productive, ce que Boukharine avait déjà vu en son temps.
3.6 - Le front de classe au vingt et unième siècle
Les pays socialistes, le mouvement communiste en général, au vingtième siècle, ont joué un rôle majeur, déterminant, dans les grandes conquêtes ouvrières et de libération nationale. Quels qu’aient pu être les erreurs, les crimes même, les déviations, cette expérience historique a joué un rôle majeur dans le front de classe à l’échelle planétaire. L’écrasement du nazisme, les luttes de libération nationale, la décolonisation, en témoignent. Même dans ce qui est considéré comme ses pires années, l’URSS joue un rôle décisif dans les luttes de libération nationale, pour preuve ce discours de Staline de 1952 : « (...) auparavant la question nationale se léduisait habituellement à un nombre de problèmes restreints qui concernaient généralement les nations dites civilisées (...) Des dizaines et des centaines de millions d’hommes appartenant aux peuples d’Asie et d’Afrique qui subissaient le joug colonial sous les lormes les plus brutales et les plus féroces n’étaient habituellement pas pris en considération. On ne se décidait pas à mettre sur un même plan blancs et noirs, « civilisés » et « non civilisés ». Le léninisme a démasqué cette disparité scandaleuse ; il a abattu la barrièie qui séparait les blancs et les noirs, les européens et les asiatiques, les esclaves de l’impérialisme « civilisés » et « non civilisés », liant de cette façon, le problème national au problème des colonisés (...) ».
Le Front Populaire en France et les conquêtes qui y sont liées n auraient vraisemblablement pas vu le jour sans ce rapport de
forces mondial ni ce jour qui se levait à l’est, les conquêtes ouvrières de la Libération, avec des ministres communistes au gouvernement en France sont dues à la place majeure, décisive, prise par les communistes dans la résistance et à leur sacrifice, place payée au prix du sang, et par l’URSS sur la scène mondiale. Il en est de même pour le secteur public et nationalisé (EDF-GDF, SNCF, PTT, etc.), aussi pour la Sécurité Sociale mise en place par Ambroise Croizat ministre communiste à la libération48. Le programme du CNR est dû à la puissance du PCF à la Libération. La relative perméabilité du capital aux revendications ouvrières dans les pays hautement développés, le « welfare State », une certaine démocratie même sont le résultat de ce rapport de forces. Mais ne nous y trompons pas, démocratie, conquêtes ouvrières sont des freins, des contraintes à l’ordre capitaliste, c’est-à-dire à la valorisation du capital. Le front de classe étant affaibli, le capitalisme cherche à se réorganiser en se débarrassant de ce qu’il considère comme des entraves. La mondialisation actuelle, dont la construction européenne est un élément structurant est un moyen puissant pour ce faire et contourner les éventuels acquis nationaux.
Les attaques systématiques contre les conquêtes ouvrières et populaires actuelles des gouvernements successifs, qu’ils se réclament d’une certaine gauche ou du ni droite ni gauche (donc de droite !) en sont une illustration frappante. La désindustrialisation d’un grand pays colbertiste comme la France est due en grande partie à une volonté de délocalisation de la production de façon à se débarrasser du prolétariat ouvrier français trop revendicatif pour le taux de profit.
La période historique qui s’ouvre devant nous fera tomber les masques. Il y a incompatibilité structurelle entre capitalisme et démocratie, entre capitalisme et social, entre propriété privée des moyens de production et d’échange et gestion rationnelle des ressources naturelles, c’est-à-dire écologie et environnement. Que ceux qui ont cru pouvoir se réjouir de la défaite des pays socialistes d’Europe dans la guerre froide, hurler avec les loups, en mesurent bien toutes les dimensions. Ce que le capitalisme, qui a fait bien pire, reproche à Staline et aux dirigeants soviétiques, ce ne sont ni les crimes ni les déviations du socialisme, au contraire cela leur était un atout dans la guerre idéologique, ce qu’ils n’ont pas digéré, c’est Stalingrad !
La rupture du front de classe par la défaite des pays socialistes européens est une tragédie historique qui risque de se payer au prix d’une aventure fasciste à l’échelle planétaire comparable au nazisme, les armes de destruction massive en plus, et le risque de pollution nucléaire — ou chimique, n’oublions pas l’agent orange pour des siècles. La catastrophe climatique, biologique et plus généralement environnementale nous guette.
La montée en puissance de la Chine rient contrebalancer la domination mondiale LS. Elle tend à l’indépendance technologique totale vis-à-vis des USA (industrie électronique entre autres) et plus généralement de l’occident. Les USA sont en perte de vitesse, et partant sont d’autant plus dangereux ; des aventuriers pouvant déclencher l’apocalypse nucléaire.
La bataille de classes qui s’annonce va être rude, sanglante même, elle n’est pas gagnée d’avance.
4.1 - Ça bouge dans les sciences
L’intérêt majeur pour les sciences et les techniques est consubstantiel au combat communiste. Ainsi Lénine pouvait-il lancer le mot d’ordre « Le pouvoir des soviets et l’électricité » et écrire en 1905 « Matérialisme et empiriocriticisme ». Ces XXème et XXIème siècles connaissent une activité scientifique intense qui n’a pas de précédent dans l’histoire.
Nous ne nous intéressons toutefois ici qu’aux aspects qui ont conduit à la Cyber-révolution, mais il y a nombre d’autres avancées significatives et disruptives dans les sciences49. En 1942, Fermi fait diverger la première pile atomique ; en décembre 1951 les USA construisent la première centrale nucléaire expérimentale, et le 27 juin 1954 la première centrale électronucléaire est connectée au réseau en URSS. Frédéric Joliot peut déclarer « avec la maîtrise de l’atome, l’humanité sort de la préhistoire ! » Du point de vue des forces productives, si le XVIIIe siècle voit émerger la maîtrise de la vapeur (Denis Papin 1769 et surtout Watt en 1781), les XIXème
et XXème siècle sont, pour l’essentiel les siècles de la maîtrise de l’énergie. Il en est ainsi des transformateurs d’énergie, tels la machine à vapeur, le moteur à huile lourde, le réseau et le moteur électrique, puis la maîtrise de l’énergie nucléaire.
4.1.1 - La science au secours de la technique
Une remarque ici s’impose. Le développement des machines à vapeur de la fin du X\ Ilème siècle jusqu’à la première décennie et un peu plus du XVIIIème est du niveau expérimental, inventions et innovations poussées par les premiers balbutiements de la révolution industrielle en Grande Bretagne essentiellement. Rapidement, au début du XIXème siècle, les améliorations dans le rendement, sont marginales et le fait d’innovations ; disons-le, de bricolages.
C’est en 1824 que le physicien français, Sadi Carnot50 [Sadi Carnot, 1824] dans un ouvrage quasi confidentiel, trié à l’époque à 600 exemplaires va faire l’étude théorique afférente aux machines thermiques et ainsi débloquer la situation. La science vient là seconder la technique.
Ce sera l’inverse en ce qui concerne la Cyber-révolution, c’est d’une avancée conceptuelle majeure, dans la science la plus pure, la logique mathématique que viendra le révolutionnement des forces productives.
La maîtrise de l’énergie est le cœur du système technique de la révolution industrielle, elle aura mis environ 200 ans à s’imposer, la Cyber-révolution elle, mettra 50 ans à le faire.
Revenons à 1938, ou plutôt à 1936 pour commencer. Deux événements majeurs au niveau de l’évolution (je devrais écrire plutôt révolution) des forces productives vont marquer la décennie 1936—1948, lourds de conséquences pour le travail et permettant une croissance et une efficacité sans précédent des dites forces productives, et donc du capitalisme, à l’inverse de la prédiction de Trotsky51, mais nul, ni lui ni personne, à l’époque ne le perçoit, sous cet angle du moins.
En URSS en ces années 20-30 la préoccupation est de mener de front deux révolutions, l’une, bourgeoise, pour sortir les peuples soviétiques du quasi féodalisme issu du tsarisme basé presque uniquement sur la terre, un monde agricole très arriéré52.
L autre révolution se veut socialiste, avec l’ennemi sur les frontières pouvant attaquer d’un jour à l’autre et s’appuyant sur la meilleure industrie au monde à l’époque, celle de l’Allemagne dotée d’une tradition militaire ancestrale et d’une armée qui se reconstitue sur un terreau militariste nationaliste et fasciste. Telle est l’équation à résoudre pour les dirigeants soviétiques. Il leur faut construire le socialisme de guerre sur les forces productives du capitalisme industriel en cours d’obsolescence historique en s’appuyant sur les forces productives déjà vieillies, issues du tsarisme et un peuple quasi analphabète53. Cette situation va mener à des méthodes de direction et gouvernement draconiennes, et disons-le, dictatoriales, qui n’ont rien à envier aux méthodes utilisées par la Révolution Française en pays chouan ou contre l’Eglise catholique et ses prêtres réfractaires.
Les forces productives spécifiques du socialisme ne sont pas à 1 ordre du jour qui eussent permis de poser concrètement la question du dépassement du système de production et d’échanges capitaliste et de modifier les rapports sociaux en conséquence.
4.2 - La machine de Turing
Le 28 mai 1936 à Princeton, aux USA à mi-chemin entre Philadelphie et New-York, le mathématicien britannique Alan Madiison Turing avance un concept mathématique entièrement nouveau, une « expérience de pensée », ce qui prendra par la suite
le nom de son inventeur Machine de Turing et qui fonde formellement une discipline scientifique nouvelle, l’informatique, la science du calcul scientifique mécanique. Il faut prendre ici le terme « mécanique » appliqué au calcul, au sens « automatique » !
Le concept de machine diéorique est né ce qui illustre au passage une remarque du philosophe marxiste Louis Althusser sur la pratique théorique.
C’est là la matrice conceptuelle (voir 8.2) qui est à l’origine de ce que nous appelons aujourd’hui la révolution numérique54 véritable révolution en effet car elle marque une rupture nette dans notre façon de représenter et modéliser le monde, rupture qui se continue encore aujourd’hui dans nos façons même de faire science. Comme pressenti par maints savants avant Turing, y compris peut-être mystiquement par certains, les nombres donnent une représentation du monde55.
4.2.1 - Quand la mathématique pure saisit le monde réel
L’apport de Turing est déterminant, il permet d’écrire une page complètement nouvelle des mathématiques en élaborant une façon relativement simple de démontrer le premier théorème de Godel sur l’indécidabilité56, théorème qui révolutionne lui-même le corpus mathématique. Turing fonde ainsi ce faisant une nouvelle science, la computer science ou informatique, et un peu plus tard l’artifïcial intelligence57.
La machine de Turing Universelle (désormais MTU voir 8.2.3) prend une place qui s’avère vite fondamentale, car elle, c’est la machine à calculer universelle, la machine des machines ou si on veut, la mère des machines, la machine générique qui permettra de penser la machine-alpha58.
Elle calcule tout ce que les madtématiques savent décrire, modéliser et susceptible d’être calculé « mécaniquement », pas à pas, ce qui conduit tout naturellement à la conception et la formalisation du concept d’algorithme (voir 8.2.3).
Mais les mathématiques ont développé des concepts pour décrire au-delà des quantités. Les mathématiciens ont développé
la théorie des ensembles, la théorie des graphes et autres réseaux, arbres et algorithmes etc.
Tout est représentable mathématiquement entre algèbre, géométrie, arithmétique et informatique.
A la suite de Turing, les procédures madiématiques de résolution effectives — quand elles sont possibles (C’est précisément, comme écrit supra, pour démontrer le premier théorème de Godel sur la décidabilité que la Machine de Turing Universelle a été conçue) — se retrouvent de fait unifiées et les résultats sont calculables mécaniquement par une machine, de fait, universelle. La machine de Turing universelle (MTU) peut dès lors partir à la conquête de toutes les disciplines qui font le front de la connaissance et toutes les pratiques humaines qui prennent appui sur un effort de conceptualisation, de catégorisation, de classements, de raisonnement relationnel ou logique.
Dès lors, la MTU devient réellement universelle et son concept est appelé à investir non seulement tous les interstices de l’activité humaine, mais aussi les pratiques les plus élaborées comme la recherche par exemple qu’on ne peut plus concevoir aujourd’hui sans utiliser les concepts afférents. L’art même est concerné.
C’est la marque des gl andes découvertes, elles portent beaucoup plus loin que leur objet initial. La MTU, conçue pour résoudre un problème de mathématique pure envahit (il n’y a pas d’autre terme !) voire submerge le champ entier de l’activité humaine. Refondant le concept de calcul, Turing l’étend à toutes les activités, qu’elles soient humaines ou pas, c’est une conception généralisée du calcul et partant, le domaine d’application de la MTU !
L’espace de vie des hommes, est représentable par des structures mathématiques.
L’image plane d’un écran ou une photographie couleur sont représentables par une matrice de vecteurs pour chaque pixel sur trois niveaux de profondeur : un vecteur pour chacune des couleurs de base. Dès lors, il devient possible de calculer pour discriminer des zones, des objets... !
Tous les objets, ainsi que les êtres vivants peuvent ainsi être représentés par des objets mathématiques.
Tout ce que les mathématiques savent modéliser est à portée de MTU. Tout ce que l’intelligence modélise, conceptualise et organise, décrit en structures, est modélisable mathématiquement ; la linguistique, le droit, la philosophie, la sociologie peuvent utiliser la pleine puissance des mathématiques.
Les hommes peuvent désormais penser mathématiquement le monde naturel, leur monde social, en rendre compte par des structures mathématiques, des nombres et des calculs, et certains peuvent rêver à laisser à une machine le soin d’en assurer le traitement, le pilotage. En unifiant les calculs des disciplines scientifiques, la MTU annonce des convergences dans l’industrie des hommes ; l’irruption de la MTU dans le monde du travail et de la production, et, partant, une extension de la logique du capital à des activités qui échappaient jusqu’alors au besoin de machine. Plus encore, le principe opératoire des machines de l’industrie est rendu obsolète par ce nouveau paradigme qui va s’imposer partout où il s’agit de guidage sous quelque forme que ce soit. Qui dit guidage dit calcul !
L’histoire humaine de l’information commence en des temps immémoriaux, où, à peine émise, chaque parole, chaque pensée, s’évanouissait à jamais. Seule la transmission orale de grands récits
épiques transmis de génération en génération y échappait, mais « la perte en ligne » ou la déformation, étaient la règle. Le support de l’information était la mémoire des griots, des troubadours, labile et fragile, liée à la vie de l’individu qui la porte, à sa verve et son imagination, et à la crédulité ou l’attention des oreilles qui l’écoutent.
L’apparition de l’écriture marque une véritable révolution dans la transmission de l’information, tant transgénérationnelle, historique, que d’un individu à l’autre, d’autre part elle permet d’enregistrer la pensée, de revenir sur ce que nous même ou d’autres ont écrit il y a longtemps ou il y a une heure, et de l’améliorer. Ainsi nait la philosophie. En ce sens, elle permet de structurer la pensée, la réflexion, elle permet d’écrire le roman historique des civilisations qui la maitrisent, elle change la conscience humaine, elle permet que se structurent des sociétés, qu’apparaisse une administration plus complexe, elle élève l’humanité. La civilisation occidentale marque l’entrée dans l’histoire par l’apparition de l’écriture qui permet d’avoir des récits authentiques (ou au moins des chroniques) de l’époque où se sont déroulés les événements. C’est aussi avec l’apparition de l’écriture que se constituent bureaucratie et administration, laissant ainsi des traces écrites factuelles et « objectives » sur la vie de sociétés complexes.
Nous vivons aujourd’hui une révolution de l’information comparable à celle de l’apparition de l’écriture. Elle a commencé avec le télégraphe puis le téléphone, elle s’est développée et diversifiée avec l’électricité et l’électronique. La numérisation lui donne un autre élan, avec l’informatique, elle envahit la société, la vie quotidienne. Les machines désonnais jouent de la musique, saisissent des images, en créent, dirigent le tir de canons (Wiener),
dispatchent des appels téléphoniques, contrôlent des chaînes de production et de montage, pilotent des appareils d’investigation médicale, permettent d’affiner des diagnostics médicaux...
L’apport fondamental de la période moderne, c’est que ce traitement de l'information est fait consciemment, en tant que tel, l’information étant identifiée en tant qu’objet d’étude ; toutefois le support magnétique et électronique fragilise l’information, la rendant labile. Le risque majeur associé est celui d’une société sans mémoire historique.
4.3.1 - Les GAFAM
Dans le même temps, la possession des bases et banques de données associées confère un moyen d’action sur le monde et aussi de revenus financiers fantastiques, à tel point que les États du G7 en arrivent à proposer une taxe minimale de 15 % sur les bénéfices des dits GAFAM . En fait la détention de ces données est un « trésor de guerre » mais encore faut-il qu’il soit régulièrement mis à jour et ce qui fait l’intérêt de ces données n’est pas les données elles-mêmes mais leur traitement.
Outre les bases de données, les GAFAM jouent aussi aujourd’hui sur « l’effet de réseau » qui fait qu’ils tendent à devenir incontournables. Début 2020 les GAFAM pèsent 5000 milliards de dollars et occupent une situation stratégique qui les incite à essayer de se passer des états et à créer leur propre « espace vital » qui a tendance à envahir tous les domaines de la vie économique. A tel point que Facebook par exemple cherche à créer sa propre 59
monnaie, créant de ce fait une communauté du type des sectes ou plutôt un fief seigneurial. Comme le fait remarquer Pierre Louette [Louette, 2021], « Ce modèle néo-féodal permet à une nouvelle oligarchie économique, aveuglée par Tentre-soi" et oublieuse de l’intérêt général (y compris trop souvent celui des salariés, quand bien même elle serait persuadée de les choyer), d’accélérer la résurgence d’une société profondément inégalitaire, minant le lien social et le pacte démocraüque »
Norbert Wiener (voir [Wiener, 1948, Wiener, 1954]) introduit deux concepts clés :
• l’interaction (feed back en anglais, on utilise souvent improprement semble-t-il le terme de rétroaction pour qualifier ce concept, la rétroaction est une interaction, pas l’inverse)
• l’information avec sa célèbre formule : « L’information c’est l’information, elle n’est ni matière ni énergie ».
L’émergence du concept moderne d’information peut alors s’enclencher mais donnera lieu à des polémiques mathématico-philosophiques (Voir [Triclot, 2008] et [Gleick, 2015].) qui portent sur la notion de message et d’information. En 1948, Wiener publie l’ouvrage éponyme Cybemetics the scientific study of control and communication in the animal and the machine [Wiener, 1948]. C’est la discipline scientifique de la régulation des systèmes, qu’ils soient vivants ou que ce soit des artefacts. C’est un raisonnement in abstracto sur les systèmes dynamiques, quelle qu’en soit la nature. Si on sait en mettre en évidence les ressorts, on sait les contrôler et les diriger.
4.4.1 - Transistron et transistor
Il a fallu qu’apparaisse un élément électronique qui a pennis la miniaturisation et la diffusion massive des objets électroniques et informatiques.
Le 13 août 1948, une demande de brevet pour le transistron est déposée par deux chercheurs de la Compagnie des Freins et Signaux à Paris, Herbert Mataré et Heinrich Welker60. Ce transistron, dit transistor français ne doit rien à la découverte de trois américains en 1947 des laboratoires Bell, le transistor qui vaudra un Nobel à ses inventeurs John-Bardeen, William-Shockley et Walter-Houser-Brattain.
Le transistor est l’élément central qui va permettre de construire des ordinateurs de plus en plus performants, rapides et miniaturisés.
4.4.2 - Seconde phase, information et codage
Il m’arrive de regarder les informations à la télévision ou de les écouter à la radio. Notre regard sur le monde extérieur nous donne de l’information (ou des informations...) susceptible de nous faciliter la survie. Pour un neurobiologiste « le système nerveux transmet l’information suivant un code, l’analyse puis la traite ». Entre 1 information insipide sur les amours supposés d’une starlette et l’information GPS de ma voiture, il y a plus qu’un monde, le même mot recouvre des réalités très différentes.
4.4.2.1 - L;émergence de l'information comme objet scientifique
C’est Claude Elwood Shannon (né le 30 avril 1916 au Michigan décédé le 24 février 2001 au Massachusetts), ingénieur en génie électrique et mathématicien qui le premier va être capable de définir mathématiquement l’information, ([Shannon, 1948a, Shannon, 1948b]) et surtout le traitement de l’information. On n’a accès à l’information que parce qu’on la traite.
La cybernétique telle que décrite par Wiener nécessite que des systèmes, souvent eux-mêmes constitués de sous-systèmes communiquent entre eux et que les éléments de ceux-ci puissent également communiquer. Pour Wiener ils s’envoient des messages qui sont des signaux. Et ces signaux valent en tant que contenant une donnée quantitative car elle a vocation à s’insérer dans un calcul, une hiérarchie, un arbre de décision ou de corrélations... Le signal est nombre car le modèle ne fait que des calculs. De ce point de vue, mais de ce point de vue seulement, ils ne sont elïectivement ni énergie ni matière ; ceci dit ils ne peuvent être transmis ou lus qu’avec une dépense d’énergie et enregistrés dans de la matière...
Dans un premier temps la notion de calcul de Turing et l’usage que propose d’en faire le modèle cybernétique ne furent pas pleinement pris en compte dans leur exigences qualitatives et quantitatives. Les premières machines étaient essentiellement fondées sur l’électronique analogique, le courant continu. Un signal était transmis par modulation de fréquence d’un courant électrique en continu. La qualité des transmissions s’en ressentait gravement, ainsi que la dépense d’énergie correspondante. De plus, d’un point de vue technique, il n’était guère possible de
compresser les données, et donc le débit de transmission s’en trouvait limité.
L approche numérique — ou digitale — a fini par s’imposer. Parce qu’une machine à calculer à états est plus simple et au final plus performante que tout autre machine à calculer ainsi que l’avait énoncé Leibnitz... D’autre part, l’apparition du transistor fournit l’outil idéal à une démarche tout/rien directement liée au codage binaire.
Claude Shannon, et plus tard, Andreï Kolmogorov et Ray Solomonoff vont, de leur côté, développer une théorie de l’information. Information de communication pour Shannon, l’enjeu ici est la capacité de transmission et de réception, il faut que le message reçu soit identique au message envoyé, et donc il faut définir les règles statistiques de correction des transmissions. Contenu absolu d'information pour Kolmogorov, l’enjeu ici est la capacité de traitement, de compression, de faire un calcul, de suivre le cheminement d’un algorithme qui est basée sur les mathématiques dites discrètes. La distinction entre discret et continu est là fondamentale6. En fait on utilise le codage binaire. Il y a différentes façons de faire ce codage et c’est ce à quoi va s attacher Shannon. Kolmogorov lui va définir ce qu’on appelle contenu absolu d’information qui est plus lié au traitement de l’information (compression entre autres) sur une machine de Turing universelle (MTU). 61
4.4.3 - Cybernétique, naissance et développement
En 1938 Norbert Wiener62 63 s’intéresse aux automatismes à commande en continu. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il participe à l’élaboration de méthodes de défense antiaérienne avec une DCA automatique et est amené à réfléchir sur deux aspects principaux :
1. la transmission des messages, c’est-à-dire le problème de la communication ;
2. le couplage de l’activité humaine avec la machine, et l’interface homme machine.
Ce faisant, Wiener et ses collègues sont confrontés à une problématique foncièrement nouvelle, celle de gérer des systèmes complexes dans lesquels intervient non seulement une part d’indétermination, mais surtout un aspect aléatoire, probabiliste. L’automatisation classique est en difficulté pour réagir de manière déterministe et précise face à une part de non déterminisme, voire de déterminisme antagonique (dans le cas de la DCA, les choix du pilote pour d’une part échapper à la DCA, d’autre part pour la contrer6'). L’approche doit être complétée par les données du passé, sans cesse enrichies de celles du présent et les intégrer en tant que paramètres à part entière de la modélisation, il faut pour ce faire admettre des réponses plus ou moins approximatives mais s’améliorant par accumulation d’expérience, un apprentissage automatique avant la lettre en somme.
Il n’y a plus de modèle complètement déterministe, complet, on ne peut plus se contenter de prévoir à l’avance ce qu’il faut faire.
Ce qui compte c’est le traitement des données ; tant celles dont on dispose déjà que celles qui nous arrivent en temps réel. Ce qui était antérieurement le modèle devient de plus en plus le schéma de traitement des données, l'algorithme, le programme !
L automatisation de la révolution industrielle, étroitement déterministe fondée sur l'instrumentalisation des forces (chaînes automatisées, centres d’usinages...) doit faire place au traitement calculatoire, classement, hiérarchisation des données et des résultats des corrélations et de l’analyse des chaînes causales.
La conception « mécanique » et étroitement déterministe du monde ; à une cause précise correspond une conséquence précise et unique est à ranger au magasin des antiquités. L’adage qui veut qu'on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve (Héraclite) prend là toute sa signification, ainsi que la remarque d’Engels « il n’est rien d’absolu, rien de sacré, tout est caduc devant l’histoire, il n est d étemel que le mouvement »“. Il faut désormais intégrer dans le raisonnement la dynamique du changement, la statistique et les probabilités, en y ajoutant l’interpolation et l’extrapolation qui permettent la prévision (mais pas la prospective64 65 !).
En économie, c’est la justification d’un repli sur les études empiriques mâtinées d’une mathématisation probabiliste, la recherche de corrélations marginalités et la recherche d’un équilibre général... La fin de l’économie de la confrontation des intérêts de classes, des rapports de forces entre les classes : la fin
de la théorie en économie politique d’A. Smith vs K. Marx, on ne cherche plus des causes, des lois, on gère (management) au jour le jour ou à la petite semaine.
En philosophie, c’est la fin de la vraie conclusion de l’Idéologie Allemande [Marx et Engels, 1845), celle de Marx pour qui les prolétaires sont la force qui fonde le mouvement qui abolit le mode de production, face à la bourgeoisie qui déploie ses forces pour transformer sans cesse le monde pour en préserver le mode de production...
Enfin la sociologie peut rêver à devenir la Reine des sciences, elle qui ne cesse de cartographier la moindre nouveauté dans les structures, les modes de vie et les représentations du monde et leurs relations.
Nous ne sommes plus là directement dans le champ de travail de Wiener, mais bien dans ce qu’on a pu appeler la Cybernétique sociale, et de l'instrumentalisation qui en a été faite.
Cela dépasse le champ de travail de Wiener. Mais il avait conscience que son approche poussait à des changements de paradigme au-delà de la science de la commande et de la régulation que son approche fondait.
Son modèle avait vocation à être décliné concrètement de plusieurs façons : modèle prévisionnel, de simulation et machines ou systèmes réels complexes ou devant interagir avec un environnement ou d’autres entités complexes. Aussi, exprima-t-il les besoins du modèle :
1. pouvoir user des données du passé et les compléter sans cesse par celles du présent implique de disposer de mémoire, c’est-à-dire du point de vue technique disposer d’une base de données... ;
2. la donnée devient essentielle pour piloter (calculer) la régulation systématique en continu, là où la mesure de paramètres de l’état du système était simple facteur de compensation, de correction à prendre en compte pour commander les forces, les moyens d’action du système ;
3. il faut pour ce faire une bonne capacité de calcul, de traitement, de classement et de tri ;
4. il faut comprendre et théoriser le fonctionnement en termes d’échanges d’informations, de transfert de messages, de communications et non plus de simple mise en jeu de forces.
Et cela implique jusqu au concept et aux relations dialectiques entre l’homme et la machine, les interfaces qui lient l’homme à la machine et les hommes entre eux à travers leurs machines communicantes et calculantes, ainsi que la prise en compte de l’environnement. La cybernétique apparaît alors comme de la dialectique mise en oeuvre.
4.4.4 - Révision des concepts
La révolution industrielle concernait la transformation de la matière, ce qui permettait de dire que ce qui faisait la valeur d’usage d une marchandise, c est le corps de ladite marchandise (voir [Marx, 1894] Livre 1).
Avec la numérisation étendue et généralisée des activités, le « corps » de ladite marchandise est aussi virtuel, on se retrouve un peu dans le scénario de la cantatrice évoquée par Marx. Si la cantatrice chante pour faire plaisir à des amis ou pour se faire plaisir elle-même, c’est une chose, mais si elle est payée pour chanter par un organisateur de concerts, elle est salariée au même tiùe que n importe quel salarié et a donc les mêmes intérêts et se
retrouve dans le même rapport social, elle est prolétarisée. Il en est de même pour le programmeur ou l'informaticien qui travaille pour une plateforme.
Le concept de MTU change in fine le rapport des hommes et femmes à la machine et tend alors à abolir le distinguo entre travailleurs « manuels » conduisant des machines et informaticiens de toute nature.
Là où la révolution industrielle a mis 150 ans à s’imposer, la nouvelle façon de produire, la cyber-révolution, va mettre moins de 50 ans à le faire.
Dès 1939, Lord John Daniel Bernai, marxiste anglais, avance dans un ouvrage qui eut son heure de gloire ( The social function of science [Bernai, 1939]), aujourd’hui oublié, le concept de Révolution Scientifique et Technique qui part de la constatation de Marx sur la science force productive. Bernai montre en quoi science et technologie sont les moteurs du développement et aussi concrètement, comment cela interagit avec la société, tant au niveau des rapports sociaux que sociétaux.
Ce concept de RST ° va nourrir la réflexion des mouvements marxistes, en particulier en Europe de l’Est, dans les pays socialistes et les démocraties populaires jusque vers la fin des 66
années 70, en particulier en URSS, RDA (République Démocratique Allemande) et Tchécoslovaquie.
Contrairement à un mauvais procès qui lui a été fait, la RST ne concernait pas que les aspects scientifiques et techniques. Ainsi, comme l’écrit Radovan Richta : « Quel que soit le sentiment que nous éprouvions face au courant ininterrompu de changements survenant dans la science, la technique et la civilisation de notre époque, il est certain que leurs répercussions s’intensifient de plus en plus dans le monde entier et que leur profondeur est toujours plus sensible. Ces changements intéressent aussi bien les seules techniques de fabrication que le caractère du travail et les formes de la vie humaine. Les distances diminuent, le temps devient plus intense. Le milieu naturel fait place à un milieu artificiel. Jusqu’à présent chaque génération reprenait des mains de la précédente les conditions de l’activité et de la vie quotidienne, elle y voyait le facteur dont dépendait en principe tout l’avenir. Mais dorénavant, il sera sans doute, nécessaire que chaque génération passe plusieurs fois par une reconstruction de ses conditions de civilisation et ses modes de vie » [Richta, 1967, Richta, 1969].
5.0.1 - La planification socialiste, la guerre
En URSS les nécessités de la rationalisation de la planification économique vont conduire au développement de toute une branche des mathématiques qui fournira par la suite du «.grain à moudre » ; c’est la Recherche Opérationnelle67. La guerre va
amener les USA et la Grande Bretagne à s’intéresser à cette discipline, d’une part pour organiser les convois de bateaux qui ravitaillent l’Angleterre depuis les USA, et d’autre part pour installer de façon judicieuse des radars sur la côte d’Angleterre.
Ces avancées maüiématiques vont fournir les outils de la planification, de l’automatisation et de l’automation à l’industrie d’après-guerre. Mais il manque un outil essentiel. Les automatismes sont relativement frustes et fonctionnent essentiellement sur le modèle continu, utilisant le signal analogique peu pratique et gourmand en ressources.
5.0.1.1 - L’informatique, les ordinateurs
Aux USA, sous l’impulsion de Von Neuman (la machine s’appelle l’ENIAC, construit en 1946, il faut y câbler les programmes, elle effectue 330 opérations arithmétiques à la seconde), c’est encore un compromis avec une calculatrice, pas encore réellement un ordinateur. En Grande Bretagne sous la direction de Turing (projet ACE pour Analytical Computing Engine, qui ne verra pas le jour bien que le projet porte le même nom que la machine de Babbage), en France Uouis Couffignal, Marcel-Paul Schutzenberger (la compagnie des machines BULL met en service la Gamma 3 en 1952, l’un des plus élaboré de sa génération, utilise des tubes à vide (400) et des diodes au germanium. Programmable par cartes perforées et aussi un tableau programme amovible à fiches. Des instructions pouvaient aussi être enregistrées dans une mémoire tambour connectable. On était encore à mi-chemin entre calculatrice et ordinateur, une addition
à 12 chiffres prenait 0,17/05 et une multiplication de deux nombres de 11 chiffres 20ms.)
Sergueï Lebedev et Boris Babayan en URSS (la machine se nomme BESM-1, elle fonctionne dès 1950 et est alors la plus rapide au monde, c’est un véritable ordinateur, pas une calculatrice, elle fonctionne avec programme enregistré en langage machine binaire hexadécimal, l’électronique est constituée de 5000 tubes à vide, une mémoire en tores de ferrites et des mots en virgule flottante de 39 bits).
La course est lancée, mais là n’est pas le plus important pour ce qui nous concerne ici.
Jusqu’aux années 1960—1970, les ordinateurs restent confinés dans des laboratoires, des grandes entreprises ou administrations, ce sont encore et pour quelques années d’énormes machines nécessitant une logistique importante, en particulier des pièces climatisées, un courant stable, dont l’implantation est confidentielle.
Entre-temps l’URSS lance Spoutnik 1 (1957), premier satellite artificiel de la Terre. Et en avril 1961, 16 ans après la fin de la seconde guerre mondiale qui a laissé une URSS exsangue (voir pour rappel § 3.4.3), le premier humain est mis en orbite autour de la Terre, Youri Gagarine. La première femme cosmonaute Valentina Terechkova, une soviétique, ira dans l’espace en 1963, avant que le premier américain y ait effectué un saut de puce.
A partir des années 60, et même un peu avant, tout bascule une première fois, la firme Bull lance la Gamma 60 (1958) qui n’aura qu’un succès d’estime, trop en avance sur son temps. La Gamma 60 est une des toutes premières machines parallèles, peut-être
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même la première, mais le parallélisme y est difficilement accessible, il faut le programmer au niveau du langage machine et personne ne sait à l’époque le faire ni même n’en a l’usage (il faudra attendre les années 1980 pour que se développe réellement une algorithmique afférente, les pionniers s’en trouvant en France à l’INRIA2, projet PARADIS7' [Lavallée, 1986]). La firme IBM (International Business Machine corporation) met en circulation dès 196o la séné dite 360 qui a massivement contribué à imposer les ordinateurs dans le monde des affaires et plus généralement de 1 entreprise. Le concept qui a promu fortement les ordinateurs, et plus particulièrement ceux d’IBM, dans les entreprises, et plus particulièrement d abord dans la finance, c’est le concept de gamme d’ordinateurs, la série 360 s’étendant du 360-10 au 360—80. C est aussi ce qui mène au concept de système d’information d’une entreprise ou d’une administration (c’est Jean Pierre NigouL, ingénieur IBM France qui avance et formalise ce concept au cours des années 70). Après l’annonce de l’IBM 360, les clients voient le matériel informatique différemment. Pour la première fois, des entreprises peuvent acheter un système, et le faire évoluer au fur et à mesure qu’elles prennent de l’expansion. D’autres entreprises commencent à fabriquer des périphériques compatibles avec 1 IBM 360. Bientôt, une industrie entière prend forme autour du matériel informatique et ses produits dérivés (ce qui a fait la fortune d’IBM ce sont les cartes perforées !).
Dès lors la technologie analogique va être rapidement abandonnée et on va passer au numérique, la révolution numérique peut démarrer mais il lui manque encore de pouvoir 68 69 70
tout envahir, ce qui ne va pas tarder avec simultanément l’augmentation des puissances de calcul, la miniaturisation, l’infonnatique personnelle et surtout les réseaux.
Simultanément, l’organisation du travail s’en ressent, en particulier dans les services administratifs.
Dans les années 1970 les automaticiens s’emparent du concept d’ordinateur (et donc de MTU) et apparaissent alors des ordinateurs spécialisés pour les automatismes, gestion des chaînes en particulier (T 2000, Tl 600, Solar 16-65 puis 16-75 de télémécanique par exemple). Il ne reste plus qu’à généraliser le système d’information à la production aussi car il n’y a aucune différence entre un ordinateur gérant des automatismes et un autre utilisé pour la gestion. Seuls les logiciels et systèmes d’exploitation changent, mais ils sont modifiables puisque les machines sont dès lors programmables”.
5.1.1 - L’essor de l’industrie logicielle et de la microinformatique
Un événement qui peut sembler fortuit va conduire le capital à tirer les conséquences de la structure profonde des ordinateurs, à savoir séparation du matériel et du logiciel, et à accoucher d’une industrie du logiciel en tant que telle. Pourtant cette caractéristique est présente dans la MTU, c’est même précisément ce qui en fait une machine universelle.
En 1969, CDC (Control Data Corporation), petit concurrent d’IBM, déclenche un procès contre le géant de l'informatique au nom de la loi antitrust. La justice Etats-unienne prend alors 71
politiquement en compte le fait que le traitement numérique repose sur la séparation du matériel et de l’application. Au nom de la concurrence libre et non faussée, la justice des États-Unis poussa donc délibérément à une séparation des activités matérielle et logicielle au nom du marché libre et concurrentiel. L’industrie logicielle put alors prendre son autonomie et son essor et déployer deux modèles économiques (logiciels propriétaires et libres).
Cette autononne acquise par le logiciel n’est pas pour rien dans l’émergence des idées d’économie du virtuel, de « l’immatériel », des connaissances et confortera la centralité déjà accordée à « l’information », ce qui conduira certains à parler de révolution informationnelle.
La micro-informatique, puis l’ordinateur personnel (C’est en France, qu’est apparu le premier ordinateur personnel, le MICRAL N en 1973, premier micro-ordinateur et construit autour d’un microprocesseur à 8 bits Intel 8008, cadencé à 500 kHz, et 2 Ko de RAM pour les besoins de mesures de l’INR A' par la société R2E sous la direction de François Gemelle.) de même, le premier ordinateur portable baptisé Portai apparaît en 1980 issu du même bureau d’études. Les Microsoft et les Apple, allaient pouvoir naître dès l'apparition des microprocesseurs. On voit aussi apparaître les mini ordinateurs (à mots de 8 et 16 bits) le mini 6, puis DPS 6 et DPS 7 de Honeywell-Bull, les machines DEC pour Digital Equipments, Mitra et Solar pour respectivement la Cil et comme noté .supra Télé mécanique puis BULL.
5.2 - Année 1968
En France la date de 1968 est le marqueur historique de la plus grande grève ouvrière de l’Histoire de France jusqu’à nos jours (au 72
moins jusqu’à la grève des cheminots de 2019-2020), aboutissement de nombreuses luttes qui se menaient depuis les années 60 qui avaient vu les débuts de ce qui a été appelé « société de consommation », et un pouvoir déstabilisé en profondeur par les suites de la guerre d’Algérie et la tragédie de l’OAS. C’est aussi une révolte étudiante, pour l’essentiel, des filles et fils de la bourgeoisie73.
C’est la période politique de 1968 en France mais aussi en Europe et plus particulièrement en Tchécoslovaquie. Le développement impétueux des nouvelles forces productives induit la nécessité de faire appel à l’intelligence collective et non plus seulement à l’exécution pour accélérer le développement.
Les nouvelles potentialités, techniques certes, mais surtout sociales et sociétales génèrent un conflit majeur au sein des sociétés industrialisées, qu’elles soient capitalistes ou qu’elles se réclament du socialisme. Il s’agit alors d’harmoniser ces potentialités et le développement de la société quelle qu’elle soit.
En Tchécoslovaquie, la période de reconstruction et rattrapage d’après-guerre est terminée. La Tchécoslovaquie est sans doute le pays socialiste d’Europe qui a subi le moins de destructions lors de la seconde guerre mondiale, et c’est aussi celui, avec la RDA qui a une culture et une tradition technologique. Il est possible de passer à une nouvelle phase, à laquelle, les autres pays socialistes d’Europe du CAEM74 ne sont pas prêts, ni technologiquement ni culturellement ni donc politiquement (sauf la RDA, mais elle ne pèse pas lourd et est située sur la ligne de front de la guerre froide).
Ils sont encore en période de reconstruction des suites de la guerre. Le « camp socialiste » ayant été le champ de bataille était complètement détruit, sauf la Tchécoslovaquie. La brutalité avec laquelle cette contradiction est « résolue » marque l’entrée dans la crise majeure du camp socialiste d’Europe (avec il est vrai une situation politique internationale très dégradée. Il faut à l’URSS maintenir la parité militaire avec l’Occident capitaliste hautement développé et agressif (OTAN) à partir d’un Produit Intérieur Brut (PIB) qui est le quart de celui des USA, ce qui n’incite guère aux expériences !). Les communistes tchèques ont perçu les enjeux, ils ont eu raison trop tôt. En résultera le travail de Radovan Richta resté en suspens (voir [Richta, 1969] déjà cité).
Toutefois, après une période d’hésitation due essentiellement à l’ambiance de la guerre froide (plutôt tiède d’ailleurs), les dirigeants et responsables des pays se réclamant du socialisme ont perçu et commencé à explorer les possibilités et potentialités de la cybernétique, y compris sociale, toute une littérature en rend compte (Voir la revue de l’Académie des sciences sociales de l’URSS Sciences sociales aujourd’hui.)'9, avec l’idée non seulement de mieux comprendre les flux sociaux et sociétaux, mais aussi considérant, à l’instar de Richta que la cybernétique peut donner des clés pour un socialisme développé. C’est Walter Ulbricht (RDA) comme dirigeant politique qui comprend vite comment une conception cybernétique de l’économie planifiée est susceptible de lui donner une efficacité et une souplesse supérieures ; il s’y réfère, au congrès du Parti, en 1963. La cybernétique est présentée comme une théorie à promouvoir et il en fera la promotion et en organisera la diffusion et l’organisation dans l’économie. L’expérience s’arrêtera en 1971 avec la mise à la 75
retraite de Walter Ulbricht. Les communistes de RDA comme ceux de Tchécoslovaquie ont eu le tort d’avoir raison ùop tôt, et d’introduire dans le fonctionnement d’une société socialiste des éléments non strictement déterministes. Le Chili d’Allende au début des années 1970 avait envisagé très sérieusement de développer la cybernétique en vue de la dynamisation de l’économie et une marche vers le socialisme en tirant les leçons des expériences précédentes de RDA et Tchécoslovaquie (voir [Médina, 2011]), on sait comment la CIA a mis fin à l’expérience.
Dans les expériences chiliennes, comme dans celles de la RDA et de la Tchécoslovaquie deux visions s’entrelacent, politique et technologique. L’expérience chilienne est une tentative pacifique de passage au socialisme avec Salvador Allende et la tentative simultanée de mettre en place un système informatique pour gérer l’économie du Chili et la relation avec les citoyens. Le gouvernement d’Allende a été renversé par un violent coup d’Etat militaire criminel fomenté par la CIA, et le système, connu sous le nom de projet Cybersyn, n’a jamais été mis en oeuvre — mais ces expériences sont porteuses d’enseignements pour aujourd’hui sur la relation entre technologie et politique.
Le système cybernétique envisagé, devait se caractériser par une conception globale du système, une gestion décentralisée, une interaction homme-ordinateur, un réseau télex national (on est en 1976), un contrôle en temps quasi réel du secteur industriel en pleine expansion et la modélisation du comportement des systèmes dynamiques sociaux.
C’est une tentative de combiner politique et technologie qui peut ouvrir de nouvelles possibilités technologiques, intellectuelles et politiques. En particulier, l’idée est là de faire émerger une force productive spécifique du socialisme. Les technologies marquent
l’histoire, comprendre le pourquoi et le comment des dites technologies c’est non seulement raconter l’histoire d’une société mais aussi en grande partie la comprendre. C’est l’illustration de la dièse de Marx qui veut que l’histoire de l’humanité c’est in fine l’histoire de ses forces productives. Revenons à 1968. A l’ouest, c’est la révolte de la jeunesse, le besoin de mettre en adéquation la société, le rejet de l’impérialisme et de ses guerres et déjà les premiers effets des progrès et exigences de l’efficacité productive du travail. C’est à cette époque aussi que s’amorce le déclin numérique du nombre d’ouvriers dans la production au profit du travail plus « intellectuel » et des services. Le décrochage est brutal comme en témoigne l’étude ci-après citée76 77, le déclin sera de plus de 19 % sur le total des emplois, et concerne plus de deux millions de travailleurs au bas mot. Et ça s’accélère en ce qui concerne l’industrie, ainsi un article de Marie Visot dans la livraison de Le Figaro1" du 14 février 2018 nous informe que : « entre 2006 et 2015 l’industrie manufacturière a perdu 27.300 établissements (-18 %) et 530.000 salariés (—16 %) ».
Sur la même période, le pourcentage de cadres et professions intellectuelles supérieures a plus que triplé (cf. Tableau). De plus un nombre non négligeable des employés passés de 18,3% à
27,2 %, soit une augmentation de 9 % des travailleurs, sont aussi des prolétaires, mais plus des ouvriers, un constat analogue doit être fait sur les professions intermédiaires dont les effectifs ont doublé en un denri-siècle. Cet état de fait n’est pas sans traduction syndicale et politique, ni sur la conscience de classe de ces catégories sociales ; on ne peut pas s’adresser à ceux-ci comme on
pouvait le faire dans les années 1950 aux ouvriers. Ces catégories salariées sont certes pour l’essentiel prolétarisées, mais leur ressenti est autre et il en va de la responsabilité des forces révolutionnaires de les mener à la conscience de classe et aux luttes afférentes adaptées à leur situation et leur être social.
Au congrès du PCF de 1968 présidé par le secrétaire général Waldeck Rochet, le manifeste dit de Champigny pointe ces nouveaux enjeux et les problèmes à affronter, mais la pratique ne suivra pas.
France métropolitaine, contingent exclu
C.S.P. |
1962 |
1968 |
1975 |
1982 |
1990 |
2007 |
2018 |
Agricuteurs exploitants |
16,0 |
12,6 |
8,1 |
6,9 |
4,5 |
2,2 |
1,6 |
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise |
11,0 |
10,2 |
8,4 |
8,5 |
7,9 |
6,7 |
6,5 |
Cadres et professions intellectuelles supérieures |
4,7 |
5,5 |
7,3 |
8,6 |
11,7 |
13,2 |
18,5 |
Professions intermédiaires |
11,1 |
12,5 |
16,2 |
17,8 |
20,0 |
23,3 |
25, |
Employés |
18,3 |
20,5 |
22,9 |
25,6 |
26,5 |
28,9 |
27,3 |
Ouvriers |
38,9 |
38,7 |
37,1 |
32,6 |
29,4 |
25,7 |
20,4 |
Total |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
100 |
Source : recensements de la population INSEE.
Il y a eu le mai 68 du capital. Son enjeu était de dresser le prolétariat au double besoin de travailler et de consommer en « insider» ou en « outsider». Ce double statut de salarié et de consommateur est à l’origine de ce qu’on a appelé la société de consommation. Le salarié est l’élément central de la dynamique du système économique.
Au congrès du PCF de 1968 présidé par le secrétaire général Waldeck Rochet, le manifeste dit de Champigny pointe ces nouveaux enjeux et les problèmes à affronter, mais la pratique ne suivra pas.
Il y a eu le mai 68 du capital. Son enjeu était de dresser le prolétariat au double besoin de travailler et de consommer en « insider» ou en « outsider ». Ce double statut de salarié et de consommateur est à l’origine de ce qu’on a appelé la société de consommation. Le salarié est l’élément central de la dynamique du système économique.
Le travailleur produit les richesses, il génère la plus-value qui est accaparée par le capitaliste et est le consommateur78 des richesses qu’il a produites. De fait, il produit la société !
Mais les traditions de lutte de la classe des prolétaires ouvriers en France sous l’influence d’un mouvement et d’un parti communiste fort et d’un syndicat de classe (la CGT) font que les travailleurs entendent bénéficier au maximum des gains de productivité, faisant ainsi baisser le taux de profit ou tout au moins ne permettant pas de le faire croître. C’est ce qui entrainera de la part du capital une politique dite en litote de délocalisation faisant ainsi d’une pierre deux coups de la part du capital. D’une part en
délocalisant, la part variable dans la composition organique du capital est plus faible (salaires...) et d’autres par ça affaiblit à la longue la classe ouvrière française et porte ainsi atteinte à ses organisations tout en désindustrialisant la France et réorientant petit à petit son activité vers « l’industrie financière »æ.
Michel Clouscard décrivit cela assez précisément. La phase actuelle continue de s’y nourrir, notamment pour le travail [Clouscard, 1981; Clouscard, 1987]
Michel Clouscard en fait une analyse sans concession, il analyse l’évolution du mode de production capitaliste de l’après seconde guerre mondiale et du consensus idéologique qui se fait jour dans ce qu’il appelle le « libéralisme libertaire » en fait héritier d’un courant anarchiste allemand, de libertaires qui laissent jouer « librement » les lois du marché (la fameuse main invisible) et de sociaux-démocrates. Ce sont les théories de Marcuse et d’une tentative d’interprétation subjective de Marx au nom de Freud.
En lait il analyse l’émergence de nouvelles catégories sociales gestionnaires du système. Catégories indispensables mais dont le statut social les éloigne du rapport de classe direct, qu’on appellera classes moyennes, que le leurre social-démocratie aveuglera pour l’essentiel en développant une idéologie pseudo libertaire, ou plutôt de libertinage (Le mot d’ordre «Jouir sans entrave » y fit florès). Idéologie qui crée, sous une peinture « d’intelligentsia » une connivence de fait sinon de jure entre « nouvelle gauche » et « nouvelle droite » dont les intérêts financiers sont in fine complémentaires, dans un rapport dialectique dual. Ces couches moyennes sont de fait dans un rapport ambigu par rapport tant au 79
proie!anat qu’au capital, ne se reconnaissant pas dans l’un, aspirant à être dans l’autre. Elles sont très sensibles à l’idéologie bourgeoise qui mène par ailleurs une guerre idéologique totale. Clouscard caractérise en particulier la situation issue de mai 1968 par cette formule [Clouscard, 1972] : « Les livres qui seront consacrés à l’actuelle société française montrent l’aboutissement de cette histoire de France : Mai 68, la parfaite contre-révolution libérale, celle de la modernité qui cache le "nouveau réactionnaire" ».
Toutefois, ces couches se sont formées devant la nécessité de gérer la complexité de la production avec l’apparition de ce qu’on nomme l’industrie légère. Elles apparaissent en pleines « trente glorieuses » et, n’ayant plus « les mains dans le cambouis » peuvent espérer échapper au statut de prolétaire, mais pour la plupart elles sont salariées et, de fait, prolétarisées même si elles n’en ont pas conscience. L’informatisation en cours va laminer un certain nombre des emplois liés à ces couches, la gestion, l’organisation, la publicité devenue une industrie à part entière, sont directement impactées par l'informatique.
Dans l'industrie, le modèle de l’ouvrier sur la chaîne ou sur sa machine, son poste de travail, arrive à ses limites, les investissements pour « passer à autre chose » sont énormes, le taux de profit baisse. Pour aller de l’avant, du point de vue du capital, il faut réorganiser, et il faut une force de travail plus hautement qualifiée, les révoltes étudiantes vont en fournir l’opportunité.
1 ii capital éclairé était déjà à la manoeuvre en appui sur les enfants déclassés de la Bourgeoisie capitaliste et sur la petite bourgeoise de droite et de gauche qu’est de tout temps la mouvance libertaire, y compris dans ses versions pseudo-marxistes ou communistes. Lfn Cohn-Bendit, un July se voulant le necplus ultra du mouvement révolutionnaire. Dans un autre registre la
FNAC, puis les radios-libres, l’industrie du spectacle et des festivals, le Larzac, l’écologie faite parti politique et aujourd’hui les affïcionados de l’économie libre, coopérative, partageuse des communs et du numérique, les ZAD (Zones À Défendre), sont dans la plupart des cas à inscrire dans cette mouvance encore bien vivante et qui se renouvelle sur des bases politiques aujourd’hui plus saines.
Il y avait le mai du monde du travail qui se reconnaissait dans les organisations historiques de classe plus fortement qu’aujourd’hui, la révolte étudiante et le plus grand mouvement de grèves du monde du travail qui ait secoué le capital français viennent en point d’orgue d’une longue série de luttes syndicales antérieures. Beaucoup liées aux gains de productivité générés par la RST et le tout début de la Cyber-révolution, dont le monde ouvrier entend bénéficier. D’autres luttes syndicales dues à la montée des effectifs techniciens et ingénieurs et des qualifications qu’accompagna la création en 1962 du BTS (Brevet de Technicien Supérieur créé par Louis Couffignal), seul diplôme supérieur technique dispensé par le ministère de l’éducation nationale alors. En 1966 seront dans la foulée créés les II T. Et d’autres encore préfigurant les exigences d’autogestion, de droits d’intervention dans la gestion, de plus de libertés dans l’entreprise... même si déjà des faiblesses intrinsèques minaient les organisations de classe malgré quelques lucidités sur ce qui allait se jouer dans les décennies à venir dans les entreprises... Ces lucidités et les efforts qu’elles permirent mériteraient d’être redécouverts...
5.2.1 - Internet et le web
En 1978 paraît le rapport Nora-Minc [Nora et Mine, 1978] (Ce rapport, bien que relativement technique est un véritable succès de librairie. On évoque les 125.000 exemplaires vendus, l’idée est
dans l’air) sur l’informatisation de la société. Dans ce rapport est avancé le concept de télématique qui consacre la fusion entre informatique et communication. Ce rapport préfigure le lancement du réseau Minitel.
La révolution numérique. Les années 80-86 vont marquer le démarrage effectif de la révolution numérique, le rapport Nora-Minc témoigne de la volonté du capital d’utiliser et déployer très largement l’informatique et les réseaux, le Minitel en particulier. Les puissances de calcul augmentent sensiblement, les ordinateurs personnels se démocratisent, après l’énorme succès du Minitel80, internet se met en place81, les systèmes d’information des entreprises s’unifient avec la production, les communications sont numérisées partout (mais pas cryptées, ce qui fait les « choux gras » de la NSA et des GAFA), les bases de données se mettent en place,
les façons de produire, l’organisation du travail s’en ressentent. La numérisation de la production se généralise.
A partir de ce moment, tout matériel qui traite de l’information, automatismes, machines transferts, véhicules autonomes, téléphones mobiles, télévision, va utiliser la numérisation systématique et la programmation, le matériel est dès lors une déclinaison plus ou moins sophistiquée suivant l’usage prévu, de la MTU, l’originalité venant alors du logiciel.
Le niveau technologique s’élevant très rapidement promet de pouvoir utiliser pleinement la puissance des modèles de Turing et de Wiener. Reste à faire de la place sur les réseaux de communication à des entreprises qui sauront s’en saisir librement. Les monopoles privés (ATT) ou publics (PTT) sont démantelés par décision politique, libéralisme oblige. Internet devient le réseau qui ouvre la voie à la cybernétisation du monde, à l’émergence de sociétés assises sur de gigantesques bases de données (on a évoqué une « société de la donnée ») et à la civilisation du calcul. En temps voulu, il faudra rendre accessibles les données publiques... À l’Ouest, un pacte politique de facto se met en place entre les libéraux, la social-démocratie, les libertaires et libertariens, les pensées qui se veulent alternatives : l’économie sera libérale, cybernétique, mondialement. Le village global (Global Village), c’est une expression de Marshall McLuhan, tirée de son ouvrage The Medium is the Massage paru en 1967 [McLuhan, 2001] pour qualifier les effets de la mondialisation, des médias et des technologies de l’information et de la communication.
La voie est ouverte aux futurs Google, et autres réseaux sociaux, aux plateformes de toutes natures, qui sauront collecter et user des
données à partir du modèle des abeilles de E. Meade (1952)82 et de la théorie économique des extemalités positives. Les entreprises industrielles sauront aussi en profiter pour gérer leur processus de production aussi éclaté soit-il à travers le monde, ou assurer à l’échelle mondiale le suivi ou surveiller l’usage des produits ou équipements vendus... La finance ne sera pas en reste... C’est enfin la promesse de la parfaite concurrence libre et non-faussée dont rêvait A. Smith. C’est aussi la remise en cause des indépendances et souverainetés économiques nationales.
5.2.2 - Produire et consommer
Cette révolution numérique amène une nouvelle manière de produire et de consommer. Lorsque les prix à la production d’un produit industriel par exemple sont fixés par Amazon, ceci ne fait que refléter que le capital à beaucoup mieux anticipé les évolutions que les forces du travail. En fait le capital ne les a pas seulement anticipées, il les a provoquées, ce qui lui donne quand même quelque avance en la matière.
Le contenu et le sens de la révolution numérique, son extension planétaire avec l’accélération de la mondialisation, ses aspects sociaux et sociétaux sont un défi majeur dans le combat de classe.
Conmient le parti de la classe des travailleurs peut-il se structurer et agir dans la révolution numérique ?
A force de laisser les affaires du monde au monde des affaires, celui-ci est au gouvernement de nombre de pays et de la France en particulier avec une majorité parlementaire écrasante et un président de la République, chargé d’affaires de la banque Rostchild entouré d’élites politiques essentiellement issues des milieux financiers et d’affaires83. On assiste à la volonté de mise en place d’une mondialisation où les classes dominantes assoient leur pouvoir de domination en se donnant les moyens de faire face à toutes les évolutions.
Une oligarchie des 1 % s’est ainsi formée au plan mondial comme au plan national disposant d’une paît énorme du patrimoine (50 % au niveau mondial), s’accaparant l’essentiel des richesses créées et détenant les leviers clés au plan économique, politique et médiatique, et donc en position de force dans la bataille idéologique : « Oui la lutte de classes existe et c’est ma classe qui est en train de la gagner » peut déclarer le multi milliardaire Warren Buffet avant que la Chine fasse une entrée fracassante sur la scène économique et politique internationale et vienne d oubler le jeu impérialiste.
Au début des années 2010, la part des 10 % du patrimoine le plus élevé se situait autour de 60 % du patrimoine national en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie et, évidemment, aux USA.
La répartition de la propriété du capital et des revenus qui en sont issus est systématiquement plus concentrée que la répartition des revenus du travail. Cela produit une concentration des patrimoines qui est en réalité aussi forte dans les 10% du patrimoine les plus élevés que dans la population dans son ensemble. Le centile supérieur les 1 % représente aujourd’hui une population suffisamment significative numériquement et du point de voie de la puissance économique pour structurer fortement le paysage social et l’ordre politique du monde occidental et économique dans son ensemble.
Les 1 % des revenus les plus élevés sont plusieurs dizaines de fois supérieurs à la moyenne et en matière de patrimoine, ces 1 % captent les revenus financiers. Les très hauts revenus concernent essentiellement des dirigeants de grandes entreprises qui parviennent à obtenir des niveaux de rémunération extrêmement élevés, inédits dans l’histoire (voir [Piketty, 2013]).
Plus encore, depuis une quinzaine d’années, ces 1 % se sont séparés des 10 % des plus hauts revenus et forment une nouvelle bourgeoisie appuyée au plan international sur des technologies de rupture, le luxe, l’énergie et utilisent leur puissance financière pour contrôler les moyens de diffusion sous toutes leurs formes et cherchent à contrôler la culture et la production culturelle en général dont ils ont fait une industrie marchande comme une autre. Le classement Bloomberg des hommes les plus riches du monde a été dévoilé le 17 juillet 2019. Avec une fortune estimée à 125 milliards de dollars, le patron d’Amazon JefFBezos arrive en tête des hommes les plus riches de la planète (...). Le Français Bernard Arnault monte à la deuxième marche du podium, avec 108 milliards de dollars (+25,1 milliards par rapport au précédent classement), reléguant Bill Gates (107 milliards) à la troisième
place. Warren Buffett (83,9 milliards) et Mark Zuckerberg (79,5 milliards) complètent le top 5.
On trouve là dans ces méga fortunes, le luxe (LVMH), l’énergie (Pétrole, nucléaire), les technologies de rupture (GAFA). Au sein même des plus grandes fortunes qui s’accroissent sans cesse, s’opère un phénomène de concentration84.
Certes cette notion de 1 % et de 99 % est approximative et fonction du degré de concentration du capital selon les pays, elle reflète quand même la profonde dynamique de création d’inégalités qui s’opère.
C’est un nouveau capitalisme qui se met en place, se traduisant par un énorme transfert des richesses produites du travail vers le capital. Une classe capitaliste réduite en nombre s’oppose à la classe des travailleurs qui créent directement ou indirectement les richesses et en sont spoliés.
La révolution numérique fait émerger des technologies de rupture qui génèrent, par unité investie, des profits (y compris parfois fictifs comme les crypto-monnaies) sans commune mesure avec l’industrie traditionnelle de transformation de la matière palpable, et crée des situations de « capture » monopolistes en créant des situations « obligatoires » pour les gens. Par exemple, aujourd’hui, une grande partie des transactions en tous genres, y compris celles obligatoires (impôts, sécurité sociale, achat de ceci ou cela) passent par internet et les « traces » en sont captées par ces
GAFA qui peuvent traiter ces masses de données qui sont leur véritable matière première. De plus, on assiste à l’émergence d’un véritable capitalisme de plateformes qui remet en place sous une autre forme, le travail à la tâche. C’est encore assez marginal, mais en termes de tendance c’est significatif et consubstantiel au capital.
La classe du travail est composée pour l’essentiel du salariat (en dehors des cercles dirigeants) subissant une subordination hiérarchique mais aussi de travailleurs juridiquement non-salariés en état de dépendance économique (auto entrepreneurs, professionnels autonomes du numérique...). C’est cette nouvelle classe de travailleurs qui structure les 99 %.
Ce salariat élargi est formé de deux composantes principales traversant les fragmentations et diversités liées au genre, à la précarité, au chômage, aux différences ethniques...
Ces deux composantes — salariat d’exécution (54 % aujourd’hui en France — 2018 — regroupant les ouvriers et employés, et salariat qualifié en responsabilité 46 % en simplifiant) regroupant les cadres et professions techniciennes ou intermédiaires — constituent une même communauté de travail mais ont un rôle et une place différents dans le processus de travail en raison du niveau de qualification et des rapports sociaux. Leur rapport à la hiérarchie (donc au capital), aux revendications, à la politique, à la culture, au collectif... ont des différences marquées. Cela signifie dans le même mouvement que l’unité du salariat élargi, donc la conscience de classe afférente, ne peut se construire qu’en cherchant à transformer les rapports sociaux existants dans le travail et l’entreprise.
Tout est bon pour éviter de parler du rapport entre le capital et le travail. La notion de classe moyenne que certains utilisent pour
caractériser une catégorie qui va des ouvriers-employés qualifiés aux cadres moyens, est une mystification comme l’a montré Clouscard. La notion de classes populaires regroupant les salariés allant des ouvriers qualifiés aux cadres moyens présente également le risque de brouiller les cartes quant aux objectifs du rassemblement du salariat et de détourner des inégalités structurantes entre le capital et le travail.
De plus, la campagne idéologique de la bourgeoisie tend à faire du syntagme « classes populaire » un fourre-tout idéologique du type «multitudes» cher à Toni Negri (voir [Negri, 1980]), ou encore « les riches et les pauvres ».
Le pseudo concept de « classes populaires » faisant écho à celui de « classes moyennes » ne se base pas sur un rapport à la production de valeur ni de richesses, or c’est là ce qui fonde l’analyse de classe, le rapport social créé par le rapport issu des forces productives matérielles et humaines.
La nostalgie des classes d’antan peut être paralysante pour l’action. Aucun groupe ne remplacera le groupe ouvrier comme moyen fédérateur. C’est vers la construction unitaire du salariat élargi dans sa diversité qu’il faut tendre. Le rapport salarial est ce qui donne l’unité sociale face au capital. Il y a ceux qui produisent et consomment un peu de ce qu’ils produisent, et ceux qui consomment et possèdent ce que « les autres » ont produit, sans produire eux-mêmes.
C’est une vision moins sociologique que par le passé, mais plus politique de la mobilisation, de l’unification et de la promotion possible des opprimés, c’est-à-dire du salariat où tous sont exploités, qu’il s’agit de développer. Les transformations de la société, liées à l’évolution des forces productives et à la
mondialisation financière n’amènent pas une société atomisée, d’individus isolés, où le capital se confond avec le travail.
Le salariat d’aujourd’hui, à travers sa diversité de situation, ses composantes issues des niveaux de qualification et des rapports sociaux est en pleine recherche de conscience de classe à partir d’une communauté d’intérêts réelle. Celle-ci a besoin d’être nourrie en permanence.
Ce qui fédère et amène à la conscience de classe, c’est le fait d’être salarié, le salaire est le rapport de classe et l’objet du rapport de forces capital/travail. La classe des salariés est, de fait, la classe des prolétaires.
5.2.3 - Révolution informationnelle ?
Cette situation va amener l’économiste communiste Paul Boccarra à avancer le concept de Révolution informationnelle dans les années 1985. Ce concept se fonde à la fois sur les progrès technologiques qui permettent de concevoir des machines capables de seconder ou remplacer le travailleur et à la fois sur la division sociale entre ceux qui conçoivent (comme les chercheurs scientifiques) et les producteurs (la classe ouvrière).
La Révolution informationnelle consiste plus précisément, selon Boccarra à : « transférer dans des machines d’un nouveau type (ordinateurs) certaines opérations du cerveau humain, ce qui permet de faire appel comme jamais à l’intelligence humaine, pour traiter les informations complexes, développer la communication entre les services, les producteurs et les usagers. »
Marx a montré que la révolution industrielle avait prolongé la main de l’homme par la machine et plus précisément la machine-outil. Paul Boccarra a repris l’idée en caractérisant la Révolution
infoimationnelle comme prolongeant en fait le cerveau humain en remplaçant des opérations du cerveau par des ordinateurs.
Autrement dit, c’est remplacer certaines opérations du cerveau humain par des ordinateurs comme par exemple, le calcul au sens large. Ainsi l'information85 acquiert selon lui une importance croissante puisqu’il devient capital de pouvoir la partager et donc la transmettre des concepteurs aux producteurs, et vice versa.
Le paradigme de Turing, l’importance de l’information, de la donnée, sont acceptés implicitement mais pas totalement assumés et évalués pour leurs enjeux et leurs conséquences. L’ordinateur qu’évoque Boccarra est un instrument, sans plus, alors qu’en fait l’important c’est le modèle théorique de cet instrument, la MTU qui est fondamental ici.
Pour Boccarra le coût unitaire de l’information y est vu décisif. La propriété de l’information de se partager sans fin est déclarée révolutionnaire. De fait, le rapport capital/travail, celui du rapport de forces qui fait le prix de la force de travail, et le rapport de propriété sont relégués au second plan, plus ou moins inconsciemment, et on confond facilement droit d’usage et propriété. En effet, quand vous « achetez » un logiciel par exemple, vous n’achetez de fait que le droit d’usage sous forme de binaire exécutable, pas le code d’origine qui reste propriété de l’éditeur de logiciel (Microsoft, Apple ou autre).
5.2.3.1 - Un biais conceptuel
C est au niveau des rapports sociétaux et organisationnels qu’intervient cette révolution informationnelle. Contrairement au concept de révolution industrielle avancé par Marx, on n’est pas là dans le domaine de la production et des rapports capital/travail. Ce concept n’est pas lié directement au cycle de la production des marchandises et donc de la plus-value.
Dans leurs rapports sociaux, les hommes n’échangent pas des informations mais des temps sociaux de travail (mort et vivant), le capital ne vit pas du prix unitaire des biens et services mais de la totalité de leurs valeurs, et les données ne sont rien sans la machine qui les traite, les mémorise, les transmet et qui restent la propriété du capital. De plus, au plan sociétal, l'apparition des réseaux met en relation les individus et les institutions, voire les centres de production. Dans de nombreux cas, la frontière entre temps de trav ail et temps personnel, tend à s’estomper et le patronat bien sûr s’en empare, la situation du monde du travail en temps de pandémie de coronavirus et de confinement l’a bien illustré. Plus encore, cette mise en réseau a des conséquences physiques et géo-économico-politiques. Les entreprises peuvent se délocaliser physiquement tout en restant une unité de production, en fonction des coûts de main d’œuvre ou de qualifications locales. Des bureaux d’étude peuvent se trouver en France, des unités de production en Chine (et inversement), les programmes des machines à commande numérique conçus en banlieue parisienne et téléchargés directement sur les machines à l’autre bout du monde ; l’assemblage final étant fait en Espagne...
Ainsi même l’organisation des territoires s’en ressent, toutes choses que le concept de révolution informationnelle laisse trop de côté alors que ça modifie profondément les rapports humains, les
moyens de communiquer entre individus, et de faire politique. Pour prendre tout cela en compte il nous a fallu introduire un nouveau concept.
La diffusion massive des réseaux et ordinateurs personnels, puis des mobiles téléphoniques qui deviennent en fait des ordinateurs (ce sont en fait des machines de Turing), entraîne extrêmement rapidement des modifications structurelles de la société, ce que d’aucuns nomment disruption. Les procédés de production, les circuits de communication, la pratique même des services sont bouleversés par les réseaux.
Les moyens matériels des premières années de la seconde moitié du XXe siècle (1950-1965) ne permettaient pas que se développe le système technique centré sur la cybernétique. Ce système technique est toutefois en gestation alors. C est l’augmentation importante des puissances de calcul, la miniaturisation des moyens de calcul (microprocesseuis et transistors) et le développement des réseaux, et comme noté supra c’est MINITEL, qui vont permettre dans un premier temps au nouveau système technique de se propager à travers le monde.
Dans les entreprises, les réseaux vont permettre la délocalisation des unités de production automatisées ou situées dans des pays à bas coût de main d’œuvre et des centres de recherche ou de gestion situés à des milliers de kilomètres, la gestion du temps et de la distance s’en trouve complètement bouleversée.
La symbiose de la révolution numérique, la MTU, et de la cybernétique subliment et transcendent la révolution scientifique et technique (RST), lui donnant une dimension tout autie et in fine
la dépassant qualitativement, ce qui nécessite d’avancer un concept nouveau, celui de Cyber-révolution®.
Un élément central de cette Cyber-révolution est, comme noté par la cybernétique, l'importance prise par le traitement de l’information. Il faut ici faire très attention, car il s’agit bien là du traitement de l'information et non de l’information en elle-même ni des ordinateurs ou réseaux qui ne sont que des productions humaines, du travail mort.
« Le travail vivant est en permanence indispensable au fonctionnement productif du travail mort que sont les ordinateurs et l’information déjà obtenue. L’ordinateur n’est pas seulement un instrument permettant de contrôler, exploiter, dominer le travail vivant, à la manière d’une machine-outil contrôlant le travail de production matérielle et contribuant ainsi à son exploitation. C’est un instrument nécessitant que le travail vivant soit en lui en permanence pour exister en permanence comme instrument d’exploitation du travail vivant86 87 ».
Ajoutons à cette citation de Jean Claude Delaunay que si l’ordinateur simule des modes de fonctionnement du cerveau, il ne fait que les simuler. Le mot information est un mot fourre-tout et il y faut faire attention, le journaliste, le parieur ou le technicien des télécommunications n’y mettent pas la même chose.
Cette fusion en un système unique des communications, du calcul massif et rapide, de l’automatisation, conduit aussi à une baisse considérable des coûts et à une diffusion sociale totalement inédite des possibilités afférentes démultipliée encore par la
miniaturisation. Tous les aspects de la vie sociale sont concernés, le GPS en témoigne, dans tous les domaines, production industrielle, médecine, navigation, cinéma et photographie (numérisation des images). Les réseaux sociaux, rendus possibles par la miniaturisation de l'électronique et les communications satellitaires, jouent un rôle majeur dans la restructuration de l’imaginaire collectif et la bataille idéologique, ils jouent un rôle contradictoire de mise en relation et d’isolement, et qui possède les « tuyaux » à la main sur ce qu’ils transmettent.
Au-delà, des réseaux sociaux, l’industrie fait largement appel au modèle cybernétique, à travers les objets connectés (et maintenant le système de communication dit 5G), l’usage de clones virtuels, simulateurs, reproduisant le fonctionnement en temps réel des équipements réels, en tirant expériences de l’usage et du comportement de ces équipements, ce qu’on appelle aussi des jumeaux numériques. Derrière le miracle des usages, il y a des machines.
De ce point de vue, la revendication d’un service public de l'internet, voire du web, est une revendication à mettre en avant, ainsi que la mise au point d’un système d’exploitation indépendant et des logiciels associés88. Dans le domaine de la production, cette situation semble donner la prééminence aux contenus par' rapport aux supports et aux machines dont les caractéristiques lont pourtant les performances d’ensemble. En fait, La séparation matériel / logiciel a nourri de nouvelles divisions sociales et capitalistiques du travail. Mais les uns et les autres n’ont de valeur d’usage qu’ensemble, ça forme système, là aussi le tout est « plus que la réunion des pairies », il y a émergence au niveau de la valeur
d’usage. Il y a à la fois processus de spécialisation et des forces qui obligent à préserver la coopération (Intel-Microsoft étant la plus évidente...). Cela passe par un Google qui investit dans des activités en lien direct avec la production de biens matériels : la voiture autonome, la robotique... idem Uber, Amazon... ou des géants du web passant alliance avec des constructeurs automobiles. En dernier ressort ce système est aussi sensible aux ressources naturelles (terres rares pour l’électronique, aimants, éoliennes, panneaux photovoltaïques, énergie, etc.) que l’automobile du pétrole...
Les ordinateurs puissants permettent aujourd’hui des simulations relativement fiables pour le temps et le climat, des modélisations pour la production (voir la revue Progressistes n°12 ainsi que le n°589).
Toutes les activités « intellectuelles » sont concernées, comme l’enseignement, la formation. La rapidité des bouleversements induits nécessite de poser différemment le problème de l’enseignement et de la formation continue.
Mais ce foisonnement scientifico-technique, s’il est mis en lumière et sous-tendu par l’irruption de l’infomiatique et des réseaux, par la télématique, ne se limite pas loin de là aux seuls aspects informatiques. Ainsi, la maîtrise de l’atome, bien gérée, estelle en mesure de libérer l’humanité des problèmes énergétiques pour un bon millénaire, sans provoquer une pollution trop importante. Dans le même temps, l’accès à des moyens de simulation puissants et des avancées scientifiques déterminantes permet de prévoir les évolutions du climat, identifier les problèmes écologiques et environnementaux ; la maîtrise du vivant est en marche, les OGM sont déjà notre quotidien et nous sommes déjà passés d’une médecine réparatrice à une médecine « prolongeante ». La vaccination aujourd’hui se fait avec des sérums à base d’ARN messager, et tout ça en 20 ans. Dès lors que nous sommes capables d’intervenir sur un foetus, on fait de l’eugénisme sans le savoir ou sans le dire.
C’est ce qui distingue la Cyber-révolution des révolutions à caractères plus technique. Elle touche tous les aspects de la vie sociale et sociétale, les rétro-actions cybernétiques sont extrêmement rapides. Les repères spatio-temporels sont sollicités. Je parle tous les jours avec un membre de ma famille qui habite à Mexico et aussi avec un ami qui est à Hanoï et les yeux dans les yeux par l’intermédiaire d’internet. La pandémie due au coronavirus nous a plongés dans l’ère des visioconférences et du télétravail généralisé. La géographie s’en trouve modifiée, le TGV met Bordeaux à 2h de Paris, Lyon à lb.50, là où il y a 50 ans on mettait 5h avec le train le plus rapide (en 1920 il fallait environ 9h au train pour relier Bordeaux à Paris), la carte de France réalisée non plus avec des mesures kiloméüiques, mais des mesures de temps d’accès, se rétrécit drastiquement. Cela modifie, allié à internet et à la « dématérialisation » le comportement de couches entières de population. On peut travailler à Paris (ou Bordeaux, ou ailleurs), habiter Bordeaux (ou Paris ou ailleurs) « monter » deux ou tr ois jours au plus par semaine au bureau ou au laboratoire et travailler depuis chez soi, ou d’un tiers lieu, ce qui n’est pas sans incidence sur la vie personnelle et familiale. La gestion des territoires est interpellée. L’organisation politique et syndicale se doit d’en tenir compte, la forme prise par l’exploitation, la nature du travail, son organisation et donc les rapports sociaux et sociétaux se trouvent fortement impactés. Les organisations syndicales et
politiques se doivent de prendre cet état de fait en compte et d’en déduire des modes d’action et d’organisation adaptés et donc souples.
La modification des postes de travail. La vie de la Cité est modifiée, un certain nombre d’emplois sont concernés et appelés soit à disparaître soit à prendre une place de plus en plus réduite :
- les guichets automatiques réduisent la demande de caissiers et le nombre d’agences bancaires, les transactions bancaires pouvant être effectuées sur internet ;
- les appareils automatisés dans les aéroports limitent là aussi la nécessité d’agents ;
- apparaissent ici et là des épiceries automatisées, y compris dans des lieux autrefois complètement dépourvus de magasins ;
- des logiciels de calcul d’impôts réduisent la demande de services fiscaux ;
- le commerce sur internet réduit la fréquentation physique des magasins ;
- nombre de services financiers peuvent être faits sur internet, comme l’assurance-auto, des hypothèques, etc. ;
- les blogs gratuits et réseaux sociaux remettent en cause le rôle et le métier des journalistes pour l’information et les opinions éditoriales, sans aucune garantie ni déontologie ;
- les clubs vidéo et la télévision (qui peut aussi désormais se regarder sur internet) sont concurrencés par le cinéma à domicile ;
- le courtage financier se fait de plus en plus sur internet, les places financières sont toutes informatisées et accessibles depuis internet ;
- les transactions immobilières peuvent de plus en plus échapper aux agences, on peut désormais s’afficher sur des sites et vendre facilement soi-même son bien immobilier ;
- la vente d’ouvrages de référence et d’encyclopédies est menacée par les encyclopédies en ligne, constamment mises à jour;
- la conduite des transports sur rail ou en site propre, comme les trains, les trams, peut être complètement automatisée.
Ce phénomène s’accélère. La robotique continue d’avancer. Foxconn prévoit de remplacer 500.000 de ses employés par des robots. « L’intelligence artificielle » est de plus en plus performante (en fait les logiciels apprennent au fur et à mesure). Sans parler du monde des échecs, Google a conçu une voiture qui se conduit toute seule, ce qui ne saurait laisser indifférents les chauffeurs de taxi ou de bus. Les logiciels de traduction automatique permettent à des individus de converser en n’importe quelles langues, un chinois peut converser avec une française sans problème chacun dans sa langue. Ce type de logiciel remet en cause le métier de traducteur. L’impression 3D interpelle l’industrie manufacturière.
Dans les années 1930, John Maynard Keynes avait avancé le concept de « chômage technologique » lié à l’automatisation qui, en système capitaliste remplace le travail humain de faible et moyenne compétence. Cette situation permet un rétablissement significatif du taux de profit, alors que la pression sur les salaires s’accentue. Le capital domine de plus en plus le travail humain, la part du capital variable est en nette baisse.
De tout temps, les développements scientifiques et techniques ont influé sur les structures sociales, mais ce qui caractérise notre époque, c’est la quasi instantanéité, la dimension et la profondeur
des bouleversements induits, l’imbrication pour ne pas dire l’intrication des différents systèmes qui composent la société. La rapidité des changements technologiques et scientifiques est extrême et ce qui caractérise la Cyber-révolution, c’est que les changements sociétaux induits sont également très rapides, mais comme il y a une « inertie » sociétale, due en partie à la culture et l’histoire sociale de nos sociétés, lorsque les changements se produisent ils prennent un caractère « explosif », une émergence qui bouscule l’ordre social. La Cyber-révolution n’en est qu’à ses débuts et marque une rupture avec les systèmes techniques et modes de production précédents. Elle doit prendre tout son essor car si elle est la force productive qui a permis au capitalisme de surmonter sa crise de baisse de taux de profit des années 70, tout en assurant sa mondialisation, elle exacerbe aussi les contradictions du système et offre un outil très puissant pour organiser une société communiste.
Elle intègre le potentiel ouvert par la puissance des mathématiques, leur déploiement possible dans chaque discipline de travail, en toute conscience de sa limite. Elle ne perd pas pour autant en effet le sens des choses. Au contraire elle intègre le besoin de revenir à une réalité majeure. Tout mouvement physique du monde renvoie à des forces. Les corrélations ne disent pas ces forces même si leurs usages semblent pouvoir répondre à tout, plus ou moins approximativement. Ce sont les forces qui ont la main et les clés du système.
Internet a déjà transformé le monde, l’économie, les modes de vie, le travail. Mais nous y voyons encore seulement « un lieu » d’échanges, d’information, d’usage marchand des données personnelles, c’est-à-dire de nous-mêmes. Internet reste compris comme un réseau de communication. Il commence à devenir un
lieu de production de façon implicite par le capitalisme de plateformes ; mais il n’est pas encore compris comme tel, comme déjà Marx comprenait les premiers réseaux de communications électromagnétiques intercontinentaux (le télégraphe !) de son temps : de coûteux moyens de production (les coûts du logiciel, et de toute rinfrasûucture, terres rares, métaux en quantité finie, de l’énergie nécessaire), au même titre que le chemin de fer, le üansport maritime.... Il est encore moins bien compris comme un des éléments de machines et d’un système cybernétique.
Nous sommes en fait devant la puissance de notre intelligence individuelle et plus encore sociale, et devant l’étroitesse de nos rapports sociaux de production, d’anciennes dominations, de préjugés ancestraux, certaines et certains plus vieux et vieilles que le capitalisme.
5.3.1 - Une profonde modification du monde du travail
La cybernétisation de plus en plus marquée de la production conduit inexorablement à une diminution, voire une marginalisation de la classe des ouvriers.
Le tableau de la sous-partie 5.2 est instructif. On y voit que le monde productif en 2017 (91 %) est très majoritairement constitué de non-ouvriers (au sens de l’INSEE) alors qu’en 1962 c’est beaucoup plus équilibré, les ouvriers représentent à peu de chose près 40 % du monde productif, la moitié, soit 20 % en 2017.
De même la place prise par les cadres, professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires, voire employés est passée de 34,7 % à 71,1 96» il a plus que doublé en 55 ans.
Le télétravail.90 La crise pandémique dû au Corona virus a précipité et mis à l’ordre du jour cette pratique qui « se cherchait » depuis déjà quelques temps et rendue possible techniquement. Le confinement et l’instauration de gestes lumière a conduit à une extension sans précédent de cette pratique, ainsi que les visio-réunions et visio-conférences.
Les bouleversements du monde du travail, sont certes dus à la nécessité de se protéger de la pandémie, mais ils se produisent sur fond de crise pré-existante du capital qui en profite pour pousser une stratégie de mise au pas numérique de toute la société. Mais cette situation est également marquée par les aspirations et réactions individuelles ou collectives qui apparaissent pour que santé, social, environnement et économie marchent de pair.
A travers cette situation qui peut paraître temporaire, le temps de la pandémie, se structurent des éléments de plus long terme. Les bienfaits, dommages et limites du travail à distance sont apparus en vraie grandeur avec des différences notables tant pour le vécu des salariés que pour l’efficacité du travail. Une des conséquences et non des moindres est pour beaucoup de salariés, la confusion qui s’opère entre temps personnel et temps de travail. La surcharge domestique, avec le télétravail se surajoute au travail scolaire (lui-même à distance) des enfants et devient un élément important de dégradation des conditions de vie ; surtout, de fait, pour les femmes.
5.3.2 - La modification à venir du monde du travail
Le problème auquel est aujourd’hui confronté le monde du travail est dû à la nature même du travail de ces dernières catégories
qui forment ce qu’on appelle à tort couches (ou catégories) moyennes. Une partie très importante de ce travail est un travail plus ou moins d’organisation, ou de contrôle, très peu de création, et tout ça est relativement facilement numérisable au sens de Turing, donc susceptible d’être confié à des ordinateurs, en attendant que le monde physique lui-même soit cybernétisé, ce qui ne saurait tarder et est l’objet même de la révolution industrielle dite 4.0 à venu-, ou plutôt à ses tout débuts, celle des objets connectés, des jumeaux numériques et de la connexion dite 5G.
Sur une assez longue période, on voit que le temps passé au travail aliéné est en baisse historique. D’après l’INSEE, en France en 1936 on travaillait 2227 heures annuelles, contre 1600 en 2017, soit environ 17 semaines gagnées sur la base des 35 heures hebdomadaires.
L’impact social et sociétal. Bien entendu ce sont ces couches moyennes qui vont être impactées et « laminées » par cette cybernétisation par l’irruption massive de ce qu’on appelle l’intelligence artificielle (désormais I.A., comme Informatique Avancée) à travers les machines apprenantes et les robots.
C’est ce qui permet à l’un des saltimbanques grassement stipendiés de la bourgeoisie de dire à un dirigeant révolutionnaire : « vous, vous nous dites, en 2018, Lénine est vivant, c est la résurrection de Lénine, comme si Lénine allait aider la CGT et les Français à régler le monde des robots, de l’intelligence artificielle et des algorithmes. »
Il n’est que de voir comment un simple appareil comme le téléphone mobile, devenu de fait un micro-ordinateur (toutefois plus puissant qu’un ordinateur du XXe siècle !) portable a modifié les rapports entre les gens pour prendre la dimension du
problème. Les organisations sociales et sociétales sont interpellées par cet outil qui à la fois permet une inter-relation, une communication décuplée et quasi instantanée entre individus, ignorant frontières et continents, et dans le même mouvement éloigne et sépare les individus les uns des autres. C’est le règne de l’instantanéité, fi du temps de la réflexion, le temps de cerveau disponible est absorbé, instantanéisé et marchandisé.
Les pratiques liées aux logiciels libres se distinguent dans un premier temps d’une définition néolibérale de la marchandise sur différents points. Tout d’abord, des tentatives coopératives mettent en place un mode de production par des dynamiques coopératives différentes du mode de production capitaliste, l’illusion ne durera pas bien longtemps, les « logiciels » libres seront bien vite mis au pas et intégrés dans le système contrairement à ce qu’avaient cru y voir quelques sociologues un peu hâtivement [Lojkine, 2016]. Ce sont deux logiques économiques concurrentes qui interagissent : celle du secret, du brevet, c’est-à-dire celle du capital traditionnel et celle du mouvement des communs. Il se crée une dialectique propre qui permet au capitalisme d’intégrer ces nouvelles façons de produire en ce qu’elles sont des oppoxtunités de rupture, des disruptions, qui peuvent donner une direction nouvelle à la logique du système capitaliste, comme, par exemple les crypto monnaies, basées sur un principe algoridrmique très efficace, en passant outre les banques centrales ou tout autre tiers de confiance, le dit tiers de confiance étant le réseau lui-même. Ce mouvement des communs, créant des horizontalités dans les relations sociales et sociétales reconstitue d’une certaine façon des tribus qui ont tendance à se refermer sur elles-mêmes. Pour ce qui est des crypto-monnaies ici évoquées, leur sécurité vient certes des algorithmes mis en œuvre, mais leur faiblesse vient de ce qu’elles ne correspondent à rien, il
n’y a pas de valeur en contrepartie, c’est de la monnaie de singe, spéculative91.
De nouvelles formes d’organisation des luttes sociales, telles que le mouvement des Indignés, ou le mouvement dit des Gilets Jaunes en 2019-2020- ..., émergent partout et renouvellent les interrogations sur la sociologie de ces mouvements sociaux. Ces nouveaux mouvements sociaux se veulent apolitiques. Ils se définissent par une opposition à l’intermédiation institutionnelle classique que constituent les partis politiques et les syndicats pour former une organisation horizontale grâce précisément à l’accès aux réseaux sociaux informatiques. Ils sont censés permettre à tout citoyen d’accéder à l’expression politique par des expériences de démocratie directe comme les assemblées populaires ou l’occupation de places publiques ou des actions directes spectaculaires comme Occupy Wall Street. Les réseaux sociaux jouent là un rôle central, ils permettent une mobilisation ponctuelle extrêmement rapide mais bien souvent sans lendemain. La caractéristique de ces mouvements sociaux est qu’ils sont souvent menés par des membres des catégories et couches moyennes en cours ou en menace de déclassement du fait précisément de l’informatisation des pratiques, mais étant apolitiques ou se voulant tels, ils ne peuvent déboucher sur une remise en cause réelle du système de production et d’échange, il manque l’organisation qui ouvre l’avenir et forme les cadres, structurant les revendications éparses et ponctuelles en une donne politique.
Des forces populistes, s’appuyant sur ce faible niveau de conscience politique sont en mesure de manipuler ces nouveaux
mouvements sociaux, dans tous les sens, la porte est ainsi béante au vent de tous les aventuriers et toutes les aventures, et surtout des pires.
5.3.3 - La Cyber-révolution vue par le capital
Remise en cause des Etats : L’Etat est dans sa définition, une organisation délimitée par des frontières territoriales à l’intérieur desquelles les lois inhérentes à l’État considéré s’appliquent, et des institutions en assurent et exercent l’autorité du point de vite social ; c’est aussi la communauté politique universelle des citoyens.
Le caractère-organisation délimitée par des frontières territoriales est battu en brèche et rendu progressivement caduc par futilisation d’internet et du web. De même les réseaux dits sociaux remettent en cause cette communauté universelle des citoyens.
Les entreprises transnationales opèrent localement sur chaque territoire physique, mais de façon globale. Le marché financier mondial échappe à l’autorité des États92, la mise en place de chaînes logicielles de type blockchain tend à créer des situations qui s’apparentent, toutes proportions gardées au système féodal, quand des seigneurs battaient monnaie. Ici les crypto monnaies rendues indépendantes d’institutions intermédiaires, tiers de confiance, jouent le rôle de monnaies qui ne doivent rien ni aux banques centrales (centrales de quoi alors ?) ni au FMI. Le capital sous influence anglo-saxonne des libertariens tend à se débarrasser des États. Cela dit et quoi qu’il en coûte à certains et certaines, les humains vivent concrètement en des lieux bien déterminés. La
crise de la Covid-19, et les confinements afférents, sont là pour rappeler à de dures réalités. La question de savoir si nous arrivons à un stade auquel le capital cherche à se débarrasser des Etats-nations semble recevoir un début de réponse avec le gouvernement français et le gouvernement US qui sont en fait des conseils d’administration de multinationales. La « réforme territoriale » française avec l’éloignement systématique des citoyens des centres de décision en est aussi un élément. La substitution du réseau et des relations à travers la technologie, éloignant ainsi le citoyen de tout interlocuteur direct, quand l’interlocuteur au téléphone de la plateforme de dépannage, quand ce n’est pas un avatar, n’est pas dans un autre pays, contribue à la déshumanisation et ainsi, localement, dans les relations individuelles à une perte conséquente de démocratie.
Les migrations dues aux guerres et interventions « humanitaires » impérialistes ne sont rien à côté de celles qui vont être induites par la montée des eaux due au réchauffement climatique, ce sont des millions d’humains qui vont être jetés sur les routes de l’exil et de la migration, les frontières et les Etats, sous la forme actuelle, n’y résisteront sans doute pas. Ventre affamé n’a pas d’oreilles !
5.3.3.1 - Et pourtant, des perspectives
Le déploiement annoncé des objets connectés, de machines « apprenantes » dans nos quotidiens et bien entendu dans le travail va révéler pleinement l’ampleur de la révolution des forces productives en cours. Nous allons saisir que le monde, social, politique, du travail, nous et nos artefacts, sont en interactions permanentes, y compris avec une nature domestiquée comme jamais, asservie à nos besoins et, espérons-le, à nos exigences et
besoins de sa préservation et respect de ses limites, ça fait partie de l’enjeu.
Nous allons saisir que notre intelligence va pouvoir scruter l’univers, la matière, le vivant, des hommes, l’individu et nos sociétés à des échelles encore à peine imaginables il y a peu.
L’art, la culture, n’en sortirons pas indemne ni dans leur contenu, ni dans le fait qu’ils sont depuis des millénaires des activités de création réservées à de petits groupes sociaux spécialisés qui vivent pour certains en dehors du monde de l’exploitation quand ils n’en vivent pas eux-mêmes, voire n’en sont pas les parasites (star-système).
La formation et les pratiques scientifiques et techniques ouvrent de leur côté autant à la connaissance des hommes que les sciences des humanités et les pratiques culturelles. Ici l’évolution des forces productives forge de nécessaires et possibles convergences entre ces groupes hors classes du monde des arts, des humanités, et la classe des exploités. L’exploitation prend de nouvelles formes, avec la captation par l’I.A. et les bases de données des savoirs et savoir-faire de ces catégories et dont pour certains la « créativité » n’est jamais qu’une combinatoire de ce qui existe déjà.
De même le travail de recherche scientifique sera refondé, prenant une place et une définition nouvelle et élargie avec des frontières entre disciplines scientifiques et technologiques de plus en plus floues.
Nous allons voir l’intelligence humaine étendre, et faire tourner de plus en plus tout seul, par lui-même le monde mécanisé où actuellement, les hommes et les femmes produisent socialement les valeurs d’usages, c’est-à-dire les richesses, qui assurent l’essentiel de leurs nécessités individuelles et sociales. C’est le
règne de « Les usines tourneront toutes seules », en fait la fin du travail aliéné, la base du communisme.
Nous allons voir progresser les nécessités et les possibilités matérielles et donc le besoin politique de penser le temps libre qui donnera du sens à une société de relative abondance, respectueuse de l’ancrage de l’espèce humaine au monde de la nature.
L’étroitesse des rapports de classe sera nue, dans ses finalités (l’accumulation privatisée du capital en tant que facteur social de production), et dans ses fondements (la propriété privée des moyens de production qui permet de mettre en œuvre, sans entrave, la liberté d’entreprendre, strictement personnelle, ou à des échelles communautaires ou sociale plus ou moins larges).
La réponse à ces défis n’est pas technologique, elle nécessite :
1. la compréhension scientifique des modèles universels de Turing et de Wiener ;
2. l’analyse des rapports sociaux de production, c’est-à-dire les forces, les classes au sens de Marx qui utilisent ces modèles pour produire le monde des hommes ;
3. une approche dialectique des transformations du monde du travail sous la tension de ces deux points.
Voici pourquoi il s’agit de saisir les ressorts de la dynamique à l’œuvre et où elle en est objectivement.
Les années 1960 du XX' siècle sont celles de « l’explosion » de la « société de consommation » et de l’apparition des super marchés. La productivité du travail, a considérablement augmenté, les travailleurs veulent en profiter, tout le long de cette seconde pairie de la décemiie, les luttes ouvrières se produisent, sporadiques, porteuses de revendications à la fois salariales mais aussi à caractère sociétal93. La classe ouvrière qui fit le Front Populaire a commencé à se transformer dès la fin de la seconde guerre mondiale... L’année 1968, avec sa force et ses limites témoigna du début de l’engagement concret du processus. L’époque actuelle, elle, témoigne de sa généralisation et du mûrissement en cours.
La capacité de la grille de lecture marxiste à rendre compte du processus en cours est vérifiable sur le dernier siècle. On peut penser qu’elle offre des garanties essentielles pour affronter le présent et le futur en germe.
La Cyber-révolution articule dialectiquement tous ses aspects. A condition de comprendre que la possession d’une bicyclette ne signifie pas posséder la machine de l’ère moderne.
La Cyber-révolution pose le problème global de la gestion de l’humanité, du travail et de son sens (profits ou réponse aux besoins ?), de la gestion de la planète (pour qui ?) et en donne les moyens, elle pennet de poser la question du communisme considéré ici dans la tension entre : les usines tournant toutes seules et le travail premier besoin social de l’homme.
Prolétaires de tous pays, unissez-vous !
La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l’ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés.
Manifeste communiste 1848
6.1 - Les classes
La notion de classe94 est inséparable du développement des forces productives. Si la dynamique, tant quantitative que qualitative des forces productives matérielles a généré, à toutes les périodes de l’histoire, différentes organisations des sociétés, des rapports sociaux différents, la nature profonde en a toujours été jusqu’à présent l’exploitation des producteurs immédiats et la pérennisation de cet état par leur aliénation, leur sujétion. Le maître romain possédait l’esclave, le seigneur possédait la terre mettant le serf en dépendance, le capitaliste possède la terre, les machines, les usines nécessaires au prolétaire pour valoriser sa force de travail. Le capitaliste possède également le système fiduciaire. C’est là l’objectivation de la notion de classe. Si l’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de ses forces productives, le moteur de cette histoire, c’est la lutte des classes.
Cela n’a pas toujours été évident, ou du moins l’existence de classes n’a-t-elle pas toujours été perçue en tant que telle, ni comme sujet de lutte. Dans les sociétés antiques, romaine, grecque puis féodale, l’ordre social apparaît immuable. La société sur Terre est à l’image de la Cité de Dieu. Du reste, c’est le rôle du symbolique, de la religion, de maintenir le lien social, l’ordre établi. Au Moyen Age, on vit dans un monde où l’on n’est qu’un jouet dans la main de Dieu, un Dieu père fouettard qui vous fait peur et peut vous rappeler à lui à tout instant, la vie est très précaire. La religion,
quelle qu’elle soit, se maintient et maintient l’ordre existant par la terreur qu’elle inspire à de pauvres âmes incultes et par la représentation de la Terre et du Ciel qu’elle leur inculque. Les forces productives se développent lentement, les découvertes scientifiques ou techniques mettent beaucoup de temps à passer dans la vie économique. Il arrive même qu elles ne pénètrent pas l’activité économique. Il n’y a pas de raison de changer l’ordre du monde puisque tel quel, il est voulu par Dieu. On ne cherche donc pas à créer de machine ni à améliorer les procédés existants. Seuls quelques illuminés y pensent ou s’y essaient, mais ce n’est en rien une activité reconnue, au contraire, elle peut s’attirer les foudres de l’Église, elle peut faire l’objet d’excommunications de la part de 1 Église (Galilée, Giordano Bruno...). Quand les innovations ou découvertes pénètrent, elles restent longtemps cantonnées en des espaces géographiques isolés. Elles sont souvent enfermées dans une gangue ésotérique, obscurantiste, dont il faudra du tenrps pour qu’elle se dissipe. Avant le grand tournant des sciences modernes, les Lumières, dont Galilée est, avec Kepler, l’un des plus prestigieux artisans, on n’acceptait pas que la vérité émane des faits, on la cherchait dans les textes anciens, sacrés ou pas, cela revenait à peu près au même, textes prestigieux, censés contenir la sagesse. Les quatre petits points lumineux autour de Jupiter n’étaient rien d’autre que des grains de poussière dans le télescope. De quel droit Galilée avec son instrument bizarre, digne d’un charlatan de foire, osait-il mettre en doute la sagesse des anciens ? Du temps de Galilée, le texte écrit était rare, réservé à l’usage des initiés et il fallait une relative richesse pour se procurer un livre, d’où son caractère ésotérique, à l’origine de la sacralisation. Le sens sacré de l’écrit nous est resté par exemple dans le sens solennel de la signature, qui engage son auteur, alors que la parole peut être' démentie. Les connaissances pratiques, telles que le savoir-faire
des corps de métier, étaient jadis jalousement gardées par les artisans, qui les distillaient chichement à leurs apprentis, souvent en échange de longues années de services.
Au Moyen-Âge, on n’échangeait que le superflu, l’essentiel de la production quasi exclusivement agricole était d’auto-subsistance, le prolétariat pour autant qu’on puisse utiliser ce terme dans ce contexte, un prolétariat de servage. Le peu de surtravail est réservé à la construction des édifices marquant la domination politique et religieuse (châteaux, églises) et à la reproduction simple de l’ordre social. Les forces productives se développant (charrue avec soc en fer, licol, etc.) tous les produits agricoles et artisanaux, toute la production sont progressivement commercialisés. La production tout entière devient objet d’échange, la force de travail elle-même devient marchandise. Ouvriers agricoles et industriels se libèrent du servage ou de la servitude dans lesquels les tenait leur sujétion qui au seigneur, qui au maître artisan, ils se prolétarisent. En fait le prolétariat est la forme ultime de cette aliénation. En effet, les esclaves ne peuvent se libérer de leur état d’esclave qu’en devenant prolétaires, les serfs eux, ne peuvent se libérer du servage qu’en achetant leur liberté au seigneur et passer à la condition de bourgeois, soit en rejoignant les bourgs et en devenant soit commerçant, soit en « se vendant » à un maître au jour le jour, en se prolétarisant donc, ou alors en se faisant attribuer pour prix du rachat, un lopin de terre et être alors paysan indépendant et devenir ainsi, sous une autre forme, bourgeois.
6.2.1 - Lutte des classes et dictature du prolétariat
L’apport décisif du Manifeste Communiste est d’avoir donné un contenu révolutionnaire encore plus large que ne l’avaient fait les économistes et historiens bourgeois aux concepts de classe sociale
et donc de lutte des classes. Marx donne là un contenu 1 évolutionnaire étendu au concept de classe sociale qu’il situe dans l’histoire et étend au prolétariat (qu’il redéfinit au passage).
Marx considère que l’état de prolétaire est le dentier pas, la dernière étape, avant la disparition des classes. En effet, après le passage d esclave à prolétaire et de serf à bourgeois, l’étape restante est la libération totale du travail aliénant, et donc du prolétaire, par prise de possession du produit du travail et des moyens de production, non en tant qu’individus, mais en tant que classe. C’est ce que signifie l’expression Dictature du prolétariat que Marx reprend à Blanqui pour son compte, mais en lui donnant du contenu. Bien sûr cela ne préjuge en rien des formes que peut prendre cette dictature, la Commune*, la république de Bêla Kun, ou les soviets. En fait, après la dérive du XXe siècle sur le mot « dictature » qui a pris un sens beaucoup plus fort qu’auparavant après la tragédie hitlérienne et plus généralement fasciste, il convient peut-être d’utiliser une autre expression ou de s’expliquer sur le concept, ce qui ne saurait être facile, les médias de la bourgeoisie se faisant fort de fausser le débat II faut bien comprendre ici sur quoi porte le concept de "Dictature du Prolétariat". Lorsque Marx écrit à Wedmeyer en 1852 : " Ce que j’ai fait de nouveau, c’était
F. Engels considère que l’expérience de la Commune de 1871 est la première manifestation historique de la dictature du prolétariat [Engels, 1887] « Celui-là seul est un marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat. C’est ce qui distingue foncièrement le marxiste du vulgaire petit (et aussi du grand) bourgeois. C est avec cette pierre de touche qu’il faut éprouver la compréhension et la reconnaissance effective du marxisme » [Lénine, 1951],
1. de montrer que l’existence des classes est simplement liée à certaines phases de développement dans l’histoire de la production ;
2. que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ;
3. que cette dictature elle-même ne constitue que la transition vers la disparition de toutes les classes et vers une société sans classes. "
Il signifie par-là que les conditions de la production changeant, c’est-à-dire, les forces productives se développant, l’esclavage a été aboli, puis le servage, non pas par bonté d’âme ou par la volonté d’un Dieu quelconque, mais par la nécessité liée au développement des forces productives matérielles elle-même. De même, le prolétariat n’est-il qu’une étape de l’état de travailleur, liée à un certain niveau de développement des forces productives. Il arrive un moment où ce développement des forces productives, non seulement autorise, mais nécessite, la libération du prolétariat, en tant que classe, de l’état de prolétaire, or la seule façon de se libérer c’est de changer le rapport aux moyens de production, c’est-à-dire que le prolétariat s’empare des moyens de production. En fait, les moyens de production appartenant à la masse de la société, ils n’appartiennent plus alors en propre à quiconque, c’est l’abolition de la propriété privée des moyens de production. Or ce passage d’un état à un autre ne se fait pas d’un coup de baguette magique, c’est là la nécessité de la dictature du prolétariat, forme ultime de la démocratie et de l’État, instrument de domination d’une classe sur une autre, État qui se nie en se constituant. Il n’y a alors plus qu’une seule classe (mais pas nécessairement qu’une seule catégorie) sociale, c’est-à-dire qu’il y a abolition des classes au sens du rapport d’exploitation.
6.2.1.1 - La révolte \ient de loin
Les Jacques du XIV' siècle sont de pauvres hères vivant dans la géhenne et qui produisent pour les seigneurs qui guerroyent et pillent le monde du travail, les serfs. La revendication des Jacques en cette année 1358, est la reconnaissance de leur travail et leur droit à en profiter, à faire manger leurs familles (ils n’en demandent pas plus). C’est la première fois dans l’histoire de France que des travailleurs revendiquent une part de maîtrise sur le produit de leur travail. Ils n’ont pas encore de revendication sur l’organisation de la société, il s’agit d’une révolte, pas d’une tentative révolutionnaire, ils montent à l’assaut des châteaux aux cris de : Montjoie Saint Denis e t Vive le Roy.
Toutefois, viscéralement, la noblesse y voit le danger. Le fait d’être attaqué par les vilains ne rend plus les nobles « intouchables » et remet en cause l’ordre de droit divin. « Sire vous êtes le plus gentilhomme du monde : ne souffrez pas que noblesse ne soit mise à néant. Si cette espèce qui se dit Jacques dure longtemps et que les bonnes villes viennent leur porter aide, ils mettront la noblesse à néant, et détruiront tout ».
Les marchands de Paris en révolte contre le roi Charles V affaibli par- la guerre avec l’Angleterre ne feront pas la jonction, que dans cette adresse au roi craignent les nobles. Une jonction qui pourtant aurait pu modifier le cours de l’histoire de France. Jacques Bonhomme ne réussit pas à rallier les bourgeois d’Eüenne Marcel. La maîtrise du travail des Jacques par eux-mêmes n’est pas leur problème. Déjà la bourgeoisie française naissante ignore le prolétariat, ou plutôt pour l’époque ce qui en tient lieu, et ce n’est qu’un début...
Au moyen âge, la conscience de classe n’existe pas, même si on peut considérer qu’il existe de facto des classes comme le montre l’exemple des Jacques, s’il y a lutte de classes c’est qu’il y a classes. Par contre, au niveau de la conscience, celle-ci est liée à la représentation qu’on peut avoir du monde. Or, qu’elle est au moyen âge la représentation que le vulgum pecus peut avoir du monde ? Le vilain, le Jacques, ne sait ni lire ni écrire, il n’a d’information que par les prêches du curé à l’église et les colporteurs qui déambulent sur les marchés, ou par des chemineaux isolés.
Comme nous l’avons vu, au moyen âge, on vit dans un monde où l’on n’est qu’une créature de Dieu. C’est un Dieu sévère, les flammes de l’Enfer brandies à tout instant par l’Eglise sont là pour le rappeler, qui a créé le monde en une œuvre achevée qu’il est vain, voire sacrilège, de vouloir modifier. La Cité est à l’image de l’ordre voulu par Dieu, on est dans un jeu de relations, on est inscrit dans une hiérarchie, on connaît sa place. Le pauvre est considéré comme celui qui permet au riche de se racheter devant Dieu. C’estlà ce qui caractérise la conscience populaire. Toutefois, le monde bouge au fil des guerres, famines, révoltes. La conscience de l’illégitimité de la propriété et des privilèges de la noblesse est larvée, elle prend peu à peu racine dans les valeurs chrétiennes de partage des richesses. C’est la Révolution française qui, proclamant que tous les hommes naissent libres et égaux en droits, balaiera tout cet imaginaire et créera le terreau idéologique à partir duquel pourra émerger une conscience de classe. Pourtant déjà avant, la Réforme, remettant en cause les dogmes de l’Église, s’appuyant sur les Ecritures, avait semé la graine de la révolte. La guerre des Hussites (fin du XIVe, début du XVe siècle), ou dans le Saint Empire germanique la Guerre des paysans (XVIe siècle) sont plus
que de simples révoltes. Elles portent en germe l’idée de liberté (et aussi de libéralisme) qui est le premier pas vers l’égalité.
6.2.2 - L’émergence de la classe ouvrière
La révolution industrielle a conduit à la maîtrise du procès de transformation de la matière palpable, et à l’organisation de la production afférente autour de grandes unités de production mobilisant des armées d’ouvriers, prolétaires œuvrant dans le bruit et la sueur. C’est là que naît le concept de classe ouvrière, la classe en soi et la classe pour soi comme le dira l’analyse marxiste-léniniste courante. Ce concept est contingent. Marx, qui écrit indifféremment en allemand, en anglais ou en français utilise les termes de arbeiterklass, working class, ou classe ouvrière suivant la langue dans laquelle il écrit. Visiblement, ce n’est pas pour Marx un concept scientifique. En allemand du XIXe siècle, arbeiterklass a un sens très restrictif, il s’agit des seuls travailleurs manuels, en anglais, working class a le sens de « classe des travailleurs » ce qui est au contraire très large, quant au français, la définition est à géométrie variable. Marx, lui, parle de la classe des prolétaires, concept clair. L’état de prolétaire est un rapport social, le prolétaire étant le travailleur qui vend sa force de travail et ne possède pas les outils de production (c’est d’ailleurs pour ça qu’il vend sa force de travail, parce qu’il ne possède pas les moyens de production, c’est-à-dire les moyens de valorisation de sa force de travail). Par contre, dans toute la période de la révolution industrielle qui mobilise des armées de travailleurs en même temps en un même lieu, le concept de classe ouvrière a un sens pratique, en particulier organisationnel et surtout opératoire pour le mouvement révolutionnaire. Il ne faudrait pas non plus voir le prolétariat comme une classe homogène, du prolétaire paysan à l’interne d’hôpital, en passant par le fraiseur-outilleur, le cheminot, le contrôleur aérien ou le
chercheur. Le monde des prolétaires est vaste et changeant, diversifié et les catégories qui le composent peuvent avoir sur certains points des intérêts divergents. C’est d’ailleurs ce dernier point, des contradictions entre des catégories au sein du prolétariat, qui conduit certains analystes des relations sociales, qui ne se basent pas sur le rapport social d’exploitation, à confondre catégorie et classe sociale. C’est aussi ce qui conduit quelques aventuriers à parler de Peuple ou Multitude au lieu de classe, s’autorisant d’une rhétorique qui a conduit à plusieurs reprises, à des défaites sévères de la classe prolétaire. Il faut y insister ici, l’état de prolétaire ne préjuge en rien de la nature du travail fourni ni du niveau de rémunération qu’il induit, c’est un rapport social lié à la relation exploité/exploiteur. Marx prend l’exemple suivant : une cantatrice embauchée par un entrepreneur producteur de spectacles permet à celui-ci de faire du profit. La cantatrice est donc une force de travail exploitée ; elle crée de la valeur pour elle et pour le capitaliste. Elle est prolétaire comme l’ouvrier payant parfois un billet pour l’écouter... ([Marx, 1894] Livre IV du Capital).
L’organisation de la société s’est ressentie de cette révolution industrielle avec globalement l’élimination des systèmes monarchiques et l’émergence des Etats-nations, l’apparition d’un marché de la force de travail et donc de la nécessité de la libre circulation de celle-ci dans l’espace national. La puissance publique jouant un rôle de régulateur des crises sociales et de gestion du territoire, tout en assurant la domination de la classe capitaliste (L’état instrument de domination d’une classe sur une autre - [Lénine, 1951]).
La logique du système a conduit de plus en plus à exclure l’homme de ce procès de production par l’automatisation et la
rationalisation. Avec le développement de cette industrie manufacturière, on assiste à une complexification de la production et de l’organisation sociale. Les activités, d’organisation du travail, de conception, d’orgamsation de la société, de services prennent alors une extension sans commune mesure par rapport à tout ce qu’on a connu auparavant, comme en particulier au XIXe siècle. L’organisation sociale n’en est pas fondamentalement changée par rapport à ce qu’on peut appeler la « première phase de la révolution industrielle ». Conséquemment, la classe ouvrière s’est constituée en tant que telle, et s’est organisée à partir de cette organisation du travail. Sont ainsi apparues les coalitions ouvrières, les syndicats, puis les partis politiques, en particulier les syndicats et partis révolutionnaires.
" Les conditions économiques avaient d’abord transformé la masse du pays en travailleurs. La domination du capital a créé à cette masse une situation commune, des intérêts communs. Ainsi cette masse est déjà une classe vis-à-vis du capital, mais pas encore pour elle-même. Dans la lutte, dont nous n’avons signalé que quelques phases, cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle-même. Les intérêts qu’elle défend deviennent des intérêts de classe. Mais la lutte de classe à classe est une lutte politique ". [Marx, 1850].
6.3 - Une classe en mutation
En fait le rapport au travail change aussi sous l’influence de la révolution scientifique et technologique, cybernétique. Il y a toujours des travailleurs rivés à la chaîne, taillables et corvéables à merci. Même s’ils ont des contrats à durée dite indéterminée, la durée en est déterminée par la stratégie des groupes financiers dont dépend l’unité de production qui peut être fermée du jour au lendemain. A côté de ces travailleurs, dans un rapport
d’exploitation « classique », et donc accessibles à la conscience de classe sur le tas, rinformatique et les réseaux, « l’intellectualisation » de la production créent une nouvelle couche de travailleurs, des prolétaires pour la plupart, qui se sentent valorisés dans leur travail, lequel leur permet de s’épanouir, du moins en un premier temps. Pour ceux-là, la prise de conscience de classe, la conscience de l’exploitation sont plus difficiles à acquérir, sauf qu’avec les crises récurrentes du capitalisme, ils sont en danger d’être dévalorisés. Aussi, la complexification de la production, liée en grande partie à l’introduction de l’automatisation (baisse du taux de profit oblige !) crée une masse de travailleurs et de travailleuses dédiées à la gestion et à des activités annexes (vente, publicité, analyse des marchés...) ; et à côté de ceux-là encore, existe tout un monde de travailleurs précaires, en contrat à durée déterminée, travailleurs occasionnels ou chômeurs permanents. Une part non négligeable de la population est exclue du procès de production, marginalisée. Le chômage est endémique, structurel, la précarité se généralise.
6.4 - Quel monde du travail ?
C’est dans les années 60-70 du XXe siècle que s’amorce le déclin numérique du nombre d’ouvriers stricto-sensu dans la production au profit du travail plus « intellectuel » et des services. Comme noté page 131-132 et dans les notes 78 et 79 des mêmes pages, ainsi que le montre le tableau page 135, il y a une modification profonde du monde du travail. La productivité d’une part, la complexité du procès de production d’autre part permettent et,nécessitent cette modification. Nombre de travailleurs sont désormais non impliqués directement dans la production matérielle mais sont indispensables à celle-ci (c’est aussi ce qui objective le concept de travailleur collectif). De plus, nombre d’activités annexes, mais
générées par la nécessité de ce système de réaliser le profit, c’est à dire de vendre, prennent une dimension importante (activité de publicité, cette dernière étant devenue une branche d’activité industrielle à part entière, ainsi que « l’industrie touristique », ou la prospection par exemple) les services « clientèle » prenant désormais une place non négligeable, services d’études de marchés par exemple dont le rôle est non seulement de conquérir de nouveaux marchés, mais aussi de se faire médiateurs envers les acheteurs potentiels afin de recueillir leurs sentiments et comprendre leurs besoins aux fins de définir de nouveaux produits adaptés à ces clientèles potentielles. De même, les activités de design prennent une dimension d’autant plus importante que la sophistication de la production exacerbe la course à la concurrence et que la complexification et la rationalisation de la production nécessitent une activité de création qui mobilise de la force de travail humaine sous sa fomie cognitive. Le concept classique de classe ouvrière est ici à revisiter comme le notent certains responsables communistes.
Le congrès du PCF de 1968 dit de Champigny présidé par le secrétaire général Waldeck Rochet pointe ces nouveaux enjeux et les problèmes à affronter, mais la pratique ne suivra pas suffisamment.
«... l’existence de la classe ouvrière est liée au rôle fondamental de la production et à l’existence du rapport social d’exploitation capitaliste. Or science et technologie sont devenues aujourd’hui des bases de production matérielles. Dans ces conditions, prétendre que la classe ouvrière disparaît du fait de l’élévation des qualifications et de la part grandissante du travail intellectuel, c’est assimiler par méconnaissance ou mauvaise foi, classe ouvrière à travail manuel et non à travail productif. »
Ce texte de R. Leguen [Le Guen, 1998] donne une vision de la classe ouvrière qui n’est pas classique, par rapport à ce qui précède, il vaudrait mieux ici parler de prolétariat, mais le propos reste pertinent en son essence par rapport à l’exploitation. Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle phase, à la généralisation de la production de matière non palpable (les services, en particulier les services à la personne, par exemple, ou encore la production de concepts) qui prend une place de plus en plus importante dans nos sociétés en créant de nouvelles couches de prolétaires, travailleurs ne vivant pour l’essentiel que de la vente de leur force de travail, pour l’essentiel salariés, qui n’ont que de très lointains rapports avec le monde du travail classique de la révolution industrielle. Il conviendrait que les organisations se réclamant du prolétariat prennent en compte ces évolutions importantes.
Pour Marx, toute société, le capitalisme en particulier, génère en son sein les conditions de son dépassement. L’accumulation capitaliste, en concentrant et en centralisant le capital, facilite elle-même l’expropriation des capitalistes. Dans cette vision des choses, le mode de fonctionnement même du capitalisme crée les conditions objectives de son dépassement. Pour opérer ce dépassement, le moment révolutionnaire, il y faut des acteurs, il n’y a pas d’automatisme. Là aussi Marx voit le capitalisme comme produisant lui-même la classe révolutionnaire, la concentrant et funifiant, la conscience de classe et l’organisation se forgeant sur le lieu de l’exploitation, l’usine (la fabrique ou la manufacture dans le vocabulaire de Marx), émanant de la concentration ouvrière proprement dite. Cette vision est associée à la révolution industrielle.
6.4.1 - Matériel et immatériel
On voit de-ci de-là dans la littérature économique, y compris chez des auteurs se réclamant de la pensée de Marx, l’expression production immatérielle. C’est là un contre-sens qui n’est pas sans conséquence. Les idées sont une forme du mouvement de la matière, elles admettent un substrat matériel en ce sens qu’elles sont le fait d’échanges chimiques et électriques dans le ceiveau humain. Plus encore, les idées sont une production sociale en ce sens qu’elles sont le produit d’échanges entre les humains à travers le langage d’abord, le commerce aujourd’hui. Du reste, dans un français un peu désuet « avoir commerce » avec quelqu’un c’est aussi échanger des idées avec cette personne, avoir des relations. Les idées des hommes, leurs idées sur la société, sur la représentation du monde se forgent au fur et à mesure de leur action sur le monde qui les entoure, en fonction de leurs organes d’appréhension du monde et des outils qu’ils se sont forgés pour l’appréhender. En cela, les idées sont une forme du mouvement de la matière, et elles sont production sociale. Il en est fondamentalement de même de ce qu’on appelle « service », il s’agit bien de la production d’une marchandise, qui a une valeur d’usage et donc d’échange, même si elle est consommée sitôt produite, que sa production en est sa consommation.
De plus, cette expression de production immatérielle conduit à une vision erronée du monde du travail. En effet, elle induit de facto une dichotomie au sein du procès de production, dichotomie qui n’a pas lieu d’être et qui conduit à la confusion relevée précédemment entre classe et catégorie, car ce qui compte ici c’est le rapport d’exploitation. Cette production d’objets non-palpables entre dans le cycle de production de la marchandise. Ces objets ont une valeur d’usage et conséquemment en système capitaliste
une valeur d’échange ; ce sont des marchandises comme les autres et elles sont produites par du travail vivant aliéné. Elles participent donc aussi à la production de la plus-value.
Marx en son temps avait noté que la science devient une force productive, or la science ne manipule QUE des idées sous forme de théories, de concepts, elle produit. Ce qui change aujourd’hui c’est que des produits de l’esprit deviennent des marchandises et ce de façon massive. Elles entrent dans le circuit de la marchandise au même titre que les pommes de terre, et elles sont aussi indispensables.
Instance, instance générique. Certains économistes voudraient que ces marchandises aient un statut particulier dans la production de la valeur. Arrêtons-nous un peu là-dessus, l’argument est : si je vends ma voiture, je ne l’ai plus mais l’argent que je me suis ainsi procuré me permet éventuellement d’en racheter une identique, alors que si je vends un programme d’ordinateur par exemple, je l’ai encore après l’avoir vendu et j’ai toujours l’argent de la vente (on peut dire la même chose d’un disque compact de musique). D’abord et avant tout attention déjà là à la confusion entre valeur et prix. Ensuite, le statut des deux marchandises est, quoiqu’en disent ces économistes, rigoureusement identique. En effet, dans les deux cas (trois avec la musique) je n’ai pas vendu LA voiture, ni LE programme, ni LA chanson, mais un exemplaire de... , un représentant, une instance. La matière du disque ou de la voiture n’est que le support matériel DU programme ou de LA voiture, à tel point que dès lors que le concept est mis au point, les outils pour la produire définis, elle peut être produite en grande série, plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, automatiquement sans presque d’intervention humaine. Au lieu de prendre pour exemple une voiture, on pourrait prendre une paire de chaussures
d’une marque à la mode par exemple, tous les gamins ont LA MEME paire de chaussures. LA voiture, c’est-à-dire ce qu’on peut appeler l’instance générique, elle, est dans le bureau d’études, ce que je conduis n’étant qu’une instance particulière, un représentant. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que la fabrication de la partie mécanique de la voiture nécessite et nécessitera de moins en moins de travail vivant, tout ça étant produit automatiquement. Ce n’est donc pas dans batelier que se produit (pour l’essentiel) la valeur, c’est dans le bureau d’études. La ferraille-voiture a donc le même statut que la galette-CD sur laquelle est gravé mon programme. La distinction a une autre origine : je peux recopier facilement le programme sur un CD vierge100, c’est moins facile pour la voiture, il y faut plus dimmobilisation de capital, mais ce n’est pas fondamental du point de vue production de la valeur. Que ce soit pour produire de façon industrielle des programmes ou des voitures, il faut aliéner de la force de travail, il suffit d’aller visiter une « usine à programmes » pour s’en convaincre, les programmeurs et concepteurs Microsoft ou Apple ne me démentiront pas.
6.4.2 - Quels acteurs aujourd’hui ?
La forme d’existence de la classe ouvrière des XIXe et XXe siècles est en nette régression dans les pays développés, en cours de marginalisation, et la question qui se pose aux révolutionnaires d’aujourd’hui est précisément celle des acteurs de ladite révolution à la lumière du mouvement des forces productives à l’heure de l’internet et du web. Bien qu’il y ait prolétarisation élargie de nouvelles couches de travailleurs, salariés participant au processus
I0°. En fait ce que je copie n’est pas LE programme, mais là aussi une instance particulière qui fait que je n’ai pas accès au code du programme mais à ce qu’on appelle un exécutable, en fait, un droit d’usage, sans plus !
productif et à sa réalisation, activités de service, travailleurs sociaux, membres du travailleur collectif, les armées de prolétaires réunies en un temps et un lieu n’ont pour l’essentiel plus cours, sauf peut-être et pour quelques temps encore dans les activités d'infrastructures comme le chemin de fer, les routes, l’énergie, l’eau. La prise de conscience doit emprunter de nouveaux chemins, les organisations de travailleurs, l’organisation révolutionnaire aussi, les formes et axes de lutte également. L’objectivation de la nécessité de la révolution ne vient plus seulement des prolétaires directement au contact de l’exploitation. C’est le mode de production capitaliste, la propriété privée des moyens de production et d’échange, la marchandisation de toute activité humaine, qui entrent en contradiction avec les intérêts d’une humanité dont la survie même est mise en cause par ce mode de production, ne serait-ce que du point de vue environnemental écologique et climatique. De nouvelles couches de l’humanité, y compris dans la bourgeoisie, ont un intérêt vital au dépassement de ce système de production et d’échanges, encore faut-il qu’elles en prennent conscience et mènent la contradiction jusqu’au bout.
Le prolétariat n’est pas messianique, il n’est pas porteur d’une mission divine d’abolition des classes et d’établissement d’une Cité idéale. Ça c’est la caricature qu’on veut en donner. C’est la logique même du mode de production capitaliste, la logique du développement des moyens d’action sur la nature, les forces productives, et qui non seulement rendent possible un monde débarrassé de l’exploitation de la force de travail humaine, mais la dialectique production/environnement en mesure la nécessité, le caractère indispensable, et l’urgence.
6.4.3 - Le tissu change, pas le capitalisme
Le tissu économique lui-même se trouve modifié. Ainsi, la mise en réseau systématique des entreprises et des différents acteurs de la vie économique, centres de recherche, universités... autoriserait l’augmentation générale du niveau de connaissances. Cela favorise l’apparition de nouvelles connaissances et de nouvelles façons de les produire. Cette mise en réseau a tendance à rapprocher producteurs et consommateurs en éliminant de nombreux intermédiaires. Il apparaît là un certain continuum dans le système considéré comme un tout vu de l’extérieur. Il serait toutefois vain d’y voir une dilution de l’entreprise en une entité unique allant du producteur au consommateur. Il faut bien en système capitaliste que le cycle de la marchandise s’accomplisse et donc que le rapport marchand se déroule convenablement. C’est là le lieu (éventuellement virtuel, comme les plateformes informatiques) où s’effectue ce rapport marchand qui marque les limites de l’entreprise. En entrée dans le rapport marchand avec les fournisseurs, en sortie dans le rapport marchand avec le client (dont on peut être le fournisseur). Dans un système non-marchand, ces frontières pourraient disparaître et laisser alors place à un système de production intégré, directement associé à une logique de satisfaction des besoins, et non plus de génération de profit, ce qui pose le problème du mode d’expression des dits besoins.
6.4.4 - Un continuum
La numérisation permet des modifications structurelles du système de production de la valeur. On assiste à un continuum industrie-services, de plus en plus prégnant. Cette révolution numérique amène une nouvelle manière de produire et de consommer, la transformation est celle qui fait passer de la
production de masse essentiellement quantitative aune production de masse personnalisée qui nécessite de penser une industrialisation renouvelée. L’industrie de la publicité est maintenant directement intégrée dans le processus industriel, jouant un rôle non négligeable dans la bataille idéologique, s’appuyant en grande partie sur la séduction, créant des faux besoins, parasitaires pour l’essentiel, pompant l’épargne populaire par la frivolité. La grande distribution implique la consommation de masse et partant, la production de masse, y compris personnalisée grâce à la souplesse de la production numérique. Le caractère prédateur du mode de production capitaliste arrive alors à un stade tel que ce sont les conditions de survie même de l’humanité qui sont en cause, environnement, épuisement des ressources, pollution de l’air et de l’eau...
Le contenu et le sens de la Cyber-révolution, son expansion planétaire avec l’accélération de la mondialisation, ses aspects sociaux et sociétaux sont un défi majeur dans le combat de classe.
La question se pose alors sur la composition de la classe des travailleurs, du prolétariat, ici du salariat, lequel suivant les diverses modalités de l’exploitation recouvre très largement tout le monde du travail aliéné. Poser cette question, en sous-entendant que cette classe des travailleurs s’est très largement modifiée et diversifiée et donc que les chemins de la prise de conscience de classe sont parfois tortueux, voire obstrués, nécessite de réfléchir sur ce que doit être le Parti de la classe des travailleurs95.
6.4.5 - L’entreprise sans usine
La souplesse associée à ces nouvelles technologies permet une autre organisation de l’exploitation du travail vivant par les délocalisations. La délocalisation peut aussi se faire « sur place ». L’entreprise n’a plus d’usine, elle sous-traite à une myriade d’usines, ici ou ailleurs, faisant voler en éclats les acquis des travailleurs, renforçant la précarité. Les usines en question ne sont alors plus que le lieu où se réalise la plus-value, l’exploitation, l’exmaison mère s’en « lavant les mains » tout en se donnant les moyens de faire pression au maximum sur le rendement de profits1 attendu, c’est la relation entre « donneur d’ordres » et sous-traitance, relation qui complexifie le rapport d’exploitation en y instaurant des niveaux. Le « donneur d’ordre » exploite une entité qui est une entreprise (une PME en général, mais pas toujours) qui assure une exploitation accrue de sa main d’œuvre. La maison-mère se concentrant alors sur des activités à très haute valeur ajoutée comme la recherche développement et même de plus en plus sur la seule gestion financière.
C’est ainsi qu’aujourd’hui parler de Peugeot ou de Mercédès en pensant à la production d’automobiles n’a plus guère de sens. Peugeot, Mercédès ou autres ne sont plus pour l’essentiel que des holding financières. Les injecteurs des moteurs Mercédès sont fabriqués dans des usines appartenant à la holding Peugeot, etc.
Ainsi, l’entreprise tend à passer d’un lieu où étaient réunis des outils et des hommes, beaucoup d’hommes, pour produire une marchandise en voie du profit, en une entité non nécessairement physiquement localisée dont le seul but est de réaliser un maximum de profit dans le minimum de temps en utilisant le moins d’hommes possibles (c’est à dire le moins possible de trav ail vivant) et des outils appartenant le plus possible au monde de la
matière non palpable, services ou logiciels, la production des biens matériels palpables étant assurée le plus possible par des usines de plus en plus automatisées.
6.4.6 - Quel capital productif ?
Cela pose un problème pour le capital. En effet, le mode de production capitaliste de la révolution industrielle s’impose par lui-même, techniquement dirions-nous. Il faut réunir des masses importantes de capitaux pour créer l’outil industriel de la grande industrie (accumulation primitive). Qui dit entreprise dit alors immobilisation importante de capital, et donc domination de celui-ci, de fait, par la logique même de la situation technologique. C’est ce qui permet la sujétion de celui qui ne possède pour vivre que sa force de travail. C’est beaucoup moins vrai, voire pas du tout dans bien des cas de la production non palpable. Pour produire sur internet, l’immobilisation de capital pour la possession et la maîtrise de l’outil de production est souvent relativement minime et à la portée d’individus, d’où le phénomène des jeunes pousses. La technique afférente à l’utilisation est accessible. C’est la production elle-même du contenu, qui domine. D’une certaine façon, on en revient à une forme d’artisanat, du moins pour certains produits particuliers. La marchandise produite est fragile et facilement appropriable, facilement copiable par d’autres ; labile. Il n’en était pas de même avec l’industrie classique. On ne peut fabriquer une voiture facilement, encore moins s’approprier l’outil de production. Pour cela les murs de l’entreprise ou le compte en banque suffisent à l’empêcher. Par contre, un site informatique, un disque dur sont facilement copiables, un site est aisément piratable. On peut même envisager à ce niveau que la production de haute technologie soit non marchande, l’exemple du système d’exploitation Linux, et celui des logiciels libres, en
témoignent. Il faut au capital déployer des trésors d’imagination, mobiliser des centres de recherche pour rendre internet marchand. Il n’en était nul besoin auparavant, dans la plupaxt des cas, la seule possession du capital productif suffisait (l’homme aux écus de Marx). En fait il y a là une nécessité de détournement du média pour le rendre marchand, pour le faire rentrer dans le lit de 1 entreprise capitaliste. De même, pour s’approprier les contenus et aliéner les producteurs de contenu.
6.4.7 - Quand les jeunes pousses vieillissent, les cadres s’organisent
Le réveil s’annonce fracassant pour les jeunes pousses (Stait up en anglais), 80 % d’entre elles ne dépassent pas l’année de vie. L’instabilité des valeurs boursières de ce que d’aucuns appellent « la nouvelle économie » est la mesure des concentrations qui s’opèrent en la matière. Elle est aussi représentative de la mainmise du secteur financier sur cette activité. C’est la fin du mythe « Apple » où deux jeunes gens dans un garage pouvaient soi-disant bâtir un empire industriel. C’est aussi, la fin du mythe de l’informaticien gourou solitaire inaccessible détenteur d’un savoir ésotérique qui lui donnait les moyens de dominer le monde et le rendait ainsi « libre » tout en le rendant très sensible, et même partie prenante, au discours patronal du selfmade man. D’où un certain Libéralisme libertaire pour reprendre une expression qui a fait florès. L’informaticien travaillant quatorze heures par jour, huit jours par semaine, cheveux et idées longues, individualiste non syndiqué a vécu. L’atterrissage risque d’être dur. Pas tellement pour les informaticiens eux-mêmes qui apprennent le « b.a.ba » de la lutte des classes, mais pour le patronat lui-même et les tenants de cette idéologie. On ne peut à la fois encenser l’esprit d’entreprendre, caresser dans le sens du poil des petits génies, et
leur imposer de travailler comme des forçats, parce qu’ils finissent par se rendre compte du rôle majeur qu’ils jouent dans ce type de production. Il y a une vie après le net. De même, la nécessité de prise de responsabilité dans le travail, la nature du travail de création informatique induisent un nouveau comportement, de nouvelles exigences de ces travailleurs vis-à-vis de l’organisation sociale, vis-à-vis des organisations de travailleurs aussi.
6.4.8 - Une nouvelle organisation sociale
Cette nouvelle phase du développement des forces productives annonce un bouleversement total de l’organisation de nos sociétés. La mobilisation du capital, le marché, tant des « produits » que de la force de travail deviennent mondiaux. La puissance de l’homme sur la nature devient phénoménale, elle peut même mettre en cause l’existence de l’humanité elle-même et nécessite (mais n’entraîne pas automatiquement) l’émergence de nouvelles formes d’organisation sociale. La prégnance de cette nécessité est telle que Federico Mayor, lorsqu’il était secrétaire général de l’UNESCO, en a fait le thème de sa réflexion sur le devenir de l’humanité (voir [Mayor, 1999]). Des formes que les hommes donneront à cette organisation dépendra leur qualité de vie et leur liberté, la pérennité de la société humaine elle-même. Il est ainsi intéressant de voir comment la puissance américaine, à volonté impérialiste affirmée, voit cette nouvelle organisation en fonction de son idéologie WASP96, et surtout de ses intérêts propres. ‘
La question qui se pose alors est de savoir ce qui relève de l’idéologie, de la stratégie de domination, ou de la nécessité de maîtriser socialement les TIC.
La situation environnementale et de matières premières pèse de façon importante sur ces nécessités organisationnelles. La situation aujourd’hui est radicalement nouvelle ; elle est qualitativement différente. Nous assistons à l’émergence de nouvelles forces productives matérielles dont les conséquences sur l’organisation de notre société seront décisives pour notre avenir, et engagent celui de nos enfants et petits-enfants. Pour la première fois dans l’histoire des hommes, une génération engage consciemment 1 avenir proche et lointain, celui de nos enfants et petits-enfants ainsi que celui des générations suivantes. La prégnance de notre action sur la nature est telle aujourd’hui que pour la première fois dans son histoire, une société en est à poser des problèmes qui engagent l’avenir pour les centaines de générations à venir. En effet, nous avons déjà consommé une partie non négligeable du pétrole dont nos enfants et petits-enfants auraient eu besoin pour l’industrie chimique, nous polluons les ressources alimentaires à coup de pesticides et d’OGM non maîtrisés, ou l’air par rejet de gaz à effet de serre.
L’avenir dépend de la façon dont nous gérerons cette situation :
- Soit une société basée sur la propriété privée des moyens d’action sur la nature et la société. Alors le critère essentiel en est quoi qu’on fasse ou dise, le profit immédiat pour les individus ou groupes d’individus propriétaires des moyens de production et d’action ; c’est le capitalisme.
- Soit une société dont l’objectif majeur est l’intérêt de la communauté humaine, la communauté de destin, et sa pérennisation, c’est par étymologie le communisme.
Telle est la mesure de l’enjeu.
DEUXIEME PARTIE
LA RÉVOLUTION CYBERNETIQUE
« Tout est nombre ».
Belle et forte affirmation qui nous \iendrait de celui qui a été annoncépai la Pythie ... Pythagore.
Venant du fin fond de l’histoire, portée par les sciences et les techniques modernes, c’est la révolution numérique qui nous concerne ici ainsi que les ruptures et sauts scienüfiques et technologiques dont elle est porteuse. Les outils en sont les ordinateurs et les disciplines scientifiques associées, les madiématiques et l’informatique qui sera l’épine dorsale du développement cybernétique.
Si une société se caractérise par la façon dont les marchandises y sont produites et échangées, la révolution numérique en cours est centrale et il convient d’en prendre la mesure ainsi que d’évaluer les potentialités dont elle est porteuse dans la perspective d’une société communiste comme instance de dépassement du capitalisme.
Nous entions dans un mode de production avec des outils et des concepts qui permettent de libérer la force de travail humaine des tâches ingrates et plus particulièrement d’abolir le travail aliéné. En d’autres ternies un autre mode de production et d’échanges, dans
lequel l’exploitation n’est plus indispensable à la création de valeur, libérant la créativité et le travail humain est possible et devient de plus en plus nécessaire.
Le monde numérique se met en place par vagues de fond successives plus ou moins lentes suivies d’accélérations. Une seule chose est certaine, aucun espace de notre vie quotidienne ne sera laissé de côté : nos villes, notre vie au travail, nos vies personnelles, notre rapport à la culture, nos sens, notre mémoire et la mémoire de l’humanité.
Elle sourd maintenant depuis des années dans les entrailles de la société. En fait depuis très longtemps, depuis que les hommes ont entrepris de « mettre en nombres » le monde qui les entoure, du comptage des têtes d’un troupeau aux comptes frelatés de l'optimisation fiscale, de la pression artérielle de tout un chacun au PIB de tel pays ou tel autre. Tout est mesure et comparaison. Gottfried Wilhelm von Leibniz (voir [Leibniz, 1900]) dès 1703 déjà disait que deux symboles suffisaient pour représenter tous les objets, annonçant à son corps défendant le calcul binaire dans les machines à calculer qui sera proposé dès 1938 par Louis Couffignal. L’apparition de l’informatique a généralisé, accéléré, le phénomène et nous n’en sommes qu’aux débuts. L’industrie et l’économie de demain, et déjà en partie d’aujourd’hui, seront dépendantes de la simulation numérique.
Pour concevoir les avions aujourd’hui ou les carrosseries de voitures, voire les bateaux, on utilise des souffleries numériques qui simulent les souffleries traditionnelles sur des superordinateurs. .
Mais cela ne suffit plus, la simulation numérique intervient de plus en plus tout au long du processus industriel, dans la séquence conception-fabrication-distribution, comme dans l’analyse des réactions des clients, et aussi maintenant à travers les «jumeaux numériques », l’entretien. La séquence devient alors conception-fabrication-distribution-entretien de façon totalement intégrée. La simulation permet d’améliorer, élargir et affiner l’exploration des possibles, de tester différentes possibilités sans autres conséquences que quelques heures de calcul. Cela donne la possibilité de diminuer les coûts et durées de conception en permettant par exemple de mettre en évidence au plus tôt et sans grosses conséquences, les erreurs de conception ou les défauts de qualité. La simulation pennet aussi de former des compétences. Dans le domaine des économies d’énergie, elle est décisive. Dans l’industrie du transport, elle pennet de diminuer considérablement le poids d’un véhicule pour le rendre moins gourmand en énergie et moins polluant, et elle seule le permet. Pour garantir leurs objectifs de réduction d’émissions de C02, tous les constructeurs automobiles allègent leurs véhicules97(voir aussi 13.4). On sort des zones de travail habituelles et la simulation prédictive est la seule voie économiquement viable pour comprendre le comportement de la matière, afin de développer ces nouveaux processus de production.
Il est peu de domaines industriels qui y échapperont. On ne pourra bientôt plus concevoir un nouveau produit sans être passé par la simulation numérique. Ainsi pour l’élaboration de nouveaux médicaments, l’usage de la simulation va permettre de personnaliser les traitements ; on va vers des traitements de masse... personnalisés. Il en va de même pour l’élaboration de nouvelles molécules. La combinatoire qui y est associée ne permet pas de se lancer dans une expérimentation en laboratoire qui prendrait un temps démesuré. Une modélisation/simulation bien conçue et bien menée sur des machines puissantes doit faire gagner des échelles de temps très importantes. En médecine comme en cosmétologie, des méthodes combinant approche biologique et simulation constituent une alternative à l’expérimentation in vivo, l’expérimentation in silico. Cette façon de faire suppose toutefois l’accès à d’énormes puissances de calcul et à des logiciels sophistiqués, clés du développement industriel actuel.
Dans le domaine économique, à l’échelle d’un groupe, d’une entreprise, d’une région ou d’un Etat, l’élaboration de modèles statistiques fondés sur une analyse de très grandes quantités de données comportementales conduit à pouvoir fixer les prix et optimiser les marges au niveau de chaque magasin, à pouvoir optimiser les flux au niveau social, gérer la distribution de l’eau ou de l’énergie par exemple. La simulation numérique devient un élément clé pour renforcer la capacité de développement d’une entreprise, sa réactivité, tout en réduisant les risques et incertitudes qui y sont liés et en améliorant sa santé économique dans le cadre d’une économie très concurrentielle. De même elle permettrait d’adapter au mieux la production en fonction des besoins en temps quasi-réel dans le cadre d’une économie socialiste planifiée, y compris au niveau des conséquences sur l'environnement, permettant de prendre les mesures idoines rapidement.
La simulation numérique nécessite des outils conceptuels d’un ripe nouveau. Il y faut une modélisation, un maquettage virtuel de ce qu’on souhaite simuler (produit, institution, procédé, molécules, services...), ce qui signifie une traduction mathématique, qu’elle soit discrète ou continue, des objets étudiés et des lois qui les régissent. Un tel maquettage nécessite une quantité considérable de données et de mesures, une quantité d’autant plus considérable qu’on souhaite entrer dans le détail et avoir la simulation la plus réaliste possible. Qui plus est, il faut considérer les choses d’un point de voie dynamique. On n’en est plus seulement à simuler un objet en tant que tel mais en situation et en évolution, c’est-à-dire aussi en interaction avec son environnement, la plupart du temps. Ce sont des systèmes de systèmes en interactions qu’il faut prendre en compte. La dialectique des situations devient accessible ; on touche là directement à la cybernétique technique. La complexité devient telle qu’il faut faire appel à des capacités de calcul considérables. Il faut alors disposer de systèmes de traitement offrant la puissance de calcul, la capacité d’archivage de données, les logiciels et les compétences humaines adaptées pour transformer l’usage de la simulation numérique en un véritable avantage concurrentiel.
La puissance de calcul utile à l’obtention de cet avantage concurrentiel varie selon l’état de l’art, les secteurs d’activité et les marchés correspondants pour ce qui est des entreprises (du gigaflops au téraflops actuellement, bientôt péta et exa). Il est clair que le calcul Haute Performance (du peta à l’exaflops, voire zetta98)
permettra de repousser les frontières de ce qu’il est possible de faire par ordinateur en utilisant les plus rapides d’entre eux.
Cette puissance de calcul peut servir deux objectifs différents mais complémentaires :
• pouvoir réduire autant que possible le temps d’exécution d’un programme par nature complexe en nombre d’opérations à réaliser et s’appliquant à des volumes considérables de données ;
• tester et comparer très rapidement un grand nombre de solutions en utilisant le même programme mais en faisant s’exécuter en parallèle de multiples instances de celui-ci avec des paramètres différents, notamment à des fins d’optimisation spécifiques.
Actuellement (en 2021) les ordinateurs les plus puissants accessibles au monde de l’industrie offrent une puissance de l’ordre de centaines de Pétaflops, bientôt de l’Exaflops. Ce genre de machine est surtout utilisé par l’aimée pour simuler des explosions thermonucléaires, évitant ainsi de tester ces engins dans l’atmosphère.
L’usage industriel de la simulation est resté pendant longtemps l’apanage de glandes entreprises des secteurs de l’automobile, de
l’aéronautique, de l’énergie et de la défense. Au sein de ces secteurs d’activité, l’emploi de méthodes de simulation n’a cessé de se perfectionner pour améliorer les usages existants mais aussi en couvrir de nouveaux.
L’augmentation de la puissance des ordinateurs et l’apparition de nouveaux algorithmes permettent régulièrement d’augmenter la taille des modèles et donc la qualité et la précision de la simulation. Outre le domaine des jeux sur ordinateurs qui est issu du monde de la simulation, de nouvelles applications ont été rendues possibles comme la simulation électromagnétique ou acoustique dans l’aéronautique. De nouvelles méthodes et de nouveaux procédés voient le jour. C’est le cas de la conception de nouveaux matériaux ; ce sont aussi les progrès vers la mise au point de modélisations et simulations à la fois plus globales et plus systémiques. Outre les secteurs traditionnels, on observe une pénétration croissante de l’emploi du calcul intensif au sein des domaines de la Finance, des Télécommunications et de l’énergie (simulation de réseaux...) ou encore de la Santé. Dans les secteurs de la Chimie ou de la Biotechnologie, des progrès importants ont été obtenus par l’emploi de méthodes relevant de la simulation au niveau moléculaire en particulier.
7.5 - Du médicament au jeu vidéo
Des champs d’application entièrement nouveaux sont en train de s‘ouvrir. La conception de médicaments est un bon exemple de ce phénomène. En effet la simulation numérique permet de remplacer dans certains cas une expérimentation in \ivo par une expérimentation in silico et réduire ainsi les temps et les coûts de conception. Par ailleurs l’usage d’ordinateurs très puissants rend possible l’analyse de quantités considérables de données tant génétiques que cliniques permettant par exemple l’extraction de
connaissances pharmaco-génomiques. Les méthodes développées facilitent en outre l’analyse de la personnalisation des traitements et la prise en compte de pathologies complexes comme celles qui apparaissent au sein de populations vieillissantes, ou dans les « maladies orphelines ».
Le jeu aussi. Le domaine du Multimédia et des jeux devient de plus en plus, lui aussi, un domaine privilégié de l’emploi de la haute performance dès lors que les images, les films, les sons, les jeux sont devenus des objets numériques. Ainsi le calcul intensif permet dans un temps raisonnable, l’amélioration du rendu naturel de scènes artificielles.
Le domaine du jeu permet aussi, non plus seulement une utilisation purement ludique, mais aussi une simulation de scènes de la vie sociale. La complexité croissante des situations de tels jeux exige des algorithmes nouveaux et des puissances de calcul importantes.
Une des évolutions à venir est ce qui a été appelé Métavers, un concept qui date de 1992 mais qui ne trouve que maintenant les bandes passantes, les puissances de calcul et algorithmique qui vont permettre de le mettre en place. Basé sur le concept des jeux vidéo, il s’agit de mettre à disposition des internautes la fusion de mondes virtuel et réel.
De même la simulation des ensembles urbains tant du point de voie de leur conception que celui de l’analyse de la pollution, du trafic ou encore de l’énergie consommée constitue un champ d’application du calcul intensif.
En quelques années seulement, transistors, clics, bits et fibres optiques se sont glissés dans tous les plis de nos sociétés, jusqu’aux situations les plus intimes, en témoignent les sites de rencontre qui
sont en mesure d’analyser votre profil et celui d’un ou d’une partenaire potentiel.
La révolution numérique est avant tout un nouveau moyen de capturer notre sueur, notre temps de cerveau disponible, une nouvelle occasion pour le capitalisme de bousculer les processus de production et de serrer d’un tour supplémentaire la vis de l’exploitation de la force de travail.
Le calcul, la mémorisation, la résolution de problèmes complexes, la communication, la prise de décision sont concernés. Il en est ainsi surtout de la modélisation sous toutes ses formes, et en particulier, celle des comportements, toutes opérations cognitives qui entrent dans la machine et bouleversent les tâches de production. Le travail de bureau se tr ouve désonnais soumis, grâce aux logiciels, à de strictes « procédures qualité », à la manie du « reporting », rationnalisé, « granrmatisé », industrialisé, déshumanisé. L’open-space abrite les ordinateurs comme jadis le hangar les machines-outils. L’infomratique, la finance et toutes sortes de services deviennent des « industries ».
Les fonctions cognitives servant à bien d’autres choses qu’aux activités professionnelles, toutes les sphères de nos vies sont affectées. Pour le capital, nos comportements, nos relations, tout ce qui est humain peut être créateur de valeur économiquement exploitable, à condition d’être compris et systématisé. Les outils numériques collectent l’information, la tr aitent, la distribuent. Nos leviers intimes décortiqués, schématisés, modélisés neuro-scientifiquement, traduits en chaînes de causes et d’effets permettent à la publicité d’orienter nos pulsions au service de l’acte d’achat. Les écrans prétendent élever nos enfants, libérant du temps de notre cerveau disponible et éternellement accessible
grâce aux connexions mobiles pour les lectures et médias des industries culturelles, du développement personnel, de tout ce qui nous aide à « gérer notre temps », « booster » nos performances, normaliser nos comportements.
Derrière, il y a le numérique et ses réseaux. Ces technologies portent le germe d’un degré sans précédent d’exploitation et de domination. Mais pour autant, il ne s’agit que de degré, il n’y a là rien de fondamentalement nouveau.
Le numérique nous y ramène : la lutte de classes existe !
Cette « e-révolution » s’insère dans l’histoire du capitalisme et de ses révolutions dans la façon de produire et d’exploiter. Aujourd’hui, c’est le cognitif qui passe à la machine. Les corollaires de ce transfert sont bien connus : aliénation, prolétarisation, extorsion de la plus-value. Le travailleur attaché à la machine n’a plus besoin de savoir-faire autre que celui de faire fonctionner la machine (l’employabilité !). Il lui est subordonné et doit s’intégrer à des processus de production qui le dépassent. Le sens de son travail lui échappe et seule sa force de travail brute est utile à la production et justifie sa rémunération. Le capitaliste, propriétaire de machines de plus en plus perfectionnées, dispose d’un ascendant symbolique et pratique qui assure sa mainmise sur la plus-value.
Les conditions salariales et d’évolution professionnelle d’un ingénieur restent bien différentes de celle d’un ouvrier à la chaîne, mais avec le déploiement d’une infrastructure numérique jusque dans les moindres replis du monde du travail, cette différence ne peut qu’être appelée à s’estomper. La crise actuelle de la social-démocratie et de son projet de société appuyé sur la redistribution n’est sans doute pas à chercher ailleurs que dans le déclassement
structurel, inscrit dans la numérisation de la société, de tous ceux qui quelques décennies durant ont pu se considérer membres d’une pseudo classe moyenne. Keynésianisme et fordisme avaient réussi à le masquer, le numérique nous y ramène : il n’y a au fond que deux classes sociales en lutte, exploiteurs et exploités, tout le reste n’est qu écran de fumée idéologique.
Ainsi au regard de l’histoire politique du capitalisme, la nouveauté n’est que celle de l’ampleur des phénomènes et de la composition sociologique des groupes concernés. L’histoire reste bien celle de la lutte des classes. Et si le numérique en réseau introduit une rupture, c’est par le biais d’une autre dimension de cette révolution te clinique.
7.6.1 - L'information devient la marchandise dominante
La rentabilité maximale, à deux chiffres, ce n’est plus dans l’industrie lourde ni même le liigh tech qu’il faut la chercher, mais chez les Microsoft, Google, Apple, Facebook Amazon (les fameux GAFA), les manipulateurs de l’information numérique. Et c’est la finance, avec ses milliers d’analystes à la recherche minutieuse de la moindre information de valeur, qui plus que jamais tient les rênes de l’économie mondiale.
Or, toute information, est réductible à une suite de 0 et de 1, échangeable à travers la planète à coût de transaction faible. C’est une marchandise sur un marché de fluidité pure et parfaite, un idéal libéral. Dans tous les secteurs économiques, la valeur est toujours plus associée aux étapes mobilisant le plus d’information, « à forte valeur ajoutée ». L’industrie ne vend plus rien d’important sans accompagner un produit, d’applications numériques, de bases de données. Et pour capturer la valeur, elle s’efforce d’évoluer vers le service, source de relation client plus étroite, de collecte, de
valorisation d’information. C’est le « knowledge management», ou « organisation apprenante ».
Cette importance croissante de l’information a des conséquences politiques ; individuelles d’abord, avec la fameuse fracture numérique, l’effet d’exclusion inhérent à la non-connexion, collectives aussi avec la redéfinition des paysages médiatiques autour de l’instantané, de l’ubiquitaire, du « journalisme » citoyen, de l’immédiat. Les conséquences géopolitiques existent également. On tue toujours pour des terres, des villes, de l’or ou du pétrole. Mais l’impérialisme a désormais aussi un visage numérique, qui déploie les grandes oreilles de sa NSA, multiplie les caméras de son Big Brother, impose la servitude volontaire de son Facebook et de ses Google glasses. L’information numérique est devenue la clé de voûte du système, le fétiche suprême, la marchandise dominante.
Reste que l’information n’est pas une marchandise ordinaire, mais un bien « non rival » à obsolescence rapide. Dès qu’une information existe, elle est duplicable et, si elle a du succès, très vite ignore toute rareté. Or en économie de marché, où le prix est question de rapport entre offre et demande, la rareté est l’atout du vendeur, plus important que les critères d’utilité ou de travail nécessaire à la production du bien. C’est bien pour cela que la bataille est si rude actuellement sur les brevets, la propriété industrielle et tous moyens de recréer artificiellement une rareté. Il en va du pouvoir des capitalistes de décorréler à leur profit valeur d’échange et valeur d’usage, de décider des prix et donc des marges de profit. On en a une illustration caricaturale aujourd’hui (avril 2021), en pleine pandémie de COVID avec l’attitude du laboratoire Pfizer qui a mis au point un vaccin efficace et qui fait
monter artificiellement les prix (de 15 $ la dose à 150 $) sans commune mesure avec les coûts réels de mise au point et de recherche99.
Cette bataille pour ériger des murs sur le savoir est prise dans une contradiction. L'information plus que toute marchandise ne se v alorise que dans l’échange, elle n’a pas de valeur en soi. Être seul à savoir fabriquer un produit ne vaut que si le produit intéresse une clientèle, si ses usages possibles l’insèrent dans les usages d’autres produits et services, s’il est inséré dans des flux.
Le nouveau capitalisme ne se soucie plus tant de soigner rente, stock et accumulation que de trouver le bon positionnement dans les meilleurs flux pour en capter le maximum avant tarissement et redistribution. Dans le monde interconnecté de l’ère du numérique, le secret est devenu anti-économique, parce qu’impossible.
7.8 - Le crépuscule de l’homme aux écus ?
L’homme aux écus d’autrefois apportait des éléments que les ouvriers n’étaient pas en mesure de réunir : machines, locaux, approvisionnements, relais commerciaux, capacités d’organisation. Il fallait avoir lu Marx pour savoir que cet apport bien réel ne justifiait pas l’extorsion de la valeur ajoutée, et l’ignorance de ce qui se passait « là-haut » pouvait tenir lieu de légitimité à la domination. Dans les rapports de production que l’ère numérique impose transparents, fluidifiés, sans secret, les mystères s’estompent et le mythe de la verticalité nécessaire s’effondre.
Le logiciel libre montre que la mise en commun volontaire et horizontale des efforts d’un grand nombre est capable de faire aussi bien qu’une entreprise classique. Et avec les fablab cette leçon promet de s’étendre à la production matérielle pour les objets courants : les plans, le design, les usages d’un objet sont numérisâmes, échangeables, discutables à volonté, et la fabrication peut alors se faire sans difficulté partout où une machine à commande numérique compatible peut être mise en partage social. Même la finance, haut lieu de savoir ésotérique pour dominants initiés, se voit désormais suffisamment décortiquée, expliquée, démystifiée, pour que des mécanismes de financement participatifs, collectifs, démocratisés, émergent. De plus l’apparition à court terme de cryptomonnaies va bousculer jusqu’au système monétaire, posant des problèmes de contreparties, retour aux monnaies seigneuriales du moyen-âge, et négation des Etats. Toutefois, les cryptomonnaies existantes ne sont basées sur aucune contrepartie matérielle1*.
Rien ne dit que c’est stricto sensu ce modèle technologique qui va se développer, mais ça nous dit cependant, que l’ancien n’est plus tout seul, et que de nouvelles façons de produire, gérer, sont en gestation.
Ces changements ne sont qu’en germe et nous sommes dans un entre monde où la nouvelle infrastructure numérique peut servir autant l’hyper-domination, le retour sous une forme ou une autre aux tribus et la guerre, que l’émancipation et la construction d’une humanité réconciliée. 100
Si une société se caractérise par la façon dont les marchandises y sont produites et échangées, la révolution numérique en cours est centrale et il convient d’en prendre la mesure ainsi que d évaluer les potentialités dont elle est porteuse dans la perspective d’une société communiste comme instance de dépassement du capitalisme.
La France possède encore des atouts maîtres pour jouer un rôle majeur en la matière. Elle est la seule en Europe capable de construire techniquement les superordinateurs et les processeurs indispensables à l’industrie à venir. Cette position de la France est menacée par le caractère privé de nos entreprises stratégiques qui ne sont en « bonne doxa » économique libérale que des marchandises comme les autres et susceptibles d’être vendues au plus offrant comme en témoigne l’affaire Alstom livrée à la CGE... et la conception libérale du capital financier au gouvernement en France. Cette position est aussi menacée par une volonté « d’européanisation » de la France par le capital en la diluant dans un espace européen plutôt que dans une coopération entre nations. La création des grandes régions en 2016 est une préfiguration d’une volonté fédératrice à l’échelle européenne et de disparition des nations, et plus particulièrement de l’État-nation français façonné par les luttes de la classe des prolétaires et ses conquêtes qui sont en contradiction avec la doxa libérale, service public, sécurité sociale, retraite par répartition...
Nous entrons dans un mode de production avec des outils et des concepts qui permettent de libérer la force de travail humaine des tâches ingrates et plus particulièrement d’abolir le travail aliéné. En d’autres tenues un autre mode de production et d’échanges, dans lequel l’exploitation n’est plus indispensable à la création de valeur,
libérant la créativité et le travail humain est possible et devient de plus en plus nécessaire. L’enjeu est clair :
McAfee101 a prédit que, si les innovations technologiques vont générer des gains de productivité massifs par l'automatisation d’un nombre toujours plus grand d’emplois, elles créeront en même temps un chômage technologique de masse.
Il s’agit bien là de savoir si ces gains de productivité doivent permettre une explosion des profits et du chômage ou au contraire baisse massive du temps de travail aliéné et appropriation sociale.
Le développement impétueux de ces nouvelles forces productives oblige le capital international à se reconfigurer et pas seulement au plan financier. L’industrie à venir, c’est-à-dire là où se crée la valeur sera structurée par la révolution numérique. L’ampleur de ces changements conduit l’industrie à s’organiser au plan mondial par domaines d’activités (aéronautique, informatique, construction navale, finance, ...) alors que l’organisation politique et culturelle de la planète est territoriale, il y a là matière à réflexion pour le mouvement révolutionnaire.
Turing
L’année 1900 est la dernière année du XIX' siècle. La charnière entre le XIXe et le XX' siècle est riche de découvertes et avancées scientifiques et philosophiques qui vont marquer l’avenir et qui nous interpellent toujours aujourd’hui. Qu’il s’agisse de la théorie d’Einstein et de la fameuse formule E = m.d (1905) qui permet de caractériser l’équivalence énergie/matière qui préoccupait la
science de l’époque, les travaux de Max Planck sur les quanta ou de la démonstration par Louis Bachelier de la caractérisation mathématique du mouvement Brownien [Bachelier, 1910], ou encore de l’émergence du concept de complexité avec le problème des Pois corps par Henri Poincaré. Gaston Bachelard, le facteur philosophe publie Le nouvel esprit scientifique, dans les années 1930, (voir [Bachelard, 1934]). Une critique rationaliste et marxiste de l’empiriocriticisme, doctrine à la mode à l’époque, est faite par Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine sous le titre Matérialisme et empiriocriticisme (1908) qui défend une conception matérialiste contre la déviation idéaliste qui a cours alors ([Lénine, 1967]). Il s’appuie sur les connaissances en physique de l’époque pour affirmer qu’énergie et matière ne sont pas séparables. L’énergie est matérielle, et le mouvement n’est que le mode d’existence de la matière.
En 1900, le mathématicien David Hilbert pose au congrès des mathématiques de Paris une série de 23 problèmes dont le dixième va conduire à une révolution, à la fois conceptuelle, mathématique et philosophique, à l’émergence d’une nouvelle science, et à un concept et un outil, qui va modifier de fond en comble et refonder le système technique. On peut donner une version « grand public » de ce dixième problème, et surtout de sa reformulation en 1928 sous le nom allemand Entscheidungsproblem ou problème de décision ; en fait il se compose de deux pairies, deux conjectures. (En madrématiques, une conjecture est un énoncé qu’on a toute raison de croire vrai mais qu’on ne sait pas démontrer et pour lequel on n’a aucun contre-exemple).
— Première partie de la conjecture : il existe une façon unique de poser tout problème de mathématique ;
— Deuxième partie de la conjecture : Si cette première partie de la conjecture est vraie, alors il existe une façon unique de résoudre tout problème de matiiématique.
Je laisse là imaginer un peu l’enjeu. C’est dans les années 1930 du XXe siècle que des réponses vont être données.
En 1931, le mathématicien-logicien allemand Kurt Gôdel va provoquer à 24 ans un séisme en publiant deux théorèmes dont le premier est dit théorème d’incomplétude de Gôdel, le plus puissant pour ce qui nous préoccupe et qui peut s’énoncer comme suit (voir [Gôdel, 1931] et [Davis, 1965]) :
Dans n’importe quelle théorie récursivement axiomatisable, cohérente et capable de « formaliser l’arithmétique », on peut construire un énoncé arithmétique qui ne peut être ni démontré ni réfuté dans cette théorie.
Gôdel vient là de balayer tous les espoirs de la construction cohérente de l’édifice mathématique que le prestigieux mathématicien Bertrand Russel poursuivait ainsi que l’espoir d’une théorie parfaite et close.
Le concept d’indécidabilité est né ! Mais la démonstration en est particulièrement abstruse. C’est Alan Mathison Turing qui va donner une réponse à ces problèmes dans un article majeur encore aujourd’hui : « On computahle numbers with an application to the entscheindungsproblem »102 (voir [Turing, 1936] et là aussi [Davis, 1965])
Pour ce faire, Turing avance un concept abstrait de machine (les physiciens parlent d’une « expérience de pensée »), qu’on appellera par la suite Machine de Turing. Ce concept va permettre de refonder le concept de calcul, celui de problème, puis de solution d’un problème en formalisant ce qui va devenir fondamental par la suite, le concept d’AlgoriÜrme.
Quoique son nom de « machine » puisse conduire à imaginer un objet matériel, palpable, la machine de Turing est un concept abstrait, un objet mathématique (voir le § 8.2.3). Ce concept de machine de Turing est d’une puissance phénoménale et est à l’origine de l’informatique et de la révolution numérique ; il concerne maintenant toutes les activités humaines et plus, il permet de modéliser y compris des phénomènes qui sont hors du champ mathématique strict, comme le comportement des espèces animales, ou la Üréorie de l’évolution de Darwin (voir [Bui et al., 2013] et aussi [Valiant, 2019])
Nous avons décidé de donner à la théorie entière de la commande et de la communication, aussi bien chez l’animal que dans la machine, le nom de cybernétique, formé à partir du mot grec qui signifie pilote
Norbert Wiener
8.1 - Le contexte
La cybernétique est née en 1948 de l’ouvrage éponyme de Norbert Wiener. Comme dit précédemment, c’est la science de la régulation des systèmes, tant vivants, sociaux que mécaniques.
La cybernétique technique est apparue pendant la seconde guerre mondiale en Europe. La démarche en vient d’une observation sur la Défense Contre les Avions (DCA). Il est particulièrement difficile de viser sereinement un avion qui se déplace vite, le temps que l’obus ou la balle de mitrailleuse lourde arrive sur l’objectif, depuis le moment auquel le tir a été effectué, l’aéronef visé a considérablement bougé. Il faut donc pouvoir suivre la trajectoire. L’idée qui préside est celle de système. L’avion et le canon forment un système, les deux éléments sont en relation, à la fois par échange d’information, un radar suit l’avion et envoie les informations au poste de DCA, l’avion sait qu’il est suivi. Le
canon envoie un projectile vers l’avion. Les communications sont là de deux types, information et objet physique.
Mais, partant de ce constat, on passe, par généralisation à la gestion de systèmes.
La cybernétique se définit comme étant la théorie de la commande et de la communication, tant chez l’animal, la société, que la machine. Elle est née d’une volonté d’unification des théories automatique, des communications et de la théorie mathématique de l’information. Il a fallu pour cela que le concept scientifique d’information se dégage de la démarche classique des télécommunications et qu’on ne confonde plus le support et le contenu. C’est cela qui fait dire à Wiener : « l’information, c’est l’information, elle n 'est ni matière ni énergie », ceci même s’il faut de l’énergie pour diffuser ou créer de l’information, et de la matière pour l’enregistrer et la stocker.
La cybernétique concerne les interactions au sein des systèmes et entre les systèmes. Comme on le verra, l’apparition de l’informatique et surtout des ordinateurs lui a donné une autre dimension. Ces interactions peuvent être de différentes natures, information, elle-même sous différentes formes, messages ou flux continu de matière ou d’énergie. Les interactions entre les éléments et sous-systèmes peuvent donc consister en des échanges de matière, d’énergie, ou d’information. Notre monde est intégralement constitué de systèmes et de relations, vivants103 ou non, imbriqués et en interaction. L’interaction est un moyen pour tout système de réagir ou d’agir, soit sur son environnement, soit sur lui-même, voire les deux à la fois. Peuvent ainsi être considérés
comme des « systèmes » : une société, une économie, un réseau d’ordinateurs, une machine, une entreprise, une cellule, un organisme, un cerveau, un individu, un écosystème, le climat.
Avec le développement de la cybernétique, il devient dès lors clair que certaines fonctions du cerveau humain peuvent être simulées, voire stimulées, ou plutôt prolongées par des artefacts, ordinateurs ou autr es. Le passage à la production et à l’exploitation de ces nouvelles possibilités est extrêmement rapide à l’échelle historique, en liaison avec l’augmentation de puissance des ordinateurs, qui va tout d’abord reconfigurer le système technique issu de la révolution industrielle en y introduisant de façon massive l’automatisation des processus industriels sur le modèle de la Machine de Turing (désormais MTU § 8.2.3) et maintenant le remettre en question et ainsi provoquer l’émergence d’un nouveau système technique global basé lui sur l’automation, bousculant l’organisation même de la vie sociale, ouvrant des domaines complètement nouveaux, posant de nouveaux problèmes tout en offrant des possibilités nouvelles elles aussi de résolution des dits problèmes.
8.1.1 - La Cybernétique, origine, enjeux
La naissance de la Cybernétique en tant que discipline scientifique peut-être datée de la publication du livre de Norbert Wiener, Cybemetïcs en 1948 qui bien que très technique, se vend à 30.000 exemplaires dès sa parution [Wiener, 1948]. En fait ce travail est la synthèse de travaux engagés depuis les années 1940 du côté anglo-américain.
L’idée vient de loin, très loin même, le terme « gouvernement » a une étymologie commune avec kv/3epvï)TLKïi ou kubemêùkê qui est relatif au pilotage des navires.
Au XIX' siècle, André-Marie Ampère (physicien et fondateur de l’électrodynanrique 1775—1836) note dans la classification des sciences qu’il propose, la Cybernétique et la caractérise comme étant « la science du gouvernement des hommes » [Ampère,
1834],
Norbert Wiener voyait la Cybernétique comme l’élément, avec la maîtrise de l’électro-nucléaire, d’une « forme de socialisme définie comme propriété collective, des produits de la communauté, soucieuse des libertés individuelles et déterminée par un impératif écologique de maîtrise du changement technologique et de responsabilité vis-à-vis des générations futures, un socialisme écologique »“° [Wiener, 1954].
En fait la cybernétique, c’est aussi d’un certain point de vue, la dialectique matérialiste mise en œuvre concrètement.
L’impact sur le machinisme et la société est tel que, pour reprendre les mots de Wiener lui-même : « les machines préexistantes ne nécessitaient pas que nous interprétions ce qu’elles allaient faire. Les conséquences mécaniques de leur utilisation étaient plus ou moins évidentes, quoique les conséquences sociales ne l’étaient pas. Aujourd’hui, pas plus les conséquences mécaniques que les conséquences sociales ne sont pleinement prévisibles ».
C’est là l’élément central qui caractérise le nouveau système technique qui dès lors va s’imposer. Avec la MTU, toutes les machines ressortissent fondamentalement à un mode opératoire unique, dont le déterminisme ou le non-déterminisme n’est dû qu’à la programmation et dépend donc de celle-ci et son impact social est lié à sa puissance et sa diffusion à tr avers les réseaux. Les
U0À méditer, toujours d’actualité !
réseaux eux-mêmes sont une composante essentielle du caractère cybernétique de la société, de sa « cybernétisation », tout élément de la société pouvant a priori être mis en relation avec tout autre dans un laps de temps très court.
Ce n’est que vers la fin des années 1970 que Cybernétique et machine de Turing vont se rencontrer et former un couple des plus féconds qui va générer le nouveau système technique. Dans une première phase, jusque dans les années 1970 la cybernétique s’appuie sur l’électronique analogique, il y a alors toujours séparation entre d’un côté cybernétique et automatique et de l’autre informatique. Dès lors que les processeurs numériques (c-a-d des Machines de Turing) deviennent le cœur des systèmes cybernétiques, assurant la gestion des systèmes par la rétroaction, la gestion de l’information par l’intermédiaire de messages numérisés circulant sur des réseaux, le changement devient qualitatif. Ajoutons à cela la montée en puissance des capacités de stockage et de calcul des ordinateurs ainsi que la miniaturisation et concomitamment la généralisation des réseaux. La façon de produire s’en trouve profondément modifiée ainsi que la façon de consommer, communiquer entre individus (téléphones portables) s’en trouve aussi bouleversée. C’est toute l’organisation de la société, les rapports sociétaux qui sont impactés, y compris les relations entre états et les tentatives de négation de ces derniers par une idéologie libertariste, techniciste qui proclame que la résolution de tout problème ressortit à un algorithme.
8.1.2 - L’informatique moteur de la Cyber-révolution
Fille d’une découverte scientifique majeure en 1936, l’informatique n’a pas fini de fouailler le monde et son organisation, de remettre en question bien des situations, bien des repères. Ces changements peuvent ouvrir une ère plus ou moins
longue d’oppression ou au contraire fournir des opportunités nouvelles de transformation sociale (ou les deux à la fois). Là encore tout dépend de la conscience et de l’action des hommes, des citoyens.
Qu’est-ce que l’informatique ? Si on s’en tient à la définition, c’est « la science du traitement de l’information sous toutes ses formes, y compiis par des machines ». On est là loin de la « computer science » des anglo-saxons. En effet Computer science, traduit en français, signifie « science du calculateur111 », ce qui en français ne signifie pas grand-chose. Parler de la science d’un instrument n’a pour des latins que nous sommes, aucun sens. L’ordinateur112, et non le calculateur"3, est une machine universelle, issue certes d’une volonté de calcul, mais en prenant le concept de calcul au sens défini par Turing (voir 4.2), c’est à dire au sens d’opérations (i.e. d’actions) sur... Quels types d’actions et sur quoi justement ?
8.1.3 - Des outils pour calculer
La plus ancienne « machine à calculer » connue est un tibia de loup, vieux d’environ vingt mille ans, gravé de cinquante-cinq encoches réparties en onze marques de cinq encoches chacune et conservé au musée de Vestonice en Slovaquie. 104 105
Viendront ensuite beaucoup d’autres artefacts permettant la facilitation des calculs comme les tables à calculer, abaques et autres bouliers.
On doit, à cheval sur les XVTP et XVIIP, au philosophe et mathématicien Leibniz une avancée majeure. Leibniz, moniste, cherche une langue universelle capable de représenter de façon simple aussi bien les mots que les nombres, convaincu qu’il est que les mathématiques sont un langage universel rendant compte de tous les objets : « Cum Deus calculât et cogitationem exercet, Ht mundus », (aucune activité n’échappe au calcul).
Après avoir étudié le chinois, Leibniz invente le calcul binaire (voir, [Leibniz, 1900], déjà cité), et plus généralement, considérant qu’il détient là la clé d’un langage universel, il a inventé, sans en tirer des conséquences que ne lui pemiettarent pas d’entrevoir l’état des sciences de l’époque, le codage. Evolution majeure s’il en est. Il va un peu plus loin, contr airement à Pascal qui a inventé une machine à calculer, laquelle n’a jamais pu fonctionner correctement, pour que son père, fermier général puisse faire facilement des additions. Leibniz lui, invente une machine (1694), laquelle, utilisant le codage binaire permet d’effectuer des opérations arithmétiques bien plus complexes.
Des précurseurs, une amoureuse. Du point de vue technologique, c’est au dix-neuvième siècle que s’opère une évolution majeure avec la seconde machine de Babbage (Analytical engine 1835), qui est souvent confondue avec la première (la machine aux différences 1832) dont seul le cœur, Mill (le moulin) sera réalisé. Cette machine, utilisant le principe de la carte perforée des métiers à tisser Jacquart est programmable. La première programmeuse de l’histoire sera l’amante de Babbage, la comtesse et mathématicienne, Lady Ada Lovelace (10/12/1815 - 27/10/1852),
fille de Lord Byron. Malheureusement ni Babbage ni Ada n’utilisent le codage binaire.
Dès 1930, Louis Coufïïgnal, dans une note à l’Académie des sciences décrit « une nouvelle machine à calculer ». En 1936, il est l’un des premiers à souligner l’importance de l’emploi de la numération binaire dans les machines à calculer. Il rédige une thèse sur L’Analyse mécanique, application aux machines à calculer et à la mécanique céleste (1938). Dès lors tous les éléments techniques sont réunis pour l’apparition d’une machine universelle, l’ordinateur. Il ne manque plus qu’une théorie générale.
La science informatique. Cette théorie générale viendra en 1936 grâce aux travaux mathématiques de l’argentin Alonzo Church, de l’anglais Alan Mathison Turing, de l’américain Von Neumann, des soviétiques Andréï Andréïévitch Markov ainsi que Andreï Nicolaïévitch Kolmogorov, qui permettent de définir proprement les concepts de calcul et de calculabilité.
L'outil conceptuel est la machine abstraite évoquée précédemment (§ 4.2)
Une machine de Turing est constituée de :
1. un ruban infini divisé en cases (ou cellules) consécutives. Chaque case contient un symbole et un seul parmi un alphabet fini. Le ruban est supposé infini tant à droite qu’à gauche (c’est ce qui en fait une machine Üiéorique) ; la machine doit toujours avoir assez de longueur de ruban pour son exécution. On considère que les cases non écrites du ruban contiennent le symbole « blanc » ou « vide » (on
peut aussi par convention définir un symbole spécial qui représente le vide) ;
2. une tête de lecture/écriture qui peut lire et écrire les symboles sur le ruban, et se déplacer vers la gauche ou vers la droite du ruban d’une seule case à la fois, ou stagner ;
3. un registre d’état qui mémorise l’état courant de la machine de Turing, et celui-ci seulement. Le nombre d’états possibles est toujours fini, la machine possède donc un alphabet d’états fini ;
4. une table d’actions, dans laquelle on lit en ligne le symbole qui vient d’être lu sur le ruban, en colonne l’état de la machine, et la case correspondante de cette table à double entrée indique à la machine quelle action effectuer sur le ruban, effacer le symbole lu, écrire un symbole sur le ruban, comment déplacer la tête de lecture (par exemple « G » pour une case vers la gauche, « D » pour une case vers la droite, « N » pour neutre, (c’est-à-dire stagnation), et dans quel nouvel état passer éventuellement, en fonction du symbole lu sur le ruban et de l’état courant de la machine.
Ce concept de machine de Turing est d’une puissance phénoménale et est à l’origine de l’informatique et de la révolution numérique ; il concerne maintenant toutes les activités humaines. Plus encore, il permet de modéliser y compris des phénomènes qui sont hors du champ mathématique strict, comme le comportement des espèces animales, ou la théorie de l’évolution de Darwin (voir [Bui et al., 2013] et aussi [Valiant, 2019]). La Machine de Turing (MT) est conçue pour ramener un calcul à sa
plus simple expression Un exemple de machine particulière qui opère une addition est donnée ci-après.
8.2.1 - Le principe sur un exemple, l’addition
La machine est constituée d’un ruban infini à droite et à gauche, divisé en cases (ou cellules), chacune ne contenant au plus qu’un seul symbole, puis d’un bloc logique aussi appelé schème qui donne la marche à suivre.
Le calcul y est réduit à sa plus simple expression. Ici, il s’agit d’additionner (voir [Trahtenbrot, 1963] et aussi [Lavallée, 1991a]) les nombres 2 et 6 représentés par des bâtonnets et séparés par un astérisque « * ». A chaque item de temps, l’index (triangle sous une case du ruban) peut lire ou écrire sur la case du ruban à laquelle il est attaché, il peut aussi se déplacer d’une case vers la droite, la gauche ou stagner (mais une seule case à la fois). Ici lorsque l’index lit « I » sur le ruban, le bloc logique (qu’on appelle aussi ici le schème) lui, lit dans la ligne du I et la colonne qO (les qO, ql, q2 forment un alphabet d’états), soit ici A, d, ql ce qui signifie, effacer (A) le contenu de la case concernée par l’index (le triangle) puis décaler l’index d’une case vers la droite, puis passer dans l’état ql. On peut visualiser comme ceci :
U qO) -> {A, D, ql]
Et ainsi de suite durant huit itérations, jusqu’à ce que l’index lise *, alors que la machine est dans l’état qO, alors elle s’arrête, l’opération est terminée.
A |
1 |
1 |
* |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
1 |
A | |||
À | |||||||||||||
9o |
9i |
92 |
Ai |
A, g. 92 |
A. cl, qo |
I |A,d.9i |
M,9i |
i.g.92 |
* : A, ! |
* -à,qi |
* - K’92 |
Figure 8.1 - Machine de Turing de l’addition
8.2.2 - Descriptif du fonctionnement
— En fait, la machine dans l’état qO au départ a détecté un bâtonnet dans la case du ruban, elle a effacé le bâtonnet, a décalé sa tête de lecture/écriture d’une case vers la droite et est passée dans l’état ql ;
{I, qOt -» {A, D, ql]
— dans l’état ql la machine décale sa tête de lecture/écriture d’une case vers la droite tant qu’elle lit un bâtonnet ou un astérisque ;
{/, ql] -» {/, D, ql) ou {I, ql\ -* {*, D, ql)
— lorsque la tête de lecture arrive sur une case vide (toujours en état ql), elle y écrit un bâtonnet, se décale à gauche, et passe en l’état q2 ;
{A, ql) -* {I, G, q2t
— dans l’état q2 la machine décale sa tête de lecture/écriture d’une case vers la gauche tant qu’elle lit un bâtonnet ou un astérisque ;
{I, q2i -> {I, G, q2i ou {/, q2i -» {*, G, q2t
— lorsque la tête de lecture arrive sur une case vide (toujours en état q2), elle se redécale d’une case à droite et passe en l’état qO ;
— le calcul se termine lorsqu’en l’état qO la tête de lecture lit un astérisque, la machine efface l’astérisque et s’arrête :
{*, q(h —> {A, !}
La machine décrite supra n’est pas satisfaisante en ce sens qu’il y faudrait une machine différente pour chaque opération, il faut donc penser une machine universelle, qui soit capable d’émuler toute machine particulière, c’est la Machine de Turing Universelle, la MTU.
8.2.3 - La Machine de Turing Universelle, MTU
Figure 8.2 - Machine de Turing Universelle
Dans la MTU, tout est sur le ruban, la donnée du problème ainsi que le schème qu’on appelle alors programme et comme on veut tout ramener à la plus simple expression possible, les caractères codés sur le ruban (le langage) ne sont plus que de deux types : {a, b} ou {x, jj ou ... ou encore {0,1} mais on pourrait très bien utiliser un alphabet à plus de symboles.
Ainsi, on pourrait utiliser A, T, G, T les symboles des acides nucléiques et prendre pour ruban une molécule d’ADN ou d’ARN, et simuler le fonctionnement d’organismes vivants, ou tout autre chose, voir [Bui et al., 2013] ou aussi [Yaliant, 2019]. C’est ainsi que la MTU sort du domaine mathématique stricto-sensu.
Le rôle que prennent science et technologie dans la production, et plus particulièrement l’informatique conduisent à parler d’une nouvelle révolution technologique. On peut sans risque dire qu’on est face à une révolution technologique d’une ampleur au moins égale, si ce n’est plus, à celle de la révolution industrielle, l’informatique étant à cette nouvelle révolution ce que fut la machine à vapeur pour le XVIIIe siècle.
Certains ont cru voir là une « révolution informationnelle », ce qui se comprend. L’informatique traitant rinformation et cette science étant au cœur de la Cyber-révolution scientifique et technologique, il est tentant de réduire cette dernière à une révolution dite informationnelle. Toutefois, nous ne suivrons pas cette voie. Il ne nous semble pas plus correct de réduire la révolution scientifique et technologique à la révolution informationnelle que de réduire la révolution industrielle à une révolution énergétique, car c’est bien ce dont il s’agit. En effet, ce qui a « porté » la révolution industrielle, c’est le transformateur d’énergie qu’est le moteur, qu’il soit à vapeur, à explosion, électrique, à réaction, ou nucléaire... C’est la maîtrise de ce moteur qui a permis le développement du rapport social capitaliste en autorisant une modification profonde de notre façon de produire, de notre productivité, et donc qui a entraîné une restructuration complète de nos sociétés, et pourtant c’est bien de révolution industrielle, c’est à dire liée à la façon de produir e, qu’on parle et non de révolution énergétique. De même, l'informatique et sa « phagocytation » des télécommu-nications, ce qu’on a appelé les TIC fournissent des opportunités pour modifier fondamentalement notre façon de produire, ainsi que l’organisation de notre société. C’est ce que nous essayons de caractériser ici.
L'informatique, et plus généralement les technologies de l'information, télécommunications, informatique, audiovisuel, électronique, ou TIC représentent aujourd’hui la première activité humaine.
8.3.1 - Une activité qualitativement nouvelle
La révolution industrielle est caractérisée par' la machine-outil qui objective une séquence de fonctions mettant en œuvre différents outils. Toutefois, pour activer cette séquence, il y faut un moteur, et là, ce n’est pas la force humaine ni animale qui y pourv oit, mais le moteur thermique.
La transformation du travail vivant en travail mort concerne là des fonctions liées à l’activité physique. Même s’il s’agit de fonctions du cerveau, ce sont celles qui mettent en œuvre les organes physiques et plus particulièrement la main. Avec la cybernétique, on opère un saut qualitatif. Les fonctions prises en compte, objectivées, sont des fonctions de réflexion et d’élaboration, de calcul au sens large. Qui plus est, la cybernétique, et plus précisément l’automatique permet de se passer de l’homme de plus en plus dans la production des objets matériels palpables. Plus encore, la baisse tendancielle du taux de profit et la lutte des travailleurs pour la revalorisation de leur force de travail poussent dans ce sens.
L’utilisation de l’informatique tend à intégrer dans la machine des processus purement intellectuels, dont la mise en œuvre ne se traduit pas nécessairement, ni même principalement, par la production d’un objet palpable, c’est-à-dire d’un objet comportant un volume et une masse. De ce point de vue, il y a passage de travail vivant à travail mort de nouveaux processus, intellectuels. Il y a production de nouvelles marchandises dont le caractère matériel est du même ordre que la matérialité des idées ou des poèmes. Par contre, apparaît un phénomène nouveau. Comme l’outil élaboré pxolonge la main et le geste, l’ordinateur, l’informatique, démultiplient l’activité cérébrale et donc créatrice de l’homme. La mise en réseau à travers le réseau des réseaux (internet) donne une dimension supplémentaire à ce phénomène.
Dans les domaines dans lesquels la combinatoire des situations à explorer est trop importante pour le cerveau humain, pour sa rapidité et sa capacité de mémorisation, à partir du moment où l’on est capable de décrire précisément par un programme la méthode d’énumération, l’ordinateur est capable de générer beaucoup de situations en une seconde, en tout cas beaucoup plus que le cerveau humain. Si de plus on est capable de donner un critère de choix entre diverses situations, la machine nous donnera vite une « bonne » solution"4.
8.4.1 - Echec et mat
Toutefois, en l’état actuel de nos connaissances il est des problèmes dont la solution exacte n’est pas accessible en temps raisonnable, même avec des ordinateurs un milliard de fois plus puissants que les plus puissants dont nous pouvons disposer à l’heure actuelle. Les temps de calcul permettant d’atteindre l’optimum se comptent en siècles, voire en milliers de millénaires. C’est le cas du jeu d’échecs. À partir de la position de départ, il y a environ 10"" (1 suivi de cent dix zéros) parties possibles, plus que d’électrons dans l’univers. C’est là le champ d’action de ce qu’on nomme abusivement intelligence artificielle. Les progrès essentiels ne viendront donc pas d’une augmentation de la puissance intrinsèque des ordinateurs mais plutôt d’avancées majeures en algorithmique.
Il s’agit fondamentalement de techniques informatiques qui s’appliquent dans des domaines algorithmiques pour lesquels soit 106 on ne sait pas les formuler, soit la complexité calculatoire est trop importante pour qu’on puisse espérer trouver un algorithme de résolution en temps raisonnable.
Pour la première catégorie, quand on ne sait pas donner une description formelle de ce qu’on veut, on utilise essentiellement l’apprentissage machine.
Il faut bien s’entendre ici, ce qu’on appelle Intelligence Artificielle c’est la simulation de processus intelligents, c’est là la vision behavioriste anglo-saxonne du terme intelligent au contraire de « Intelligence service » où intelligence a le sens de « renseignement ».
8.5.1 - Apprentissage automatique
Il y a trois grands types d’apprentissage automatique en machine ; par renforcement ; supervisé ; et non supervisé. Les deux premiers sont un peu du même ordre.
Apprentissage par renforcement : une entité (un agent en informatique) est plus ou moins pénalisée ou renforcée en fonction de la nature de ses actions, et ce automatiquement à partir de critères inclus dans le programme de l’agent (je gagne, je perds) ;
Apprentissage non supervisé : là c’est un peu plus subtil, on laisse le programme trouver les points communs entre les exemples qu’on lui présente et on le dote éventuellement d’une fonction de proximité à seuil, permettant ainsi de construire automatiquement des classes ou catégories d’exemples, suivant qu’ils sont proches ou éloignés. Ainsi le programme permet d’organiser les connaissances et éventuellement de les classer d’une façon nouvelle s’apparentant à des connaissances nouvelles ;
Apprentissage supervisé : on présente des exemples étiquetés et une fonction de proximité au programme, comme des images de feuilles d’arbres et le nom de l’arbre correspondant. L’apprentissage consiste alors en ce qu’au bout d’un certain nombre d’exemples, le programme soit capable d’associer un nom d arbre à la feuille qu’on lui présente, non nécessairement issue de la base d’exemples précédemment étiquetés. L’apprentissage supervisé moderne peut-être plus complexe et le superviseur d’une nature plus sophistiquée, comme les réseaux de neurones formels107.
Neurone formel : en fait il s’agit d’une généralisation du concept électronique de porte logique. Il s’agit d’un sommet d’un graphe à plusieurs arcs entrants et un seul arc sortant, le sommet (neurone) étant doté d’une fonction de seuil. La valeur de sortie (0 ou 1) est liée à la somme pondérée des valeurs entrantes ; étant issues de neurones formels elles sont de valeurs (0 ou 1) et à la fonction de seuil.
Réseau de neurones formels : c’est un graphe dont les sommets sont les neurones formels. Ce qui fait la pertinence d’un tel réseau, c’est la fonction d’activation associée aux neurones. On généralise en introduisant le concept de poids synaptique c’est à dire des fonctions numériques sur les arcs d’entrée des neurones formels. La fonction associée au neurone formel est alors plus complexe.
Réseaux en couches : les réseaux de neurones formels actuels sont organisés en strates, le problème avec des centaines de milliers de connexions et donc de fonctions dites synaptiques est rétablissements de ces dernières. Il n’est pas raisonnable de penser le « faire à la main » on utilise donc ici l’apprentissage supervisé
pour ce faire ce qui permet à l’algorithme, à partir d’exemples, d’ajuster les coefficients associés aux synapses formelles pour étiqueter les exemples.
8.5.2 - Les jeux d’échecs, alphaGo, alphaZéro, et autres Shogis
La puissance de calcul aidant, les bases de données massives permettent de passer à la vitesse supérieure. Alors que pour faire jouer un ordinateur aux échecs on disposait depuis un demi-siècle d’algorithmes comme alpha/beta ou SSS* comme expliqué précédemment, auxquels il faut aussi préciser les poids des différentes pièces et donner des fonctions d évaluation, on peut avec d’énormes puissances de calcul se passer de ce type d’algorithme et faire découvrir les bonnes stratégies par des réseaux en couche associés à un apprentissage par renforcement lui-même basé sur le fait qu’on fait jouer l’algorithme contre lui-même avec une procédure arborescente à choix probabilistes de type Monte Carlo"6. Ces algorithmes d’I.A. n’assurent d’ailleurs pas d’obtenir une solution exacte, seulement une solution Probablement, Approximativement Correcte (voir [Valiant, 2019]). Cet algorithme générique alphaZéro, après 4 heures d’auto-apprentissage a battu tous les autres programmes d échec, 8h pour le Go, avec un par allélisme de niveau 64 générant 80.000 positions à la seconde sur une machine de puissance teraflopique (c’est-à-dire 1012 opérations par seconde). Ce qui fait au bas mot 1.843.200 positions de départ différentes examinées et au total 147.456.000.000 coups joués ! Si avec ça l’ordinateur ne trouve pas une bonne solution, il ya du mouron à se faire.
116En termes de tirages aléatoires, il y a deux grandes techniques, Monte Carlo
......
Le mythe de la singularité. Comme on peut s’en douter à la lecture de cette description des réseaux de neurones formels, ils n ont strictement rien à voir, malgré ce qu’en veut dire une vulgate très répandue, avec les neurones des cerveaux animaux, et a fortiori du cerveau humain (voir à ce propos [Ganascia, 2017]).
Ce qui lait la puissance de nombre de ces algorithmes (mais pas tous toutefois), c’est leur couplage avec les grandes bases de données et la puissance de calcul mise en œuvre.
L enjeu est bien compris par les dirigeants des glandes nations : « Le pays qui sera leader en intelligence artificielle dominera le monde. » Vladimir Poutine 2017
8.5.3 - L’intelligence humaine
L’intelligence humaine ne saurait être celle d’un individu. L’intelligence de chaque individu est celle de la société dans laquelle il vit. Ce qu’on nomme intelligence est une production sociale, et les outils fabriqués et conçus par les humains y participent, et en particulier l’informatique et ce qui est appelé I.A.
La puissance des algorithmes d’I.A. associée aux grandes bases de données, fait tourner la tête de quelques scientifiques anglo-saxons pour lesquels l’intelligence est d’ordre syntaxique et ne font pas de différence notable entre intelligence humaine et « intelligence >» artificielle. Le behaviorisme ou comportementalisme, consiste à s’attacher à ce qui paraît seulement, pas à ce que ça signifie, à la sémantique. Comme dit au début, traduit en français, l'expression ardficialintelligence devrait se traduire autrement, par le syntagme « Informatique Avancée » (ce qui garde les initiales I.A.) ou Extraction automatique des connaissances ou Apprentissage automatique. Ces algorithmes s’ils sont imbattables pour jouer, n’ont pas créé de jeu, ils n’ont pas de
sentiments, et plus généralement, on peut faire nôtre cette remarque de Pablo Picasso : « les ordinateurs sont ennuyeux, ils ne donnent que des réponses ».
L’ordinateur outil. Cela n’empêche pas qu'il faille construire des ordinateurs de plus en plus puissants, ne serait-ce que pour pouvoir atteindre des tailles de problèmes plus importantes.
Ce qu’il y a donc de nouveau, c’est cette interaction entre ordinateur et utilisateur. Même si tout cela est encore très frustre ; c’est qualitativement nouveau. Face à une situation (par exemple une catastrophe naturelle), l’ordinateur, correctement programmé, doté des bases de données adéquates peut proposer en temps réel des stratégies pour pallier aux conséquences de la catastrophe. Quelles sont les forces à mobiliser, de quelle nature, par quel chemin les acheminer, avec quels vecteurs, en combien de temps, etc. les algorithmes pour ce faire sont pour l’essentiel connus, c’est le domaine de la recherche opérationnelle.
En art l’ordinateur est depuis Vasarely un outil de création comme un autre ; un pinceau ou un microphone. Pour ce qui est du cinéma, on voit déjà apparaîtr e des films sans acteur, tous étant virtuels.
Il n’est plus question aujourd’hui de concevoir un grand bâtiment ou un avion, ou une plate-forme pétrolière, une voiture, sans utiliser la Conception Assistée par Ordinateur (CAO).
L’informatique est sans aucun doute la force productive déterminante et structurante du nouveau système technique, la Cyber-révolution que nous vivons. Toutefois, elle n’en est pas la seule et surtout ne peut s’apprécier seule en tant que force
productive. Elle entre dans un ensemble, une cohérence, un système technique.
La puissance L S, plus préoccupée de s’assurer une position hégémonique dans le monde que d’y assurer la pérennité de 1 humanité et son développement harmonieux, cherche comment utiliser ces nouvelles technologies, et plus particulièrement les TIC pour assurer sa domination.
En juin 2013, l’informaticien Edward Snowden a révélé à deux quotidiens, l’existence d’un programme informatique secret baptisé PRISM, permettant aux États-Unis de surveiller des échanges par mail, messageries instantanées, téléphone et réseaux sociaux des utilisateurs aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde.
Fidèles à leur sens pratique, les États-uniens ne se lancent pas dans des spéculations oiseuses pour savoir si la science est devenue une force productive directe. Ils appliquent de façon pragmatique les enseignements du marxisme. Ils ont intégré dans leur pratique depuis longtemps l’idée que le développement impétueux des forces productives et leur maîtrise était essentiel pour dominer le monde. Dominer le monde ici s’entend par dominer le monde tant capitaliste que les expériences socialistes en cours, en particulier en Chine. C’est-à-dire que pour le dominer il faut développer des techniques qui génèrent du profit le plus vite possible, qui favorisent plus globalement la valorisation du capital. Des pratiques qui mettent le reste du système capitaliste et plus généralement du monde, en dépendance des USA.11'
Aujourd’hui, ce type d’attitude US continue sous d’autres formes, en particulier dans la guerre des technologies contre la
U7Les USA ont fait les guerres par procuration, et ont souvent « tiré les marrons du feu » des luttes des autres. Joe Biden nouvellement élu président de la République des USA dit au détour de son discours d investiture que 400 000 morts du COVID à cause de l’indigence Trumpiste c’est plus que tous les morts US sur tous les fronts de la seconde guerre mondiale, c’est caractéristique. Les soviétiques, ont eu environ 800 000 morts dans la seule bataille de Stalingrad.
Chine. Les USA enjoignent aux autres pays occidentaux de se joindre à une croisade technologique contre la Chine, en particulier en ce qui concerne la téléphonie mobile et les composants. Comme le note Pascal Boniface de 1TRIS108 : « Tout d’abord la NSA et les grands groupes digitaux américains n’ont pour le moment pas réellement traité les Européens comme des partenaires. (...), les Européens sont plutôt \ns comme des supplétifs. La tendance naturelle des États-Unis n’est pas de traiter d’égal à égal avec les européens » [Boniface, 2021 [. Ajoutons quand même que pour qu’on puisse traiter d’égal à égal, il faudrait que la France, et l’Europe aient une politique industrielle et de recherche digne de ce nom, ce qui n’est plus le cas depuis que le capital français a choisi une politique qui privilégie les activités assurantielles et de banque au détriment de l’industrie et donc de la recherche et de l’enseignement. Un réel supplétif européen des USA, et fier de l’être, c’est le Royaume Uni qui a obtempéré à l’injonction US concernant Huawei qui vient titiller le leadership US en matière de téléphonie et d’informatique.
9.2 - Les enjeux des TIC
Ces enjeux sont considérés comme fondamentaux par les dirigeants US ; stratégiques au plein sens du tenue. À tel point que tous les quatre ans, le National Intelligence Council (NIC) de la CIA livre à chaque président américain nouvellement élu ou réélu son diagnostic sur le futur de la planète sur une projection de 15 à 20 ans. En janvier 2017, le républicain Donald Trump avait donc eu l’occasion de consulter les projections de la CIA et de son NIC pour 2035. En 2009, le 44È” président des États-Unis, Barack Obama s’il l’a lu attentivement avait pu noter qu’une pandémie était hautement probable avant 2025.
Ainsi en 1991, Georges W. Bush Président des États-Unis, constitue le PITAC, comité qui court-circuite toute radministration gouvernementale. Il est chargé d’évaluer et d’orienter l’action publique et privée, par tous les moyens, pour répondre à un certain nombre de défis. Ce comité est doté de moyens financiers considérables et n’a à répondre de ses activités qu’au Président109.
9.2.1 - L’essence de la stratégie US de domination mondiale
Le président US nouvellement élu, le démocrate Joe Biden s’est quant à lui fait récemment déposer sur son bureau une vision du monde en l’an 2040. Le rapport, rendu public et traduit en français, est paru le 28 avril aux éditions des Équateurs. Ce rapport, sans surprise, esquisse un avenir bouleversé par les évolutions technologiques, en particulier il donne un rôle clé à l’intelligence
artificielle, le changement climatique en cours est également évoqué comme facteur de bouleversements. Les maîtres mots en sont Adaptation et innovation.
L’Intelligence Artificielle'20 est vue dans ce rapport comme intégrant les autres technologies, et plus généralement dans les actes quotidiens et plus généralement la plupart des domaines de la vie courante, comme la télémédecine, l’aide au diagnostic médical, la simulation des objets et leur entretien (le concept de jumeau numérique) et aussi dans des domaines où on ne l’attend pas comme l'agriculture.
A titre d’exemple, en particulier la Russie est en pointe dans ce domaine. Les sanctions économiques contre la Russie l’ont incitée à changer de tempo dans la modernisation de son agriculture.
Avec ses moissonneuses robotisées, la Russie a effectué, à l’automne 2020, sa première moisson-robot, gestion des champs (analyse des terres, détermination des intrants) et des troupeaux par satellites et drones, recours de plus en plus systématique aux capteurs connectés..., l’agriculture russe se tourne massivement vers la technologie numérique pour poursuivre sa montée en
• loi
puissance .
Outre le Centre mondial d’interaction avec les forces proaméricaines dans tous les pays du monde (GEC) créé sous l’égide du département d’Etat américain chargé de susciter et gérer les 110 111
« révolutions de couleur », la stratégie mondiale de domination des USA s’appuie sur quatre piliers, selon l’aveu même des dirigeants US:
1. Le contrôle des ressources énergétiques de la planète ;
2. l’arme alimentaire, par les OGM en particulier et accessoirement le GATT, l’OMC ; la banque mondiale, le FMI ;
3. le contrôle total de l’information sous toutes ses formes (en particulier des TIC) et plus généralement, le contrôle de l’innovation technologique ;
4. le contrôle des flux financiers.
De ce dernier point de vue, l’acceptation par les grandes puissances capitalistes du dollar comme monnaie internationale est une soumission servile pure et simple aux intérêts de l’impérialisme le plus puissant, une capitulation en rase campagne, d’autres possibilités ayant été sciemment écartées. Bien entendu, le rôle dévolu au FMI et à la Banque mondiale est de renforcer cet aspect, malgré des contradictions impérialistes bien réelles. Cette hégémonie est maintenant battue en brèche par l'apparition de grands acteurs économiques qui commercent en monnaies nationales, comme la Chine, l’Inde, la Russie, l’Iran et bientôt d’autres.
L’impétuosité de la diffusion des Technologies Informatiques et de communication, associées à l’I.A. est une aubaine pour les sociétés multinationales US et le gouvernement car elle entraîne nombre de situations de ruptures technologiques, économiques et organisationnelles. Ces ruptures fournissent des circonstances favorables de prédation et de réorganisation de l’économie mondiale. Ainsi, les USA peuvent s’assurer l’accès au travail des start-up françaises (et plus généralement européennes), par le
simple fait que celles-ci sont amenées à utiliser les bases de données des GAFAM, Amazon en particulier, les rendant ainsi dépendantes.
L’implication du gouvernement US dans le soutien total, économique, financier et politique au développement des TIC n’est pas innocent au pays des chantres du libéralisme économique... pour les autres !
Le problème pour les USA et plus généralement l’impérialisme quel qu’il soit, c’est que d’autres comme la Chine populaire ou la Russie, et bientôt l’Inde, sont en mesure de maîtriser ces technologies et de contester de plus en plus l’hégémonisme US.
Un nouveau féodalisme ? Un autre phénomène est en train d’apparaître avec la tentative des grandes plateformes des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft)112 de créer des monnaies qui leur soit propres en s’appuyant sur la technologie des réseaux et le cryptage, créant ainsi des zones économiques hors de maîtrise des Etats, retour aux seigneurs battant monnaie, une nouvelle féodalité à l’échelle planétaire.
En bons libertanens, les GAFAM, qui sont essentiellement des entreprises produisant une marchandise « immatérielle » essaient de se dégager des règles et tutelles des États. Pour ce faire, ils créent leurs propres monnaies créant ainsi des zones de non droit, ou plutôt des zones où règne leur seul droit. Des communautés essaient ainsi de se former avec leur monnaie propre, complètement privée et protégée. Ce sont des crypto-monnaies (il y a actuellement environ deux cents crypto monnaies :
https://coinmarketcap.com/fr/allAiews/all/). Ces cryptomonnaies posent quand même un problème majeur dans la mesure où la valeur qu’elles sont censées véhiculer ne fait l’objet d’aucune contrepartie matérielle'23.
En système capitaliste, l’entreprise est le lieu privilégié où est produite la plus-value. Optimiser le fonctionnement du système est donc au cœur des préoccupations du capital.
9.3 - L’impact sur les entreprises
Le développement impétueux des TIC, en particulier la mise en réseaux (Internet et intranet), permet pour nombre d’entreprises d’optimiser leurs circuits de communication, interne entre les différentes unités de production, externe avec les clients et les fournisseurs.
On l’a vu lors de la pandémie de COVID, le télétravail a révélé le rôle que peuvent jouer les TIC de ce point de vue. Le circuit de production peut être fondamentalement changé. La localisation de l’usine ou du laboratoire a beaucoup moins d’importance. Ainsi, la mise en réseau permet la maintenance et le dépannage à distance des ordinateurs, le gardiennage et la surveillance distants, le diagnostic médical. À terme, tout le système bancaire va être bouleversé. Déjà la mise en réseau des terminaux monétaires a-t-elle engendré des gains substantiels pour les banques, mais on estime que l’utilisation d’Internet pour les transactions bancaires entraînera des économies de l’ordre de 80 % par rapport aux transactions traditionnelles, et une diminution du nombre de terminaux dans la mesure ou le paiement par carte (ou bientôt par empreinte digitale ?) ou par ordinateur devient la règle. Par ailleurs 113
pour ce qui est des transactions boursières, on peut imaginer le degré de réactivité que cela permet, et donc aussi celui d’instabilité lorsque des milliers de milliards changent de mains en quelques microsecondes au gré des exigences de rendement financier des fonds de pension.
Ainsi les TIC sont-elles considérées comme l’outil idéal de l’économie (la société ?) de marché. Elles autorisent une organisation réactive et flexible des entreprises, par la liaison qu’elles permettent avec les clients et les fournisseurs
9.4 - L’impact sur le statut de la création
Du point de vue culturel, l’apparition de l'informatique, et plus précisément des TIC génère une révolution du même niveau que celle qu’a engendré l’apparition de l’écriture. Du point de vue du statut des œuvres, une contradiction apparaît. En effet, toute création intellectuelle (livre, disque, image, photographie, cinéma, vidéo...) est aujourd’hui en libre-service et copiable par qui le souhaite. Le prix d’un graveur de CD, ou de DVD, est dérisoire. Les transactions commerciales sur Internet sont à la merci de n’inrporte quel pirate un peu évolué. II faut développer des trésors d’imagination, mobiliser des armées de programmeurs, de nraürématiciens ou de juristes (cryptage, protection des œuvres et droit d’auteur...) pour détourner Internet de son rôle premier de mise en communication libre et sans entrave. Le caractère marchand de la création intellectuelle est remis en cause et il faut des trésors d’ingéniosité et la mise en œuvre de moyens considérables pour le maintenir. Le problème de la sécurité informatique est un problème majeur !
9.4.1 - Droit d’auteur et création
Ces trésors d’ingéniosité consistent aussi en des arguties liberticides. Il en est ainsi des aventures arrivées à certains jeunes gens un peu trop intelligents ou curieux. Ainsi le jeune Dimitri Sklyarov a-t-il été arrêté par le FBI, l’été 2001 (libéré depuis, il a pu passer Noël chez lui), comme un dangereux terroriste suite à une communication publique dans une conférence internationale sur la façon dont sont cryptés des fichiers dits « * .pdf » au nom de la loi US « 1998 Digital Millenium Copyright Act ». Dimitri Sklyarov n’avait pas le droit de soulever le capot de sa voiture pour voir comment est fait le moteur et expliquer comment on peut le démonter. Pire, en 1999, sur injonction de Motion Picture Association otAmerica, l’agence policière norvégienne a arrêté dès sa majorité un jeune homme pour avoir conçu lorsqu’il avait 15 ans (en 1999) un programme, sous système opératoire libre (linux) qui lui permettait de lire des DVD sur son ordinateur. Le prétexte en étant que, pour ce faire, il avait dû lui aussi aller voir comment étaient cryptés lesdits DVD. On a là l’exemple type des manoeuvres coercitives utilisées pour rendre marchand un média qui, par nature, ne l’est pas. C’est aussi une illustration de ce qui peut se passer si on ne réagit pas à ces lois sur les copyrights ou les brevets. Ce sont des lois scélérates qui brident l’accès à la connaissance. L’actualité récente du COVID a reposé avec force ce problème de la levée des secrets et de l’aspect privé des brevets.
9.4.2 - Des produits, des œuvres d’art
De nouveaux produits (peut-on les qualifier de marchandises ?) apparaissent à côté des anciens qui ne sont pas nécessairement appelés à disparaître, mais à changer de « place » et sans doute de statut. Il en est ainsi des livres. Pour toute une catégorie de livres dans lesquels seul le contenu compte et non la forme, le
téléchargement à partir d’Internet est quasiment inéluctable. Pour ce qui est des livres d’art ou de ceux dont la forme rejoint le fond, il en va autrement. Évidemment, la conséquence en est la modification de fond en comble du métier d’éditeur, mais aussi d’autres manières « d’écrire ». De même, de nouvelles œuvres artistiques verront le jour, créations à nulle autres pareilles, filles de la technologie, telles les œuvres d’Edouardo Kac, tant il est vrai que la création artistique est re (ré ?) création du monde. À nouveau moyen d’expression, nouveau moyen de création !
Edouardo Kac1'1 propose trois nouveaux axes de travail pour l’art contemporain : la télé-présence, la bio-télématique et l’art transgénique.
— Télé-présence : Kac la définit comme étant la fusion entre la télérobotique et des médias de communication ;
— Bio-télématique : elle est pensée comme un art faisant intervenir un processus biologique lié de façon intrinsèque à des moyens de télécommunications informatisés ;
— Art transgénique : forme artistique faisant appel au génie génétique pour transférer soit des gènes synthétiques à un organisme, soit du matériel génétique naturel entre espèces en vue de créer des hybrides vivants uniques.
Le rapport remis à Biden, ainsi que celui du PITAC, relève ainsi dix domaines susceptibles de présenter un intérêt stratégique, et met en évidence les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs liés à la maîtrise des dits domaines (voir tableau 9.7.10). 114
9.4.3 - De la communication
Dans cette optique, l’objectif affiché est qu’un milliard de personnes puissent avoir accès simultanément à Internet et participer en temps réel à des discussions ou forums avec des internautes. On doit pouvoir télécharger un journal de n’importe quel pays. On doit pouvoir également passer des transactions commerciales et financières de manière sécurisée, ou parler, et tout cela avec des interlocuteurs de n’importe quel pays. Les contraintes liées à la langue seront levées grâce à la traduction automatique en temps réel. Les contraintes de la communication liées à nos limitations physiques de non-ubiquité seront levées, l’enjeu là est aussi celui du Méta-univers consistant en la fusion d’un univers virtuel avec la réalité, plus connu sous le nom du projet Metavers (voir la livraison de l’Humanité dimanche n°783 du 25 novembre 2021 ainsi que [Sadin, 20151“).
9.5 - Un enjeu idéologique majeur
L’enjeu idéologique est majeur. Qui contrôlera les médias en contrôlera le contenu. C’est déjà le cas avec la télévision, on ne pourra avec Internet se contenter d’une « exception culturelle ». Outre le côté marchandisation de la production culturelle, il faut y voir le danger d’une pax americana bien plus grave et insidieuse que le bacille de la peste (en Corée), la bombe atomique (Hiroshima et Nagasaki), la dioxine (agent orange Viêt-nam), ou l’uranium appauvri (Irak, Kosovo), ou du tribunal de l’OTAN rebaptisé TPI (Tribunal Pénal International). C’est l’imposition de standards culturels, et donc idéologiques, qui est enjeu. En France, les principaux journaux quotidiens ainsi que des chaînes de 115
télévision appartiennent à des milliardaires qui en contrôlent ainsi le contenu.
Le Parti Communiste de Chine populaire l’a bien compris et mène la bataille sur ce terrain.
9.5.1 - La faiblesse d’Internet
Pour atteindre un tel objectif, les experts US estiment qu’Intemet doit être généralisé au monde entier et son débit considérablement augmenté. De même les logiciels afférents à la gestion du réseau doivent-ils être fiabilisés et sécurisés, en particulier pour pouvoir assurer tout ce qui est transaction commerciale à distance. C’est là l’un des points faibles du système. En l’État actuel de la technique, Internet, ou plutôt son utilisation commerciale, est très vulnérable. Il est à la portée de tout programmeur un peu astucieux et ayant du temps (beaucoup tout de même) à y consacrer, de lancer un virus ou tout autre Cheval de Troie dans le système pour y provoquer des dégâts considérables. Le cryptage ne peut être qu’une solution à court terme, la course se faisant entre la puissance des calculateurs et la taille des nombres premiers générés.
Le problème de la sécurité des systèmes d’information, bases de données, systèmes opératoires est un sujet majeur de l’informatique aujourd’hui.
9.6 - Dominer le monde à tout prix
Par ailleurs, Internet étant transfrontalier, cette communication universelle généralisée va reposer le problème des frontières et des États, des législations nationales et internationale, des moyens de les faire respecter, et des nouveaux types de relations entre les individus, les groupes et au sein des entreprises et du commerce mondial. Les USA entendent donner, PAR TOUS LES
MOYENS, militaires s’il le faut, la prééminence à leurs firmes et à leurs lois de façon à s’assurer la domination mondiale. Le concept de « village planétaire » est le cache-sexe du marché mondial dominé par Internet et donc par les USA. La tentation est grande pour les USA d’utiliser la tragédie du World Trade Center pour tenter d’imposer leur loi, c’est-à-dire leur marché, au monde entier, fut-ce par l’intermédiaire des marines et des missiles, voire d’armes encore plus terribles comme à Hiroshima.
9.6.1 - Du rapport à l’information
Tout internaute devrait avoir accès en temps réel à une masse d’informations de diverses natures, écrites, visuelles (photos et films), audio, bases de données en tous langages par simple clic sur une souris ou en touchant un écran tactile, bientôt en interrogeant à haute voix ou en fronçant les sourcils. La mise à disposition de logiciels de service devrait permettre de mettre cette information en forme, de sélectionner celle qu’on veut, obtenir statistiques et rapports personnalisés, en des laps de temps très courts.
Pour ce faire, au plan technique, cela nécessite une amélioration significative des modes d’accès aux bases de données comprenant les systèmes d’information à haute performance, les logiciels de recherche et de mise en forme de l’information. L’accès à ces bases de données doit être facilité à tout utilisateur, novice ou spécialiste, handicapé ou non. Il devra se faire par la voix, l’écrit, le geste, le toucher. Il faut une amélioration des algorithmes de sécurisation (cryptage...), des algorithmes de compression, de la structure des BD. Également un accroissement significatif de la bande passante (pour des images à haute définition par exemple, de la télévision ou des films) est nécessaire, ainsi que la mise à disposition de logiciels de création interactifs.
Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Toutefois, là aussi, au-delà de la technique, un certain nombre de problèmes de société sont posés en ternes nouveaux, tels celui du droit d’auteur, du copyright, la notion de marchandise virtuelle...
Ce n’est pas non plus par hasard que les USA ont constitué les grandes bases de données sur la planète, écosystème, économie, molécules, information, etc. Faisant fi des discours sur la non nécessaire localisation des services dans les réseaux, les décideurs wasp se sont attachés à ce que ces banques de données mondiales soient physiquement localisées aux USA. Cela n’est pas innocent. On peut discourir sur le nécessaire accès des internautes à 1 information, cela permet de ne pas parler du contrôle de leur contenu. Or, en fait le contrôle de ces grandes bases ou banques de données, est un enjeu stratégique. Qui contrôle le contenu, contrôle également l’accès, donc aussi l’utilisation du contenu qui peut-être un enjeu décisif pour certains pays. Ne serait-ce que par la connaissance des ressources minérales, ou de la météorologie.
9.6.2 - De l’enseignement
En ce qui concerne l’enseignement, l’objectif affiché est que chaque individu, quel que soit son statut social, quel que soit son cursus antérieur puisse construire lui-même son parcours universitaire et ait accès à tout le matériel pédagogique existant.
Au-delà du problème des technologies proprement dites, c’est au niveau de la psychologie et de la pédagogie et du rôle que peuvent y jouer les nouvelles technologies liées à l’informatique qu’il faut pousser des recherches. Qu’est-ce qui, dans le processus d’apprentissage est susceptible d’être facilité par l’utilisation des TIC, et comment, et qu’est-ce qui est irréductible du rapport humain et des méthodes classiques d’enseignement ?
La mésaventure de la COVID a mis en évidence les limites du télétravail et du télé-enseignement et les dégâts induits par rapport à la socialisation, plus encore pour les étudiants dont une partie s’est trouvée en dépression, confrontés à ces relations dématérialisées et à l’isolement afférent.
L’enseignement, un immense marché potentiel. Il s’agit d’une conception strictement individualiste de l’enseignement, refusant l’aspect socialisant de celui-ci, attitude typiquement américaine. Une masse d’individus juxtaposés ne formant pas une collectivité, la mise en condition idéologique devient beaucoup plus facile. Et ce d’autant plus qu’en la matière, si chacun a accès aux contenus, chacun ne peut être producteur de contenu que dans la mesure où il possède les moyens de l’être.
Au-delà de ce discours, c’est la privatisation massive et généralisée de l’enseignement qui est envisagée, ce qui, du point de vue capitaliste, présente divers avantages. Outre le fait qu’il s’agit là d’un marché gigantesque, l’enjeu en est aussi la maîtrise des contenus et donc des formations, tant techniques qu’idéologiques.
On en a une illustration avec le groupe Vivendi, qui à l’origine, gérait des ressources en eau et qui maintenant a créé une division multimédias pour créer des logiciels d’enseignement assisté. Le responsable de l’édition des logiciels du groupe Vivendi universal avouant benoîtement lors d’une entrevue télévisée que c’est fait selon la stratégie (financière bien sûr) et selon la pédagogie du groupe. On imagine facilement de quelle pédagogie il peut s’agir, certainement pas celle qui permet de développer l’esprit critique. Il s’agit d’une part de la stricte adéquation de la formation aux besoins du marché de la force de travail, d’autre part de la mise en condition idéologique, de l’obtention du consensus social, en un mot de la collaboration de classes. Du reste, on se trouve là devant
une démission pure et simple de l’État français qui est incapable (ou qui ne souhaite pas) de développer une politique cohérente en la matière, s’en remettant aux groupes privés et faisant croire qu’on peut contrôler l’opération par le biais des « labels ».
9.6.3 - Des pratiques et systèmes de santé
L n autre objectif affiché est le développement de la télémédecine, la consultation et le diagnostic à distance, l’assistance de spécialistes géographiquement éloignés, l’analyse et la synthèse assistées par ordinateur de nombreux avis d’experts. Développer les opérations chirurgicales à distance. Permettre au patient d’avoir accès à toute information le concernant et lui permettant de prendre des décisions sur le meilleur moyen de gérer son capital santé, le terme « capital » prenant ici tout son sens.
Le stockage massif de données médicales fiables et sécurisées à travers un réseau privatif accessible aux acteurs de la santé et, éventuellement aux patients, nécessite d’accroître sensiblement la fiabilité et la capacité des réseaux nationaux de communication. Cela nécessite aussi une grande capacité de stockage de données facilement accessibles et de haute densité (stockage d’images de scanner par exemple), d’où des réseaux à large bande et fiables. Il s’agit de développer aussi les interfaces homme/machine tant en direction des patients que des acteurs de la santé. Développer la robotique, la nanorobotique, l’I.A. et les techniques de visualisation à distance en temps réel pour la surveillance et l’assistance opératoire à distance par exemple.
Individualisme et marchandisation de la santé. On voit, dans cette démarche, une perspective de privatisation du système de santé, on voit comment les compagnies d’assurances par exemple, pourraient utiliser l’argument d’une mauvaise gestion du dit
« capital santé » pour établir leurs tarifs, et imposer des critères de gestion de la santé, comme en Grande Bretagne par exemple, où au-delà d’un certain âge, on ne soigne plus les patients qui ne peuvent payer un surcoût. On imagine aussi le chantage possible des employeurs sur leurs employés tenus à fournir l’accès au fichier contenant leur dossier médical.
La médecine n’est ici envisagée que sous son aspect technique et chacun est rendu responsable de son propre état de santé. L’individualisation (l’individualisme) est poussée à outrance. L’organisation d’un système social de santé publique est, au mieux, passée sous silence, l’idée d’un Obamacare n’aura vécu que ce que vivent nombre de promesses électorales. La marchandisation aidant, la médecine entre par ce biais et la grâce d’Internet dans le champ du commerce à tout va, la spécificité du médecin est niée, ainsi que le rapport humain qui y est lié.
Les lieux de production peuvent être facilement délocalisés, voire éparpillés. Toute entreprise n’a pas nécessairement besoin d’unité géographique. Le télétravail permettant à des travailleurs de vivre où bon leur semble tout en travaillant. De même certaines catégories de travailleurs handicapés seront réinjectées à part entière dans le système productif. Cette nouvelle organisation de la production est porteuse d’économies importantes pour l’entreprise qui n’a plus besoin de locaux (ou en a besoin de moins), qui peut employer la main d’œuvre la moins chère, et utiliser à fond la flexibilité, ce qu’on a appelé le capitalisme de plateformes.
Les moyens nécessaires à la réalisation de cet objectif sont de deux ordres :
1. des réseaux fiables à gros débits ;
2. des logiciels permettant le travail de groupe effectif à distance en toute confidentialité.
9.7.1 - De la nature du commerce
Les entreprises doivent pouvoir entrer directement en contact avec les consommateurs, sans avoir à passer par des intermédiaires ni des distributeurs. Elles pourront recueillir rapidement les remarques et demandes des consommateurs et ajuster rapidement leur production et leur offre aux fluctuations du marché, tant en qualité qu’en quantité. Les consommateurs pourront choisir les meilleurs produits et comparer sans avoir à se déplacer. Le marché devient ainsi global à l’échelle planétaire. La monnaie électronique doit être généralisée, et le paiement à travers le réseau complètement sécurisé.
La disponibilité sans faille du réseau, la protection des informations personnelles et la sécurisation des transactions commerciales et financières nécessitent la mise au point des procédures correspondantes.
Les plateformes. Une plateforme numérique se caractérise par un coût marginal d’accès proche de zéro, ainsi que sa reproduction et sa distribution. Internet et les réseaux en général, ainsi que l’augmentation de puissance et de mémoire des ordinateurs ont permis à quelques parasites capitalistes, maitrisant la technique de se constituer d’immenses fortunes en ne produisant AUCUNE valeur, mais en jouant simplement le rôle d’intermédiaires, comme Google, blablacar ou Airbnb ou encore Uber et bien d’autres {Amazon par exemple) et prélevant une commission au passage, soit sur la transaction elle-même, soit sur l’un ou les deux termes de l’intermédiation. De plus des plateformes comme blablacar ne
possèdent aucune voiture, et Airbnb ne possède aucun bien immobilier autre que ceux qui abritent leurs bureaux et serveurs, mais aucun logement ni hôtel, rien d’autre qu’un espace numérique et l’accès au web. Certains ont vu dans cette économie des plateformes une disruption des activités traditionnelles (voir [Brynjolfsson et McAfee, 20181), une destruction/création. Oui il s’agit bien de prédation pour beaucoup comme Amazon ou Alibaba!26, et donc de destruction, mais en aucun cas de création au sens de la valeur (à ne pas confondre avec le fait d’engranger d’énormes profits). En fait il s’agit là de collecte de la valeur produite par d’autres ; c’est en cela qu’il s’agit de parasitisme.
9.7.2 - Conception et production assistées
Les objets complexes (automobiles, maisons...) comme ceux d’usage courant et simples, fours micro-ondes, objets de mode seront (sont déjà en grande partie) conçus à partir de simulateurs prenant en compte les propriétés physiques des objets à fabriquer. Désormais ces simulateurs sont généralisés et personnalisés pour chaque objet et maintenus dans le temps, ce qui conduit au concept de jumeau numérique, un programme informatique qui permet de suivre la vie de l’objet et d’en prévoir l’évolution, y compris les pannes et d’en faire la maintenance et l’entretien, y compris à distance.
Les concepteurs, les fabricants, comme les acheteurs ou les consommateurs pourront aisément participer à la définition et la fabrication desdits produits en exerçant une action immédiate sur le processus de conception, c’est l’interactivité116 117. L’exploration de différentes possibilités en un très bref laps de temps permet de
réaliser des économies importantes en sondages de satisfaction des clients par une adéquation réactive à la demande faisant baisser les coûts et améliorant la qualité du service rendu.
Le rapport PITAC (voir 9.2) note « La compétition internationale nécessite que les manufactures US accroissent leur compétitivité afin d’attirer et fidéliser de nouveaux consommateurs tout en réduisant les coûts, maintenant le maximum de réactivité à la demande, et réduisant le cycle de conception et production des marchandises ».
Les technologies de l’information ont révolutionné le cycle complet de développement et de production des marchandises, et elles vont continuer à le faire. Les technologies permettant les calculs de haute performance sont nécessaires à la simulation et l'interactivité ainsi qu’à la recherche d’information dans les bases de données, la simulation 3D et l’affichage rapide à l’écran, la figuration de la virtualité.
9.7.3 - L’activité de recherche
Aux USA, la recherche est considérée, à juste titre, comme essentielle, elle est consubstantielle à la stratégie de domination mondiale du Capital de ce pays. Il n’y a pas aux USA de distinguo plus ou moins subtil entre recherche scientifique et recherche technologique, mais un continuum. C’est d’ailleurs une caractéristique de cette phase du développement de nos sociétés. C’est le développement scientifique qui « tire » la technologie, qui bouscule l’organisation sociale. La distinction porte plutôt sur 1 horizon auquel se fait la recherche, il y a la recherche fondamentale à long terme (retour d’impact imprévisible) et celle à plus court terme (on est capable de prévoir à peu près le terme de l’impact). Alors que l’effort de recherche en France tend au
mieux à stagner118, les USA ont relancé de façon importante leur recherche publique dans tous les domaines, que ce soit à travers la NSF119, le DOD120, ou les universités.
Dans cette optique, la recherche pourrait être menée dans des laboratoires virtuels dans lesquels ingénieurs et chercheurs pourraient travailler et communiquer indépendamment de leur localisation physique. Cela nécessite des possibilités d’interaction, de forum avec les collègues, l’accès à l’instrumentation et aux simulateurs en ligne, donc l’accès à toutes les sources numériques d’information, de documentation, et de calcul. Toutes les bibliothèques scientifiques doivent être accessibles en ligne, de même que les revues. Super-ordinateurs et réseaux doivent permettre de nouvelles découvertes sur un large spectre scientifique allant de la simulation du cerveau humain121 à la prévision des changements climatiques et des tremblements de terre. Les problèmes de recherche deviennent de plus en plus complexes et de nature de plus en plus interdisciplinaire. Les chercheurs doivent pouvoir trouver de nouvelles façons de collaborer avec leurs collègues à travers le monde.
Les recherches clés en la matière doivent porter sur :
— le calcul hautes performances (voir entre autres [Copeland, 2004]) ;
— les algorithmes d’apprentissage automatique (ou Intelligence Artificielle [Dacunha-Castel, 2020]) ;
— 1 algorithmique des réseaux (algorithmique distribuée ou répartie suivant les auteurs, voir [Lavallée, 1986], [Florin et Lavallée, 1991), [Florin étal., 1993]) ;
— les supercalculateurs de façon à disposer de simulateurs performants et reflétant le plus fidèlement possible la réalité des phénomènes physiques complexes ;
— les simulateurs et les techniques de simulation ;
— les environnements d’interfaçage homme/machine, et homme/machine/homme ;
— les outils de travail de groupe ;
— les outils de visualisation des bases de données complexes ;
— les techniques de recherche de connaissance et de gestion dans les très glandes bases de données.
9.7.4 - Le caractère stratégique de la recherche
Les dirigeants des USA ont là une vision stratégique à long terme, appuyée certes sur le complexe militaro-industriel, mais elle a au moins le mérite d’exister. De plus, l’existence d’organismes comme le DOD, et d’autres, permet de financer et de piloter de façon très directive cette recherche publique, sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit, et sans avoir à reconnaître qu’il s’agit bien de recherche publique, ce qui permet de tenir un discours libéral.
On regrettera que des pays comme la France ne consacrent pas les mêmes efforts à la recherche publique, qu’elle soit fondamentale ou appliquée, qu’elle soit recherche ou développement. Il en va de la pérennité de la France comme puissance scientifique, et ce alors que les organismes de recherche publics français sont d’une performance inégalée dans le monde, nous sont enviés par les chercheurs du monde entier, même s’il est vrai qu’ils ont parfois besoin d’être rénovés. Leur seul gros défaut aux yeux des technocrates européens et malheureusement français est de ne pas s’inscrire (pas encore ?) dans une logique « libérale ».
L’effort en matière de recherche publique est en France dramatiquement bas, nettement inférieur à celui de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne.
« Les grandes nations de l’avenir seront celles qui dès aujourd’hui savent investir massivement et prioritairement dans l’éducation et la recherche. [Lavallée, 1991] »
C’est ce qu’a fait la Chine et c’est ce qui lui a permis de rattraper une bonne partie de son retard au point aujourd’hui de remettre en cause l’hégémonie scientifique et technologique des USA et des pays capitalistes occidentaux. Dans la course à 1 exploration spatiale, dans le calcul haute performance, l’informatique quantique, la recherche-développement nucléaire, la pharmacologie, la science chinoise est en Pain de prendre le leadership. De même dans l’enjeu majeur de la communication entre les individus, la firme chinoise Huawei a développé une stratégie très intelligente, à tel point que les multinationales L S qui dominent le secteur de la téléphonie mobile ont vu là, ajuste titre, un danger majeur pour leur hégémonie et, faisant fi du discours libéral, ont organisé le boycott de Huawei, sous des arguties fallacieuses.
9.7.5 - Appréhension de l’environnement
Il s’agit de se doter des moyens de mieux appréhender une plus gi ande variété de problèmes liés aux effets de la pollution sur l’air et l’eau.
Élaborer des modèles pertinents de l’environnement, tant globaux que régionaux. De même des modèles devraient permettre de gérer et prévoir les grandes tendances en matière de démographie, d’évolution des espèces animales, de biodiversité, d’épuisement des ressources, d’évaluation des choix en fonction des changements climatiques induits ou des impacts des choix technologiques et urbanistiques sur l’environnement.
Cela nécessiterait une augmentation significative des recherches sur l’environnement de façon à établir un modèle fiable de l’écosystème et du climat planétaire, qui soit pertinent tant au niveau macroscopique qu’au niveau local. Les progrès dépendent aussi de l’amélioration des techniques de calcul (l’algorithmique), de leur fiabilité, et de la puissance des supercalculateurs. Cela suppose des gains de temps de calcul de plusieurs ordres eu égard à la taille des problèmes, au nombre de variables à maîtriser et du temps dont on dispose pour faire les calculs. De même il faut avancer de manière déterminante sur la gestion des grandes bases de données, les bases de données distribuées, ainsi que sur les logiciels d’analyse et de visualisation. Cela vaut également pour les logiciels de tests et de simulation et ceux de gestion des réseaux pour le calcul distribué.
9.7.6 - Des enjeux de deux types :
Premièrement : l’activité humaine en système capitaliste est de nature individuelle, régie par la seule loi du profit, local et immédiat. Se pose alors un problème crucial. La gestion de
l’environnement ne peut être que globale et envisagée sur le long terme122. Comment dans ces conditions concilier l’intérêt de survie de l’humanité, l’écosystème, avec la propriété privée des moyens de production et le profit individuel immédiat ? Tout scientifique sait bien que l’optimum global ne peut être atteint par une somme d’optima locaux que dans des conditions très particulières (principe d’optimalité de Bellman) qui ne sont en général réunies que dans la seule théorie marginaliste, mais surtout pas dans la réalité. Encore s’il y avait un tel optimum ne serait-il qu’à court terme dans ces conditions.
Deuxièmement : la nation, ou l’entité économique qui maîtrisera ces moyens et ces techniques se donnera a prion les moyens de gouvernance du monde. Ce n’est pas pour rien que presque toutes les grandes bases de données scientifiques sont — physiquement — localisées aux États-Unis, ainsi que les nœuds stratégiques d’internet ; fi là encore des discours sur la délocalisation de l’information. La plupart des communications des ambassades (hors Chine, Russie, République Démocratique de Corée, Vietnam et Cuba) passent par internet, donc par des serv eurs aux USA...
9.7.7 - Gouvernement et administration publique
Tous les services gouvernementaux, administratifs, et toute l’information doivent être rendus accessibles aux citoyens indépendamment de leur localisation physique, de leurs éventuels handicaps physiques, de leur niveau de pratique informatique. Le système doit aider les citoyens dans leur recherche. Tous les
documents doivent être accessibles et consultables par informatique. De même les démarches administratives doivent pouvoir être faites via les réseaux. Pour les décideurs, ils doivent pouvoir répondre en temps réel aux situations de crise qui doivent pouvoir être analysées à la volée, et les différents scénarios évalués. Les plans d’évacuation, de défense, de coordination de secours doivent pouvoir être établis quasi instantanément.
Ceci suppose une très sensible augmentation de l’efficacité et de la responsabilité des administrations par rapport à l’utilisation et la maîtrise de l'informatique. Les défis technologiques tournent autour de l’accroissement des systèmes et méthodes de gestion et d’accès aux très grandes bases de données, à leur sécurité, à leur mise à jour en temps réel, à l’élaboration d’outils, moteurs de recherche facilitant la recherche et la mise en forme, visuelle, sonore, graphique des informations pertinentes. Un thème de recherche critique est celui de la sécurité et la fiabilité, physique et logicielle, des réseaux permettant de ne délivrer les informations qu’aux ayant-droit et de protéger les informations stratégiques. Il en est de même pour la sécurité des systèmes informatiques. Le fait d’utiliser un système opératoire standard fait que son code est connu de tous facilement et donc que des personnes malveillantes ont plus de facilité pour le pirater. Il faut donc, pour les institutions sensibles comme les hôpitaux par exemple ou les tribunaux, les% organes de commande de l’approvisionnement en eau ou en électricité, ou les bases de données massives en général, avoir une politique et des moyens humains dédiés à la sécurité des systèmes, il s’agit là d’un enjeu majeur immédiat et pour les temps à venir.
9.7.8 - Et le citoyen dans tout cela ?
On est là en pleine idéologie libérale, on pense individu, individualisme, jamais citoyen. Si encore l’individu était conçu
comme une des dimensions du citoyen et un élément de la collectivité, mais non, on est là dans la démarche idéologique typique des USA, l’individualisme forcené.
À aucun moment, dans les différents rapports, dont le PITAC, n’est posée la question du renforcement, du renouvellement du rôle du citoyen, lequel n’est vu qu’en tant que consommateur, et au mieux son action éventuelle n’est-elle vue que d’un point de vue technique. En effet, la révolution scientifique et technique à l’œuvre avec en son cœur la Cyber-révolution, repose le problème du fonctionnement et de la nature de la République, de l’espace dans lequel elle se meut, qui ne peut plus être seulement celui de la Patrie, ni même celui de l’État classique. Le rôle des frontières change, celui des nations aussi (mais pas leur importance, contrairement à ce que souhaite nous faire croire une vulgate abondamment répandue sur la mondialisation), celui donc du citoyen aussi en conséquence. La CIA ne voit évidemment les choses qu’au travers du prisme du capitalisme triomphant, US qui plus est. Le citoyen n’existe qu’en tant que générateur potentiel de profit.
Cela dit est posé un véritable problème de « redimensionnement » de l’activité citoyenne, et de la redéfinition de l’espace dans lequel elle se meut. Alors se repose le problème de l’individualité, de la personnalité et du collectif (sans lequel aucun individu ne peut exister), qui sont à la fois constitutifs de la citoyenneté et en même temps, dans un balancement dialectique, produit de leur activité sociale. On est là bien loin de l’individualisme forcené de l’idéologie wasp. C’est une question qui se pose également, en des termes différents certes, pour un système citoyen dans le cadre du communisme. Quelle utilisation des réseaux à la fois pour transmettre en temps réel des
informations aux citoyens, mais aussi pour recevoir d’eux des informations et les traiter ?
9.7.9 - Les réseaux actuels ne sont pas fiables
En l’état actuel des choses, les réseaux publics en général, Internet en particulier, sont très fragiles. En dehors des problèmes que nous avons déjà soulevés d’interception des communications commerciales, le piratage de serveurs est à la portée de quiconque veut bien y consacrer du temps.
Ce piratage peut prendre des formes très différentes, soit par un système de messages électroniques, soit en jouant sur la logique du réseau lui-mênre, soit en s’emparant à distance de système opératoires des serveurs, mais cette dernière façon de faire commence à être plus difficile à mettre en œuvre sur les systèmes d’exploitation bien conçus. Un piratage plus pernicieux est le piratage pour rançon dit rançonware, il s’agit de crypter tous les fichiers de la cible et de ne lui fournir la clé de cryptage que contre rançon, laquelle ne peut être payée que par monnaie électronique cryptée, rendant impossible la reconstitution du suivi de la transaction.
Ainsi la logique des communications « par paquets » (celle d’Internet) permet une attaque par saturation du réseau et des serveurs (ce type d’attaque est dit : par déni de service). Il s’agit de faire envoyer sur un même serveur une très grande quantité de messages de façon à en provoquer l’effondrement. C’est ce qui s’est produit en février de l’an deux mille lorsque Yahoo, CNN, et d’autres géants d’Internet ont subitement disparu du réseau. Ils venaient de subir une attaque massive par déni de service distribué. La riposte là est d’ordre purement technique et « on ne nous y reprendra plus » pourraient dire les protagonistes.
Au-delà de cette fragilité face aux possibles pirates, il existe une probabilité non nulle qu’une tempête solaire vienne perturber, voire provoquer une coupure d’intemet et de tout procédé électromagnétique durant des heures ou des semaines™.
9.7.10 - La visée US
Il ne faut jamais perdre de vue que dans le système capitaliste, c’est la valeur d’échange qui prime sur tout. La volonté farouche et les trésors d’ingéniosité comme les sommes dépensées pour permettre le commerce électronique en témoignent. La valeur d’usage qui est ici avancée ne l’est qu’en fonction, et en conséquence de la valeur d’échange qu’elle génère ou par laquelle elle est générée. L’idée force étant de tout faire passer par le Marché. C’est là un aspect essentiel de la démarche US. Il ne s’agit plus seulement d’économie de marché mais bien de société de marché. Cette logique du capital est masquée sous le vocable « mondialisation » qui a l’avantage d’induire une idée de fatalité au phénomène. Les relations entre individus ne sont envisagées que sous l’angle marchand. Qu’on veuille y participer ou y résister il s’agit de comprendre quels sont les enjeux.
Cela dit, l’arrivée de la Chine dans ce « jeu », est en train de le perturber sérieusement et de mener potentiellement à une redéfinition de la logique des transactions et des échanges. 123
Objectifs US de contrôle et moyens pour y parvenir | ||
Objet |
Moyens |
Objectifs |
Communication |
Mondialiser internet : augmenter la bande passante, fiabi-liser et sécuriser les logiciels |
Rendre planétaire Négation des frontières et des Etats, primauté de l’individu sur le citoyen et l’État |
Information |
Temps réel ; bases de données voix écrit images geste, toucher cryptage compression traduction automatique en temps réel |
Marchés de la télévision, cinéma photo audio accès aux bases de données en toutes langues |
Education et enseignement |
Ce n’est pas du ressort de la seule technologie, il y a nécessité de développer des recherches en psychologie, sociologie, cognitique et pédagogie. |
Auto construction des parcours d’enseignement, généralisation de l’autodidactisme, matériel pédagogique mondial en ligne, immense marché à capter |
La santé |
Fiabilisation, sécurisation des réseaux, des accès aux Bases de Données, interface homme machine, nano robotique |
Télémédecine, consultations, avis d’experts, diagnostics distants, gestion du "capital santé individuel", marché à conquérir contre sécurité sociale à la française, assurances |
La production |
Télétravail logiciels de groupes à distance, réseaux fiables à gros débits |
Délocalisations, pas d’unité géographique des entreprises, plateformes, mondialisation du mar ché de la force de travail, flexibilité. |
Le commerce |
Monnaies et transactions financières électroniques sécurisées. Disponibilité sans faille du réseau |
Supprimer les distributeurs et les intermédiaires ; coller à la demande et aux modes ; marché planétaire, magasins virtuels |
Conception et fabrication assistées |
Simulation, supercalculateurs, recherche de connaissances dans les très grandes bases de données, Intelligence artificielle |
Automatisation de la conception et de la fabrication, implication des utilisateurs finaux dans la conception, captation de l’intelligence collective, baisse des coûts. |
Recherche |
Labos virtuels, interaction, accessibilité à distance des instruments. Toute la documentation en ligne. Nouvelles façons de travailler |
Baisse des coûts de la recherche, interdisciplinarité ; resserrement des liens avec l’industrie, pilotage par l’aval |
Environnement |
Modèles climatiques fiables, amélioration des techniques numériques de calcul, des algoridimes, analyse et visualisation algorithmique et programmation parallèle et distribuée, recherche sur les réseaux à large bande |
Amélioration de la prévision météorologique et climatique, augmentation des capacités de calcul de plusieurs ordres. |
Gouvernement |
Amélioration notable de l’accès aux banques de données. Développement d’outils de recherche, cryptographie et sécurité des réseaux et des données critiques et sensibles |
Services et informations gouvernementales ouverts à tous tout le temps sans problème de localisation ni de maîtrise de rinformatique. |
9.8 - Oui mais, la Chine
La Chine a pris au sérieux le fait que la cybernétique est stratégiquement ce qui lui permettra de faire face à l’hégémonisme US et de se développer pour assurer son rang de grande puissance socialiste. Elle dispose d’un marché intérieur immense et en croissance rapide, de plus la direction politique mène une politique industrielle très active en la matière. Xi Jinping secrétaire général du PCC déclare ainsi en 2017 :
« Si notre parti ne parvient pas à faire face aux défis portés par Internet, il ne pourra relever le défi de rester à long terme au pouvoir »
Pour le moment, le marché mondial est très largement encore dominé à environ 60 % par les USA et l’Europe, leur marché s’approchant de la saturation. La dynamique est en faveur de l’Asie et plus précisément de la Chine avec un marché intérieur de 1,4 milliards d’acteurs potentiels qui constituent une base arrière protégée à partir de laquelle partir à la conquête des marchés extérieurs et ainsi promouvoir des normes et standards venant concurrencer ceux des USA, assurant ainsi de fait l’autonomie et l’indépendance technologique de la Chine.
La population chinoise d’entreprises, de professionnels, et chercheurs dans le domaine informatique est immense et en croissance rapide. À ce jour le nombre d’étudiants en première année atteint 9,67 millions d’étudiants. 703 500 étudiants suivent un cursus à l’étranger dont un nombre important fréquentent les meilleures universités occidentales, telles Orsay, Jussieu, la Sorbonne ou Polytechnique en Lrance ou Harvard aux USA, pour la Lrance, selon les sources chinoises, elle accueille 40 000 étudiants, 28 436 selon campus Lrance. En 2019, la Chine comptait 2 956 établissements d’enseignement supérieur, dont 2 688 universités (y compris 257 instituts indépendants), soit 25 universités de plus qu’en 2018. Il y avait 1 265 universités de premier cycle, soit 20 universités de plus qu’en 2018. Le nombre d’universités professionnelles était de 1 423, soit 5 établissements de plus qu’en 2018. Dans l’ensemble du pays, il y avait 828 universités de deuxième et troisième cycles111. 124
Des champions mondiaux apparaissent comme Huawei et Xiaomi en Télécommunications, Lenovo en ordinateurs personnels, Baidu comme moteur de recherche et fournisseur de solutions sur réseau, ou Alibaba pour la vente en ligne, Tenccnt pour les services internet, qui viennent défier Amazon et autres GAFAM et ne vont pas tarder à les détrôner. Ainsi, dans le domaine des véhicules autonomes, Baidu et la jeune entreprise Pony.ai en Chine mettent en place actuellement à Yizhuang, dans la banlieue sud de la capitale chinoise, des taxis entièrement autonomes. Et ce, à une dizaine de kilomètres du centre de Pékin !
La Chine met aujourd’hui consciencieusement en œuvre cette maxime (...) de DengXiaoping : « observer calmement, asseoir sa position, cacher ses capacités, garder un profil bas et ne jamais revendiquer le leadership » mais la Chine sera bientôt en État de contester le leadership nord-américain [Stener, 2021).
Seul le travail vivant produit de la valeur.
Il m’a semblé utile, dans ce chapitre, de reprendre un certain nombre de concepts connus de la théorie marxiste et d’en voir l’application dans le domaine des activités couvertes par la cyber-révolution.
C’est la forme sociale que, théoriquement, doivent prendre tout bien et tout service dans l’économie capitaliste. C’est par elle que se fait l’échange et donc qu’existe le marché, c’est son existence en tant que forme sociale précisément qui permet l’extraction de la plus-value. La forme sociale marchandise conditionne tous les facteurs et produits du travail effectué dans le système de production et d’échange capitaliste. Les éléments constitutils du capitalisme ne sont pas seulement des objets, des produits destinés à une consommation ou des outils destinés eux à la production, ni la force de travail humain. Tous ces éléments n’existent et ne peuvent exister en système capitaliste qu’autant qu’ils prennent la forme sociale de marchandise, bien que dans la pratique, il existe des biens et services non marchands.
10.1.1 - La valeur
Valeur d’échange et valeur d’usage sont indissolublement liées, elles sont l’unité de la marchandise. Elles sont consubstantielles, toutes deux ensembles, au mécanisme de l’échange. Tout produit de l'activité humaine doit répondre à un besoin, à un usage (valeur d’usage), et ne peut être considéré comme marchandise que si il fait l’objet d’un échange (valeur d’échange), s’il est vendu ; voir [Marx, 1894].
Valeur d’usage. Aristote déjà avait pressenti cette dualité dialectique. Ainsi, il fait un distinguo très net entre instruments de production et objets de propriété.
Les instruments proprement dits sont des instruments de production ; l’objet de propriété, au contraire est un instrument d’action. En effet, comme le note Aristote : « la navette produit quelque chose de plus que son usage propre, mais d’un vêtement et d’un lit on ne dre qu ’un seul usage. »
La valeur d’usage est donc déterminée par l’usage que l’on fait ou compte faire du produit considéré, ce qu’en théorie économique on appelle aussi une fonction d’utilité. Sans valeur d’usage, il n’y a pas de valeur d’échange.
Valeur d’échange. Un objet, une action, n’ont de valeur d’échange qu’autant qu’on en a l’usage, c’est-à-dire qu’ils ont une valeur d’usage ; même si cet usage peut être déformé ou perverti par les entrepreneurs capitalistes par rapport à la réalité des besoins populaires.
Parler d’échange c’est parler d’un acte social mettant enjeu des acteurs sociaux, des individus ou des institutions, c’est du reste ce qui fait société. Pour qu’il y ait échange équitable, il convient de pouvoir comparer les choses ou actes à échanger.
Ainsi, la valeur d’échange nécessite que toutes les marchandises puissent être comparées à une même aune, la quantité de travail (social moyen) nécessaire à leur production.
Les marchandises étant, par définition, le produit d’un travail concret, le travail constitue la propriété commune à toutes les marchandises, sans laquelle elles n’existent tout simplement pas en tant que telles, c’est-à-dire en tant que rapport social. Les marchandises étant toutes différentes les unes des autres, le seul lien commun entre elles est qu’elles doivent être produites, donc qu’elles sont in Une le résultat d’un travail. C’est ce qui objective la valeur travail [Smith, 1776], [Marx, 1894]. Le seul moyen de comparer les marchandises entre elles c’est de les comparer en ce qu’elles ont de commun, donc ici le travail. Toutefois s’en tenir là n’aurait pas de sens. En effet, comment comparer le travail du marin sur le chalutier avec celui du programmeur ? La seule réponse possible nous vient de la démarche scientifique, à savoir l’abstraction.
Le travail dont il s’agit ici est un travail abstrait, idéal. Il en est de même du cercle ou du triangle. Le concept de cercle n’est aucun cercle en particulier, et aucune représentation de cercle n’est LE cercle, mais une représentation, une instance. Un dessin de cercle peut permettre de conceptualiser LE cercle. Il en est de même ici pour le travail abstrait. C’est d’ailleurs là que réside une question restée en suspens, ou du moins incomplètement traitée, dans la théorie marxiste. C’est le rapport entre valeur et prix, comment calculer un prix ? Est-ce possible ex ante ou sans passer par le marché, ou doit-on considérer le marché comme le seul lieu possible de formation des prix (du moins en système capitaliste) ? La réponse n’est pas simple et ce n’est pas notre but de traiter du problème ici, nous nous contentons de le signaler.
Les outils et plus généralement les facteurs de production sont eux-mêmes issus d’un procès de travail. De plus ils s’échangent, acquérant le statut de marchandise. Ce processus se retrouve pratiquement dans toutes les sociétés productives à partir de l’âge du fer.
10.1.2 - Le Capital
Ce qui change fondamentalement avec le mode de production capitaliste, par rapport à tous les systèmes de production et d’échange qui l’ont précédé, c’est qu’il étend le domaine de la marchandise à la force de travail humaine, et a une propension certaine à l’étendre à toutes les sphères de l’activité humaine.
10.1.2.1 Le capital comme rapport social
C’est le rapport marchand, appliqué à la force de travail, pour la dominer et l’exploiter, qui fonde le capital comme rapport social. La particularité de la marchandise force de travail c’est quelle produit plus de valeur qu’elle n’en consomme pour se reproduire, c’est ce qui fait sa valeur d’usage. La valeur d’usage de la force de travail pour le capitaliste, ce n’est pas l’objet qu’elle produit. Ce qui intéresse le capitaliste, c’est la valeur qu’elle produit, c’est pourquoi le capitaliste n’achète pas du travail mais du temps de travail.
D’où le procès de valorisation du capital qui est en même temps procès de valorisation de la force de travail, le seul possible qui plus est dans ce système de production et d’échange. C’est dans ce rapport social que se crée la sujétion de celui qui vend sa force de travail à celui qui a les moyens de la valoriser. Ceci dit ce rapport aussi est dialectique car sans force de travail humaine, il ne peut non plus y avoir valorisation du capital ni extorsion de la plus-value (ni vente des marchandises produites !).
L’appropriation de la force de travail par le capital s’effectue dans la circulation (par l’échange), mais elle ne se réalise que dans la production (par le procès de travail). C’est la production et elle seule qui permet la réalisation de la valeur d’usage de la force de travail.
Le capital matériel. Le capital aussi possède une double nature. Chacun des aspects étant indissolublement lié à l’autre, le capital comme rapport social fonde le capital matériel et sa composition.
Le capital matériel comporte une partie fixe (on parle aussi de capital constant) composée des moyens de production (entreprises, usines, outils, ordinateurs, matières premières, énergie, brevets, algorithmes...). Le capital variable est constitué lui exclusivement de la force de travail. La répartition de l’ensemble capital constant et capital variable, les proportions de l’un par rapport à l’autre constituent ce qu’on appelle la composition organique du capital. Cette composition organique du capital évolue au cours du temps, par transformation du travail vivant en travail mort.
La composition organique du capital. ([Marx, 1894] Livre 1, 7ème section, ch.XXV) La composition du capital se présente à un double point de vue. Sous le rapport de la valeur, elle est déterminée par la proportion suivant laquelle le capital se décompose en partie constante (la valeur des moyens de production) et partie variable (la valeur de la force ouvrière, la somme des salaires).
ç Co = composition organique du capital
Co = —- avec Cst = Capital constant Va Va! = Capital variable
Sous le rapport de sa matière, telle qu’elle fonctionne dans le procès de production, tout capital consiste en moyens de production et en force ouvrière agissante, et sa composition est déterminée par la proportion qu’il y a entre la masse des moyens de production employés et la quantité de travail nécessaire pour les mettre en œu\Te. La première composition du capital est la composition-valeur, la deuxième la composition technique.
C’est ce rapport qui amène Marx à avoir une visibilité sur les crises du système capitaliste et à avancer le concept de baisse tendancielle du taux de profit.
Travail mort, emploi précaire. Comme on peut le constater en filigrane, on est dans une logique d’airain {Le Talon de fer cher à J. London [London, 1908]), constante du mode de production capitaliste, de transformation du travail vivant en travail mort. Le capital cherche partout à exclure le plus possible l’homme du procès de production.
En effet, la logique du profit est de ce point de vue inexorable. Pour augmenter la valeur produite par le prolétaire par unité de temps, on introduit des machines de plus en plus perfectionnées qui sont en fait du travail cristallisé, du travail mort. La productivité du travail augmentant, à production constante il y a besoin de moins de temps de travail, donc de travailleurs. En particulier, ce phénomène a d’abord touché le monde ouvrier classique, les usines se ridant peu à peu de leurs ouvriers au fur et à mesure que le degré d’automatisation et d’automation augmentait dans la production matérielle. Témoin en France, les usines Renault de l’ile Seguin à Boulogne Billancourt par exemple, ou la sidérurgie Lorraine.
Simultanément, s’opérait un glissement de l’emploi car qui dit grande production, permise et nécessitée par l’automatisation, dit aussi grande distribution, explosion de la sphère des services. Soyons clairs, ce n’est pas la grande distribution qui nécessite la giande production, c’est l’inverse. Ces services ont absorbé massivement des emplois et par conséquent, d’une certaine façon, mordu sur la part de plus-value générée par la vente des marchandises afférentes à l’activité de ces services. Avec l’utilisation massive des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), il y a volonté délibérée de récupérer cette paît de plus-value en se passant le plus possible des services des travailleurs de ce secteur. Par exemple les caisses automatiques des supermarchés permettent de se passer de caissières. De même, les automates dits DAB, distributeurs automatiques de billets qui permettent souvent d’autres transactions financières telles que remises de chèques ou dépôt d’argent liquide, permettent, associés à l’utilisation d’une carte de paiement, de limiter le nombre d’agences bancaires. Et que dire des achats sur internet...
C’est la forme de propriété et la composition organique du capital, le niveau de compétences requises pour gérer ou contrôler, la hauteur des investissements à effectuer, le niveau technique, la taille des réseaux qui déterminent la forme que doit prendre l’entreprise capitaliste, c’est-à-dire le heu, le moment et la forme de l’exploitation, de l’extorsion de la plus-value.
Les rapports de production capitalistes sont basés sur l’assujettissement du producteur. Cet assujettissement a heu par le biais précisément de la propriété, du capital. Ce capital est le seul moyen pour le producteur de valoriser sa force de travail, d’où l’assujettissement. Les différentes formes que peut prendre le
capital sont donc déterminantes dans la forme que peuvent prendre les rapports de production, c’est-à-dire dans l’organisation du travail.
10.2.1 - L’entreprise des propriétaires
Aux débuts du capitalisme industriel, au XIXe siècle, le patron est de droit divin comme l’est la propriété. Il possède le capital, c’est-à-dire l’usine, les outils, les murs, donc il est le patron. Peu importe comment s’est faite l’accumulation primitive dudit capital11’. La technique et la technologie sont suffisamment frustes pour que le patron possède le savoir-faire qui lui permet de contrôler plus ou moins le processus de production. La maîtrise est assurée par des ingénieurs et des techniciens qui sont « les chiens de garde du capital ». La promotion s’effectue en fonction de l’allégeance au patron, c’est l’avancement « à la tête ». Le népotisme règne en maître, le fils du patron succède au père parce qu’il hérite du capital, de l’usine. Le producteur ne possède au mieux que son savoir-faire, au pire sa force de travail physique, il est nu sans ses chaînes. Il vend donc sa force de travail, physique, essentiellement au début du XIXe siècle. Il est entièrement dépendant du patron qui le loge le plus souvent et possède la haute main sur le réseau d’alimentation, sur les écoles et donc la formation et la promotion sociale de la progéniture. Le patron est un potentat dans son entreprise, mais aussi localement, il contrôle l’essentiel de ce qui constitue la vie publique et tout ce qui autorise la vie privée. C’est l’entrepreneur privé, le bourgeois entrepreneur, le chevalier d’industrie. 125
Le travailleur prolétarisé ne possède aucune autonomie, il est encore souvent presque esclave. La différence essentielle là, c est que lorsqu’il peut se déplacer, le prolétaire vend (loue) sa force de travail, dans une certaine mesure, il choisit son exploiteur ; d où le terme marché du travail, qu’on devrait plutôt appeler marché de la force de travail.
Toutefois dans le même mouvement, les forces productives du capitalisme, en particulier la maîtrise de la transformation de l’énergie, c’est-à-dire l’apparition du moteur, essentiellement à vapeur au début, va libérer l’espace. L’apparition du chemin de fer et son développement impétueux, puis du moteur à huile (ou moteur thermique, à explosion) et de l’automobile vont amener le prolétaire à se déplacer, le paysan aussi qui va quitter sa terre. Les jeunes surtout qui se libèrent ainsi du carcan du village, de la famille, de toutes sortes de dépendances liées à la proximité, libération morale, libération — toute relative — des mœurs.
L’évolution technique et technologique est très rapide, les guerres mondiales, de 1914 à 1918 d’abord, de 1939 à 1945 ensuite vont jouer un rôle majeur. La destruction massive de capital, la réorganisation impliquée par la guerre et 1 effort industriel de guerre donnent un dynamisme phénoménal au système capitaliste, de même que la remise en cause de modèles mentaux liés à la précédente organisation ; le discours patronal peut changer. Le capital va se réorganiser, la production se rationalise. L’apparition d’un camp socialiste, vainqueur de la seconde guerre mondiale (mais exsangue !) est aussi un élément de dynamisme par la compétition et la mobilisation idéologiques que cette situation génère, ce rapport de forces issu de la seconde guerre mondiale et le rôle joué par les communistes dans la résistance a obligé le capital à des concessions sociales importantes comme la sécurité sociale, le secteur public et nationalisé, une amélioration nette de la condition ouvrière, toutes avancées constamment remises en cause en fonction des fluctuations du rapport des forces, en particulier après la défaite de l’URSS dans la guerre froide. Positive pour le capitalisme, cette compétition s’est avérée perversement mortelle pour l’expérience socialiste du vingtième siècle. En effet, à aucun moment, l’URSS, soumise de fait à la course aux armements et à la compétition afférente, n’a pu développer ses forces productives comme elle l’aurait voulu. Si l’URSS a gagné la bataille contre les armées hitlériennes et libéré l’Europe du joug nazi, elle a de fait perdu la guerre que l’impérialisme a mené contre elle, y compris par nazisme interposé car cette « seconde guerre mondiale » ne doit être vue que comme une bataille, un épisode, dans la guerre globale, multiforme et incessante que l’impérialisme a mené contre l’URSS et l’ensemble du camp socialiste européen depuis la révolution bolchévique de 1917 ; guerre qu’il continue aujourd’hui contre toute tentative de nature socialiste ou communiste, de Cuba à la Chine.
10.2.2 - La hiérarchie, les chefs, petits et grands
L’industrie de guerre de la première guerre mondiale introduit rapidement des méthodes de rationalisation dans le processus de production.
L’organisation est encore toute militaire, et pour cause. Les femmes entrent massivement dans la production, prenant la place des hommes envoyés au front. Elles y resteront, pas toujours par choix, mais la saignée a été rude et la rationalisation de la production ne suffit pas à combler les trous, la force de travail se féminise. La gent féminine peut relever la tête, exiger sa place pleine et entière dans la société à égalité avec les hommes. Le
féminisme apprend la lutte des classes et s’y renforce en lui apportant également une dimension supplémentaire.
C’est à partir de la crise de 1929 que les choses vont changer rapidement dans la structuration du capital et l’organisation des entreprises.
À partir des années trente jusqu’aux environs de mille neuf cent soixante-dix (en fait 1968), ce qui va primer c’est l’organisation de l’entreprise et la dépersonnalisation de la propriété.
Le taylorisme. Au début du vingtième siècle, les travaux de l’ingénieur Frédérick Winslow Taylor sur l’organisation scientifique du travail sont publiés. Le modèle « achevé » en est les méthodes pratiquées dans les usines automobiles Ford. Ces méthodes se caractérisent par une parcellisation du travail, l'individualisation des opérations conformes à un découpage correspondant à des lois, des règles, des formules en vue d’une production améliorée et accélérée.
Le taylorisme adapté à une production de masse supposait que l’ouvrier posté, prisonnier de la chaîne (rivé à la chaîne), fût seulement formé à la réalisation du geste, ou de quelques gestes, très élémentaires, strictement nécessaires à la réalisation de la tâche demandée et réduit en quelque sorte à un rôle de « gorille apprivoisé » pour reprendre l’expression de Taylor lui-nrême.
Cette organisation du travail a été popularisée et immortalisée par la satire qu’en a fait Charlie Chaplin dans le film Les temps modernes.
Cette « organisation scientifique du travail » a lourdement pesé sur la structure du fonctionnement des entreprises. Elle correspond à une forme inédite d’exploitation des travailleurs. Elle dévalorise complètement le travail et les compétences et entraîne une véritable militarisation de la production. La hiérarchie de l’entreprise ressemble en effet à celle d’une armée en campagne. Une pyramide avec ses chefs qui décident et dirigent et les troupes qui exécutent et obéissent.
Le taylorisme se heurte cependant à des obstacles insurmontables. D’abord, Taylor constate amèrement, qu’il est impossible de transfonner l’ouvrier en « gorille apprivoisé ». En effet, l’ouvrier est un être qui réfléchit pendant son travail, ce qui est incompatible avec la parcellisation poussée de celui-ci. Ensuite, cette organisation est très rigide, le système ne peut fonctionner idéalement que s’il est figé, ce qui lui interdit d’assimiler rapidement les innovaüons techniques et technologiques, de s’adapter à la flexibilité nécessitée par la concurrence. Enfin, ce système trop rigide est incapable de répondre à une demande changeante et diversifiée.
L’apparition des ordinateurs sur les chaînes change la donne. La parcellisation-fragmentation à outrance des processus pour les réduire à une succession de gestes élémentaires est tout à fait propice à une automatisation, les dits gestes peuvent être faits par un automate. De plus avec le fait aujourd’hui que ces automates sont pilotés par des MTU, la flexibilité est assurée, une automatisation poussée est possible. Toute machine comportant aujourd’hui un automatisme est basée sur la MTU.
Les cadres. De « chiens de garde du capital » le rôle des cadres va rapidement se transformer sous l’influence de la complexification de la production. Le cadre ne se contente plus de faire appliquer les ordres, il collabore à leur élaboration, et plus généralement il collabore à la conception même du processus industriel. Un homme seul, fût-il le patron, ne peut maîtriser l’ensemble du processus industriel d’une part, le management d’autre part, les deux étant de plus en plus dépendants l’un de l’autre tout en se distinguant en tant qu’activité. Par conséquent les cadres doivent faire preuve de compétences diverses suivant le rang qu’ils occupent dans l’entreprise. Mais qui dit collaboration à l’élaboration des procédés, des décisions, des stratégies, dit aussi, nécessairement délégation de pouvoir.
D’où l’apparition d’un discours patronal, et plus généralement des médias de la bourgeoisie dont le but est d’obtenir l’indispensable consensus idéologique des cadres. En effet, à partir du moment où le capital est obligé de leur déléguer du pouvoir, il faut que celui-ci soit utilisé à bon escient, c’est-à-dire dans l’intérêt des actionnaires, ce qu’« on » traduit dans la propagande par « dans l’intérêt de l’entreprise » (c’est-à-dire en fait dans l’intérêt du capital). L’entreprise est présentée, dans le discours dominant relayé par les médias, comme un collectif, un navire dont le PDG serait le capitaine, tout le monde étant embarqué dans le même navire et l’intérêt du cadre, de l’ouvrier même, étant l’intérêt de l’entreprise. Les cadres, le directeur de l’usine, de l’entreprise, sont les éléments moteurs, les « cerveaux », les créatifs de l’entreprise.
L’entreprise est caractérisée par sa taille ; il s’agit souvent de grandes concentrations industrielles, et donc d’hommes aussi. Les problèmes d’organisation prennent une nouvelle dimension. Ce sont les cadres qui font se développer l’entreprise, qui sont détenteurs de l’organisation et dont le rôle est de conquérir des marchés et de proposer des innovations technologiques. Les ouvriers, employés, n’apparaissent eux que comme des exécutants, des rouages de la machine-entreprise126. Quant aux actionnaires, ils restent dans l’ombre, l’entreprise n’est plus celle d’un propriétaire, mais celle des actionnaires. La maîtrise se trouve en première ligne
face aux ouvriers. Cela permet de plus une diversion dans la lutte de classes. Ce sont les chefs et les petits chefs qui apparaissent comme représentant le patronat, et le discours dominant permet de les assimiler idéologiquement, c’est dans ce piège, plutôt fruste que tombera le mouvement gauchiste de 1968 en France.
«
Le développement continu de l’entreprise, les défis intellectuels lancés par l’expansion, la conquête de marchés nouveaux, l’élaboration de produits nouv eaux, l’opportunité d’accéder à des positions de pouvoir et d’argent séduisent les jeunes cadres fraîchement issus des écoles de la bourgeoisie qui leur ont de plus inculqué cette idéologie (voir les cours de marketing ou de « sensibilisation à l’entreprise »). Cette idéologie s’appuie en le prostituant, sur le discours des Lumières. Croyance dans le progrès, dans la science et la technique comme devant automatiquement libérer l’humanité de tous ses maux. Sur ce fond, on mène également un discours de justice sociale, c’est le rôle de la social-démocratie que de « négocier » les conditions de l’exploitation, la rendre acceptable, obtenir le consensus. Rappelons-nous l’apostrophe de Léon Blum reprise par Guy Mollet, puis François Mitterrand et appliquée avec zèle par Hollande : « nous serons les gérants honnêtes et loyaux des affaires du capitalisme. » 127 Tout un programme non ?
L’entreprise horizontale. Les progrès techniques s’accélérant, la concurrence aussi, le panorama économique évolue rapidement. Il y a nécessité pour l’entreprise de s’adapter rapidement. Pour cela, la lutte dans les entreprises rigidifie le système. Par ailleurs, les travailleurs à tous les niveaux revendiquent un travail plus intéressant. Les gorilles pensent de plus en plus, le niveau d'instruction monte. Le découpage entre ceux qui pensent
l’entreprise et ceux qui exécutent est de plus en plus remis en question. Une autre organisation du travail devient nécessaire.
Dès le début des années 1960, l’apparition de la gamme d’ordinateurs 360 montre qu’IBM a franchi le pas et pense déjà l’entreprise comme étant organisée autour de l’ordinateur. C’est là qu’est né le concept de système d'information d’une entreprise. Dès lors, IBM va créer des postes de travail de chargé de mission de conseil auprès des entreprises pour la conception et la mise en œuvre des dits systèmes d’information. Le concept ne pénétrera les entreprises que petit à petit, mais l’élan est donné. Toutefois le danger est là pour le capital, ces nouveaux outils de gestion autorisent aussi de nouvelles revendications, lesquelles vont alimenter la crise des années 1968.
La revendication est à l’autogestion. Suite au conflit majeur de 1968, le patronat va, à son habitude, détourner la revendication ouvrière à son avantage. Le mot d’ordre d’autogestion peut s’avérer dangereux pour le capital, mais dans le contexte, il n’est pas accompagné de son nécessaire, c’est-à-dire la propriété de l’entreprise, la confiscation sociale du capital. Alors le capital en tant que classe peut s’en emparer. La situation de crise permet de se réorganiser en donnant l’impression de céder en partie à la revendication.
« Les crises constituent des moments de restructuration du capitalisme et sont porteuses de transformations organisationnelles, technologiques et institutionnelles. Elles augmentent la centralisation du capital... »128
La maîtrise coûte cher. L’idée est de faire participer, comme avant pour les cadres, l’ouvrier, l’employé à leur propre exploitation. C’est la D.P.O. (direction par objectifs). Le cheval devient solidaire du cav alier, le travailleur est « responsable » de ce qu’il fait. Cette organisation permet « d’aplatir » la p}Tamide de commandement, il n’y a plus besoin de contremaîtres ni de petits chefs. Les groupes de travail s’autogèrent dans la mesure où ils atteignent les objectifs. La position des chefs est remise en question, la pression augmente sur eux aussi. Les trav ailleurs sont en concurrence les uns par rapport aux autres. C’est idéologiquement très bon pour le capital, cela correspond très exactement à l’idéologie individualiste matraquée par tous les médias.
Cette organisation est le prélude à une autre, celle des réseaux et celle des entreprises sans ouvriers. En effet, dès lors qu’on forme des groupes de travail autonomes, éventuellement mis en concurrence, pourquoi ne pas les considérer comme des sous-traitants (ou, auto-enùepreneurs !). Il s’agit simplement de circonscrire correctement les tâches qu’on veut leur voir faire. D’où en partie le discours sur les TPE et PME-PMI. La réactivité y est plus grande, l’exploitation plus forte, les travailleurs plus isolés, moins organisés. C’est la flexibilité. Le réseau c’est fondamentalement de la sous-üaitance, il faut bien quelque part un donneur d’ordres et un décideur sur le réseau, seule change la manière, les plateformes jouent là un rôle central.
Les réseaux permettent un autre type d’exploitation, le travail à la tâche. Une entreprise (un capitaliste) sur une plateforme distribue des tâches, et c’est à des individus, autoenùepreneurs de venir voir sur la plateforme et de se proposer pour l’accomplissement de telle ou telle tâche. On en revient là au règne des acconiers qui embauchent des manutentionnaires au jour le jour. C’est le cas par exemple aujourd’hui en France pour les
livreurs à vélo (Deliveroo) qui sont ainsi mis en concurrence entre eux et sont payés à la tâche, au nombre de livraisons au quotidien (voir [Bolzinger et Koüicki, 2012]) ou des « taxis » UBER, ce qui a donné le terme d’ubérisation pour désigner cette situation d’exploitation éhontée.
Le chômage, réponse organisationnelle. A la fin des années 1960, un certain flottement se fait jour dans le système capitaliste mondial. La contestation estudiantine de 1968 a pointé la nécessité d’une modification de l’organisation de la société, rendue possible par l’élévation du niveau de vie et par le développement concomitant des forces productives. Cette revendication porte plus sur un nouveau rapport au travail que sur une évolution des mœurs, même si c’est cette dernière qui a été le plus mise en avant, médiatisation oblige, surtout faire oublier la lutte des classes. La classe ouvrière de son côté, encore numériquement présente de manière importante dans les entreprises, lesquelles nécessitent encore beaucoup de main-d’œuvre, est entrée massivement dans la lutte et a ébranlé le système en ses fondements mêmes. A Grenelle, les acquis ouvriers sont très importants.
Le courant révolutionnaire sort renforcé de cet affrontement de classe. Le candidat du Parti communiste français, Jacques Duclos, recueille 21,6% des voix à l’élection présidentielle de 1969, il rate de moins de 1 % le duel du second tour. Le vent du boulet a décoiffé du monde.
Le capital se trouve confronté à deux grands problèmes :
— la baisse du taux de profit ; les acquis sociaux coûtent cher au capital, ils rognent sur les profits ;
— le grand débat idéologique amorcé en 1968 a fait progresser de façon importante les idées révolutionnaires dans la société et en particulier dans la jeunesse. Le risque est alors pour le capital que se dégage une alternative au capitalisme dans les grands pays développés. Ce risque est d’autant plus grand et l'alternative plausible qu’existe un « camp socialiste » développé, sur lequel pourrait s’appuyer économiquement, politiquement et militairement une éventuelle alternative anticapitaliste en France ou en Italie, maillons faibles du système.
10.2.3-Les TIC
Face à cette situation, le capital va répondre de façon organisationnelle, au plan national comme au plan mondial.
Si le mouvement révolutionnaire français, et en particulier le PCF, incapable de voir l’émergence du nouveau système technique en gestation et d’en tirer les conséquences, s’enfonce dans une dérive sociétale, le capital, lui, sait faire sienne la thèse de Marx sur les forces productives. En 1977 paraît en France le rapport Nora Mine sur « L’informatisation de la société » [Nora et Mine, 1978] commandé par le Président Valéry Giscard d’Estaing qui trace la voie à partir de laquelle va se développer la politique économique du G5. Syndicats et partis révolutionnaires par contre seront atteints de ce qu’on pourrait appeler en exagérant un peu le syndrome des canuts. Ils ne sauront pas s’emparer de cette nouvelle force productive, ni surtout du fait qu’elle scelle l’émergence d’un nouveau système technique. Plutôt, ils ne la verront que sous l’angle « révolution informationnelle » et non comme moteur d’une révolution scientifique et technique pourtant détectée par quelques observateurs dont les communistes initiateurs du malheureux « Printemps de Prague ».
Entre autres choses, ce rapport met fortement l’accent sur l’émergence de l’infonnatique dans la gestion des entreprises et dans l’organisation de la vie civile. Le concept de système d’information, s’il n’y est pas explicitement repris, sous-tend le raisonnement. Ce rapport met en perspective les possibilités offertes par la fusion de l’informatique et des télécommunications en un système unique, les réseaux. C’est la naissance des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). C’est l’émergence de l'informatique en osmose avec les télécommunications comme force productive nouvelle.
Bien sûr, la France n’est pas un cas isolé, et la même analyse, à des nuances près, est faite dans les grands pays capitalistes. Les outils sont là, la prise de conscience des décideurs est faite, la situation est mûre pour le capital pour établir sa stratégie, rétablir son taux de profit, mettre la classe ouvrière au pas, engager la bataille idéologique sur de nouvelles bases. Le G5 de Tokyo en juillet 1979 sonne l’ouverture de l’ère de la mondialisation et engage la réorganisation de la circulation du capital et de la formation de la plus-value en vue de relancer la rentabilité du capital. Le G5 décide à Tokyo de l’emploi comme variable d’ajustement, ce qui n’était plus le cas depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Dès lors, dans le monde capitaliste, informatique et réseaux vont se développer à marche forcée (le camp socialiste qui, lui, ne cherche pas à ajuster l’emploi, prendra de ce fait quelque retard dans l’informatique de masse, mais pas de pointe contrairement à ce qu’une propagande a abondamment diffusé).
Délocalisation, licenciements massifs, fusions d’entreprises, réorganisation de la production vont aussi se développer avec grande ampleur (« externalisations » de ELF, délocalisation de Péchiney au Canada).
Le chômage concerne rapidement toutes les couches de la société, il prend un caractère de masse, il devient structurel. La précarité se développe. Parallèlement le capital mène la guerre idéologique. La pensée unique fait florès. L’idéologie Rambo est à l’ordre du jour, l’individualisme forcené est instillé par tous les canaux possibles, en particulier vis-à-vis de la jeunesse. Le mot d’ordre est à la performance et aux « gagnants ». Il y a les winners et les loosers. Dans le même temps l’offensive idéologique bat son plein et le discours libéral (i.e. capitaliste) glorifiant l’entreprise, la finance et la flexibilité devient pensée unique.
LTn nouveau système technique, à vocation mondiale, commence alors à se mettre en place.
10.2.4 - Le temps des réseaux
L’apparition des réseaux est YuJtima verba de cette organisation, elle permet de réduire le groupe de travail à l’individu chaque fois que la nature du travail le permet. Il faut convaincre chaque individu qu’il peut être le meilleur, qu’il peut être riche à la Bill Gates, que celui qui échoue ne doit s’en prendre qu’à lui-même. C’est l’idéologie du self marie man revisitée. D’où le phénomène des jeunes pousses, ces entreprises montées par une bande de copains sur une idée forcément géniale et qui va rendre riche comme Crésus. Une autre raison, non avouée, de ce phénomène, c’est le brouillard technologique dans lequel on avance. Les banques, et plus généralement les investisseurs ne veulent pas investir massivement sur des « créneaux » dont on ne connaît pas la rentabilité à court terme a priori. L’idée du capital-risque est de ce point de vue très pratique. Des individus prennent tous les risques, et les banques ramassent la mise. Une autre conséquence de cette nouvelle organisation, c’est la précarité, la labilité des situations. On vit dans l’immédiat, on consomme, on vit par ce
qu’on consomme, pas par ce qu’on crée, pas par son environnement social.
Auto-entrepreneurs, télétravail. La généralisation du réseau, l’amélioration continue de la bande passante (fibre optique) associée à la pandémie mondiale des années 2020—2021— ... a amené à une modification en profondeur du rapport au travail pour une partie non négligeable des travailleurs. Les mesures dites « barrières », les précautions nécessaires impliquant la distanciation physique ont conduit à un développement sans précédent du télétravail. Le rapport au travail de nombre d’employés va se modifier. Si une grosse partie de ceux qui ont été obligés par la pandémie de pratiquer le télétravail reviennent au bureau, une autre partie va systématiser cette façon de travailler, ce qui pourrait bien avoir des conséquences non négligeables sur l’organisation du territoire.
Il est indispensable au mouvement révolutionnaire de prendre en compte cette situation et d’en tirer les conséquences dans la bataille idéologique, au niveau de l’accès à la conscience de classe.
Le temps, ressource rare non renouvelable. Ce problème n’est pas nouveau ; en fait le capitaliste achète du temps de travail aux prolétaires, mais il prend une autre dimension avec ce nouveau système technique.
Le caractère précaire de tout accès aux biens, de toute activité fait du temps une ressource majeure et qu’on doit absolument gérer soi-même. On peut faire gérer sa fortune par des banquiers, ou sa maison par des domestiques. On est obligé de gérer le temps de la vie, d’en être parcimonieux. Déjà le vieil adage nous le disait : « le temps c’est de l’argent ». Avoir du temps à soi est aujourd’hui un luxe rare. Le problème de la ressource temps est qu’elle n’est ni renouvelable, ni stockable. Or le temps est absolument nécessaire au réseau, c’est même sa consommation essentielle. Temps pour établir des contacts, temps passé devant un écran d’ordinateur ou un téléphone à l’oreille. Les opérateurs du téléphone l’ont bien compris. Seulement ce temps-là consomme le temps pour soi, le temps de la réflexion, le temps du moi. C’est d’ailleurs là un enjeu de civilisation ; cette course à l’immédiateté est incompatible avec la citoyenneté, la réflexion et l’élaboration savante ou artistique. Un directeur de chaîne de télévision l’a bien compris qui se vante de vendre « du temps de cerveau disponible ».
L’aliénation renforcée. Le propriétaire est aliéné par ce qu’il possède, en particulier la propriété des moyens de production estelle aliénante pour le capitaliste. Le prolétaire lui est aliéné par le fait qu’il ne possède pas, et que pour posséder, ne serait-ce que les moyens de sa survie, il doit vendre sa force de travail, c’est à dire ici du temps de travail. Il faut insister sur cet aspect, ce que le capitaliste achète au prolétaire, ce n’est pas son travail, c’est son temps de travail, il loue sa force de travail pendant un certain temps.
La classe qui possède les moyens de production et la classe du prolétariat représentent la même aliénation humaine, mais la première se complaît et se sent confirmée, dans cette aliénation de soi, elle éprouve l’aliénation comme sa propre puissance et possède en elle l’apparence d’une existence humaine129, la seconde se sent anéantie dans l’aliénation, elle voit en elle sa propre impuissance et la réalité d’une existence inhumaine.
La nouvelle organisation du capital rend plus subtile l’aliénation due au fait de posséder. Il ne s’agit plus pour l’individu de posséder une maison, une voiture, etc. Il s’agit d’avoir les moyens de s’en payer la jouissance quand il estime en avoir besoin. Il y a une espèce de « dématérialisation » de la propriété individuelle. Il s’agit alors d’une propriété financière qui garantit cette potentialité et cette capacité à posséder par tranches, ce que ne permet pas le fait de posséder physiquement. En effet, la propriété d’une résidence principale et d’une résidence secondaire par exemple pour un individu, peut ne pas lui permettre tel ou tel autre accès à des biens. Avec la financiarisation de la propriété, l’autonomie devient plus grande, mais le caractère aliénant se renforce en cela que la précarité des situations devient plus grande encore pour celui qui possède un petit peu. De plus il y a fragilisation des situations. La situation financière du propriétaire peut se dégrader très rapidement. La monnaie peut dévaluer alors que si on possède des biens immobiliers, une maison par exemple, quelle que soit la dévalorisation du capital, la maison est toujours là et conserve sa valeur d’usage. Ce n’est évidemment pas le cas du compte en banque dont l’usage est l’échange. De même pour ce qui est du capital, c’est le capital financier qui domine, c’est la financiarisation de l’économie.
L’organisation en réseau rend dépendant du réseau lui-même, de l’organisation qui le dirige, le contrôle, ou le possède (on y revient !). Alors qu’historiquement le développement des systèmes de production et d’échange, et de façon accentuée jusqu’ici dans le système capitaliste a tendu à séparer le domaine privé du domaine public et du domaine professionnel, le réseau tend à gommer ces différences et à fusionner ces différents domaines, renforçant potentiellement l’aliénation de l’individu, du producteur, en particulier avec l’émergence massive du télétravail. La force de
travail se confond alors avec le produit du tr avail. Le producteur lui-même ne vend plus alors sa force de trav ail durant un temps donné, il fournit une prestation, il est chargé d’une mission. Son temps personnel se confond éventuellement avec son temps de travail, il n’y a plus alors de distinguo entre vie privée et vie professionnelle. La puissance publique, la société ne peuvent plus imposer des règles régissant le temps de travail. Ce temps est alors géré par le travailleur lui-même. Son utilisation dépend d’une dialectique, d’un rapport de forces subtil qui passe par l’aliénation au réseau, entité tutélaire, insaisissable, toute-puissante, indispensable désormais à l’organisation de la vie.
On se trouve face à une délocalisation, à la fois dans l’espace et dans le temps, du travail. En effet comme nous l’avons pointé supin, l’utilisation des TIC abolit les distances et permet dans nombre de cas, de faire travailler ensemble des producteurs physiquement éloignés. De plus, cela permet aussi à l’employeur, au patron, de changer, du jour au lendemain, voire sur le champ, de collaborateur. Les exemples de travailleurs qui apprennent par courrier électronique qu’ils sont licenciés ne manquent pas. Pour le travailleur, cela représente une volatilité importante de l’emploi, un stress continu du rendement qui n’a rien à envier à celui de l’ouvrier d’itier dans son atelier, sans toutefois la convivialité ni la solidarité ouvrière qui y pouvait régner et qui favorisait en fait l’émergence de la conscience de classe. Ce système d’organisation du travail entraîne en système capitaliste une généralisation de l’emploi précaire, temporaire, le e-travailleur n’ayant plus un emploi mais des missions. La rémunération à la tâche quoi, la solidarité de classe en moins !
Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pouirait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et \nlgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point, il n \existe qu ’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux.
Alexis Tocqueville
L’organisation en réseaux et la quasi instantanéité des communications qui y est liée, la marchandisation généralisée, la transformation de la planète en un marché unique, autorisent une autre organisation économique, géographique et politique pour le capitalisme. La région devenant l’unité géographique de base permet d’avoir des entités géographiques, économiques et politiques incapables individuellement d’influer sur le cours politique mondial, cette possibilité étant du seul ressort d’un cartel de sociétés transnationales et des dirigeants US. Le cas échéant, in fine, on dispose du droit d’ingérence humanitaire, largement pratiqué par le gouvernement des USA pour ramener l’éventuel trublion à la raison. Cette organisation nécessite le démantèlement, ou pour le moins la régression, des Etats-nations, la privatisation à marche forcée de tout ce qui reste de service public, la balkanisation culturelle, chaque région se repliant sur son folklore, son (ses) dialectes. Un sabir anglophone mâtiné d’américain servant de langue universelle, la plus standardisée et la plus pauvre possible, permettant ainsi la domination sans partage du marché des « produits culturels » made in USA. C’est le règne Mc Do-Coca-ColaMicrosoft. Au plan politique, l’organisation en fédération hétéroclite de régions (comme une Europe de Lânders par exemple) et l’unification des systèmes de vote conduit inexorablement à un système bi-parti à l’anglo-saxonne, sur fond de consensus faussement contradictoire entre Sociaux-Démocrates et Conservateurs130, toute autre expression étant au mieux marginalisée, la « main invisible » du marché faisant le reste. Peu importe si à plus long ternie cela se termine par des drames du type yougoslave ; les missiles de croisière et la pax américana y mettront bon ordre. Les entreprises florissantes pourront, alors que la paix aura, pour un temps, été rétablie, décontaminer les sites bombardés à l’uranium appauvri ou à toute autre saloperie du même genre et reconstituer le capital ainsi détruit. Un quelconque Tribunal Pénal International, financé par les multinationales donnera un vernis légal à tout cela. Il permettra de plus de condamner des boucs émissaires en les livrant à la vindicte publique, masquant ainsi dans un même mouvement le rôle de ses propres sicaires.
11.2 - Le droit du plus fort
Avec l’apparition d’Internet et son extension apparaît une nouvelle criminalité comme avec toute activité nouvelle. Le FBI s’en empare pour imposer au niveau mondial une législation qui sous couvert de technique fait ti de ce qu’il est convenu d appeler l’état de droit. Le FBI a ainsi pris l’initiative pour que se constitue une organisation policière supranationale qui n’est soumise au contrôle d’aucune instance judiciaire, législative ou exécutive, que ce soit au plan communautaire ou national en ce qui concerne l’Europe. Les réformes pénales relatives à la criminalité informatique sont caractéristiques des attaques contre la souveraineté nationale. Elles s’attaquent au mode d’organisation lié à un territoire déterminé dans lequel s’exercent les compétences juridiques, législatives et exécutives de l’État souverain. Cette façon de faire tend à permettre que les intérêts particuliers des entreprises monopolistiques s’imposent comme la seule rationalité possible.
Bien entendu cette instance policière n’ayant de compte à rendre à aucun État en particulier est, de fait, sous la coupe du FBI, c’est-à-dire du gouvernement des USA. De là à opérer un contrôle
politique ou même idéologique, sans parler de l’espionnage industriel et économique, il n’y a qu’un pas, vite franchi.
De plus l’espionnage de la vie privée de l’internaute est ainsi banalisé alors que pour la France, par exemple, il est complètement illégal car il viole l'article 22 de la Constitution qui stipule « Chacun a droit au respect de sa vie piivée ».
On ne peut non plus exclure l’apparition de structures, réseaux, « perpendiculaires », c’est-à-dire non géographiquement déterminés. Des communautés bien réelles utilisant l’espace virtuel des réseaux, d’Internet, des sectes, sociétés secrètes, maffias, et pourquoi pas des nations virtuelles, ou du moins des groupes de pression non physiquement localisés, les crypto-monnaies couronnant le tout.
Dans le même mouvement, les TIC permettent l’apparition de nouveaux objets culturels, de nouveaux codes sociaux, d’un certain individualisme et en même temps une solidarité sans frontière au sein de communautés repliées sur elles-mêmes (Facebook alias Meta11' et aussi, par exemple), communiant dans un même ésotérisme.
De ce point de vue, si Internet est un outil majeur de la mondialisation, il n’est pas celui de l’universel. Il faut d’autant moins confondre mondialisation et universalisme que l’apparition d’Internet, si elle permet à toute une partie de ceux qui possèdent le téléphone de communiquer sans frontière, accroît encore plus le fossé entre ceux qui y ont accès et les autres, ceux qui le maîtrisent et les simples utilisateurs (consommateurs ?). Même si 131
le prix de l’équipement baisse de façon très importante, il est peu probable que dans les 10 ans qui viennent, les 4/5ème les plus pauvres de l’humanité y aient accès, au mieux, que de façon épisodique.
Des projets comme le Metavers sont de nature à scinder en deux grandes parties l’humanité, celles et ceux qui auront accès à ce « méta-univers », un groupe restreint, et les autres, si toutefois les technologies mises en œuvre ne dégradent pas encore plus l’environnement
11.3 - Et le capital financier ?
Un problème qui vient immédiatement à l’esprit, c’est le rôle de la finance dans ce monde globalisé dont rêvent les capitalistes. C’est celui de la monnaie électronique, son statut, son rôle, son devenir. Le niveau d’abstraction atteint par la « monnaie électronique » est tel qu’on peut se demander si la monnaie n’est pas en train de changer de nature, ou de revenir à ce qu’elle fut en ses tout débuts lorsqu’elle se matérialisait en des coquillages qui n’avaient en eux même aucune valeur. L’objet monnaie disparaît au profit du concept monnaie qui devient plutôt « droit de tirage ». Dans ces conditions quid du rôle de la banque et des institutions fiduciaires ?
11.3.1 - Monnaies
La monnaie devient formelle, elle devient indépendante de toute contrepartie matérielle. On est loin de l’équivalent or. Déjà le dollar est-il indépendant de tout étalon matériel et la quantité en circulation ne dépend que du bon vouloir des autorités politiques américaines"2. Avec l’euro, un pas de plus est franchi. Non 132
seulement l’euro n’a aucune contrepartie matérielle, mais de plus, la politique monétaire ne dépend plus du pouvoir politique. En fait, la politique perd ses droits, la finance prend le pouvoir. Les seules décisions possibles pour le pouvoir politique ne peuvent être prises que dans le cadre fixé par les gouverneurs des banques européennes, lesquels ne sont eux-mêmes que les mandataires des giands groupes financiers. Ainsi, c’est le capital financier qui prend les rênes de l’économie capitaliste dans le processus de mondialisation. Et c’est grâce à l’informatique et à l’organisation en réseau déterritorialisée que cette restructuration du capital est possible. C’est là une caractéristique de la mondialisation, c’est la sphère financière qui dirige l’économie. Elle est apparemment déconnectée de la sphère productive qu’elle commande en fait par le jeu de la circulation du capital. Le pouvoir capitaliste mondial passe par la finance qui dicte le fond de sa politique aux Etats réduits de plus en plus au rôle de supplétifs du capital.
11.3.2 - Le capital produirait de la valeur ?
Curieusement, cette abstraction et le jeu des marchés financiers semblent faire (re)naître une vieille lune. Le capital, surtout financier, produirait en lui-même de la valeur. On pourrait avoir des entreprises sans ouvriers, mieux peut-être, des entreprises virtuelles. Le capitalisme espérerait-il pouvoir se passer du travail ?
Ce problème est lié à celui de l’accumulation du capital qui est une caractéristique essentielle du capitalisme. Le capitalisme a une exigence d’accumulation illimitée du capital, quels que soient les moyens de celle-ci. Il s’agit donc d’accroître le capital, d’abord par les moyens économiques, c’est-à-dire que le capital est perpétuellement réinjecté dans le circuit économique à seule fin d’en tirer du profit qui, s’ajoutant au capital précédent est lui-même réinvesti. C’est là le moteur même du capitalisme, sa dynamique, sa force de transformation et de « digestion », mais aussi son côté pervers, parasitaire. Il ne s’agit pas là en effet d’investir du capital pour produire des marchandises répondant à un besoin, il s’agit de faire du profit pour pouvoir faire encore plus de profit.
11.3.2.1 Un dilemme, faire du profit sans produire
Le capital se trouve là devant un dilemme. En effet, s’il n’y a pas de production de marchandise, et vente d’icelle (donc réponse à un besoin), il n’y a pas réalisation de la plus-value, donc pas de profit. Par ailleurs, du strict point de vue du capital financier, non seulement il ne s’agit pas de produire des marchandises répondant à un besoin, mais il ne faut surtout pas, dans cette logique d’accumulation, que le capital se traduise en marchandises. Le capital doit être détaché des formes matérielles pour pouvoir être investi là où il rapporte le plus, et le plus rapidement possible, ce capital doit donc être le plus mobile possible, mobilité grandement facilitée par l’utilisation et l’interconnexion des réseaux informatiques. C’est cette caractéristique du capital qui en permet l’accumulation sans fin. L’accumulation du capital est Y alpha et Y oméga du capitalisme, elle est le capitalisme lui-même. Pour que cela soit possible, il faut obtenir un consensus idéologique autour des différents credo du capitalisme, au fur et à mesure que ses besoins changent. Le capitalisme est à lui-même sa propre autojustification, il n’a d’autre programme, d’autre justification que lui-même, c’est-à-dire l’accumulation du capital. Tout le reste est discours idéologique, propagande, destinée à obtenir le consensus nécessaire à la bonne marche des affaires. Le discours porte sur la loi du profit maximal dans le temps minimal (enseigné d’ailleurs à cor et à cris dans toutes les — bonnes — universités et les écoles d’ingénieurs) qui est considéré comme naturel, la propriété privée des moyens de production et d’échange naturelle aussi, il va sans
dire. Il en va ainsi aujourd’hui de la brevétisation du vivant et de l’appropriation des savoirs qui sont présentés comme naturels aussi. Qu’on imagine un seul instant quel serait le retard de la biologie aujourd’hui si Pasteur avait pris des brevets sur ses découvertes.
11.3.3 - La schizophrénie du capital matériel
On en arrive à l’aberration de la « théorisation » des entreprises sans ouvriers, le capital étant présenté comme produisant lui-même de la valeur. En fait c’est le règne du capital financier dont le but est de dominer la fraction du capital investi dans la force de travail ainsi que dans les outils et moyens de production et de l’exploiter au maximum.
Le capital matériel, constant (ou fixe suivant les auteurs), se divise en deux grandes parties. D’une part le capital investi sous forme d’outils (au sens large) de production (les usines par exemple). D’autre part le capital financier qui cherche à régner sur l’autre et lui faire supporter les coûts inhérents à la mise en valeur du capital, tout en récupérant la valeur issue du travail. Du point de voie organisationnel, on en a l’illustration avec la sous-traitance qui consiste à faire produire par une entité extérieure certains éléments particuliers d’un tout dont l’essentiel reste produit par l’entreprise donneuse d’ordres elle-même. Depuis longtemps déjà, on est placé devant ce phénomène. La paît la plus féroce de l’exploitation se fait dans ces sociétés sous-traitantes qui sont souvent des PME ou PMI. Ainsi par exemple dans l’industrie automobile, la fabrication des accessoires ou de certaines pièces annexes est sous-traitée alors que l’essentiel du véhicule reste produit chez le constructeur en titre, lequel in fine assemble l’ensemble du véhicule. Là la classe ouvrière y est souvent mal, ou pas, organisée, les effectifs sont peu nombreux, les traditions de lutte inexistantes, les durées de vie des entreprises suffisamment courtes pour que n’apparaisse pas une culture de lutte dans l’entreprise (à ne pas confondre avec la « culture d’entreprise »).
11.3.3.1 - L’entreprise sans salarié
Cette logique, maintenant poussée à l’extrême, la voie ayant été tracée par la firme FIAT, conduit à des stratégies purement financières comme en témoigne le cas d’ALCATEL. Le mythe, le but ultime serait l’entreprise sans salarié, comme si le capital en lui-même s’auto-reproduisait, mythe récurrent s’il en est. Quand bien même cela serait, on se demande bien comment s’accomplirait le processus marchand. Pas de salarié, pas de salaire, pas de revenu, pas d’argent, pas d’achat, pas d’économie (du moins pas de capitalisme !). Lorsque qu’un PDG133 évoque l’entreprise sans usine, il pense production de biens palpables, il compte, par la sujétion financière, capter la valeur produite par les usines qu’il contrôle soit financièrement, soit par le jeu de la sous-traitance, sans avoir lui à en assurer la gestion. Ce PDG ne parle pas réellement d’entreprise sans salarié. Il se réserve l’activité de recherche et développement, activité à haute valeur ajoutée et qui lui assure, pense-t-il la main mise sur les usines de production par la maîtrise du processus de conception et de monopolisation des concepts, qui est le moyen de s’assurer un maximum de plus-value. Le travailleur collectif est scindé en deux parties, le PDG se réservant la tête pensante et créatrice d’une part, la puissance financière de l’autre.
On se trouve là avec deux formes d’appropriation de la valeur ajoutée par le capital. La première, c’est la forme bien connue d’exploitation directe de la force de travail humaine qui se traduit dans la pression permanente du capital pour accroître, à moyens constants, voire réduits, — baisse du taux de profit exige —, la production de telle sorte que cet accroissement se traduise par une augmentation de la plus-value extorquée au travailleur, donc par une augmentation des profits. Cela ne peut se faire que par augmentation de la productivité et de l’exploitation du travail vivant, tout en en réduisant la part globale, et en amétiorant son adéquation aux besoins immédiats du capital, d’où l’exigence de flexibilité.
La seconde forme d’appropriation de la valeur ajoutée se manifeste dans les rapports au sein du capital proprement dit. C’est la répartition de cette valeur ajoutée entre la fraction du capital qui va directement dans les circuits financiers et qui est donc, de fait, stérilisée pour la production de valeur, et celle qui est réinvestie dans la production. Dans les deux cas la valeur ajoutée a été produite par les travailleurs. Dans le deuxième cas, c’est la tension due à la répartition du profit entre capital financier et disons « capital de production » qui est déterminante. Il y a là à la fois contradiction et unité. Contradiction car le capital financier domine la partie « capital de production » et lui fait supporter le coût de la gestion de la force de travail et des moyens et outils de production. Unité car dans les deux cas c’est Le capital qui ne peut exister que par l’exploitation de la force de travail, et ce sont souvent les mêmes actionnaires qui placent leur capital dans une sphère et une autre.
11.3.4 - Renforcement du caractère abstrait du capital
Avec l’apparition de l’informatique, et plus précisément de ce qu’on appelle la e-économie, le caractère abstrait du capital est encore exacerbé ainsi que sa capacité à circuler de plus en plus vite. C’est dans cette circulation du capital que se forme le profit, virtuel s’il ne passe pas à un moment ou un autre par l’intermédiaire de la production, donc de l’exploitation de la force de travail, quoi qu’on en dise. Le risque de ce schéma, c’est la déconnexion totale entre la valeur réellement produite et le capital circulant, ce qu’on a baptisé du terme de « bulle financière ». La sphère du capital a tendance à se confondre avec la sphère financière qui elle-même ne manipule plus alors que des abstractions.
11.3.4.1 - Le Roi est nu
Les milliards de dollars de Bill Gates ou d’Elon Musk n’ont pas de traduction matérielle sùicto sensu. Les milliards abstraits en question n’ont que la valeur qu’un consensus idéologique veut bien leur donner. Ou plus exactement c’est la situation de monopole de Microsoft qui entraîne la situation dans laquelle nous sommes et qui fait que le prix des logiciels n’a pratiquement rien à voir avec leur valeur réelle exprimée en temps de travail social. La tendance à la « dématérialisation » de l’économie capitaliste oblige le capital à une perpétuelle recherche de ce consensus et de ces situations de monopole sans lequel il est des plus fragile, voire condamné. Que le « bon peuple » se rende compte que Le Roi est Nu et c’en est rapidement fini. Ce caractère abstrait et souvent déconnecté de la réalité de la valeur est caricaturalement illustré par la Bourse. Un événement peut faire qu’une entreprise de production de biens matériels qui « valait » cent à l’ouverture de la bourse ne vaille plus que cinquante, ou au contraire deux cents une heure plus tard sans que rien dans les conditions matérielles, sur le terrain, de l’entreprise ait changé. La fluctuation en question ne représente pas la valeur réelle de l’entreprise, mais, à un instant donné les potentialités, subjectivement estimées, en fonction d’une certaine image du marché, de profit qu’elle recèle.
11.3.4.2 - Logique perverse
Du reste, le côté pervers de cette circulation accélérée et de l’abstraction afférente du capital perturbe le fonctionnement du capitalisme « manufacturier », même s’il semble conférer un certain dynamisme au capitalisme lui-même dans son ensemble. Que les fonds de pension US se déplacent en quelques secondes d’une place financière à une autre, ou que le gourou G. Soros parle, et c’est tout un pan d’une économie, bien matérielle celle-là qui en peut être affecté, avec des milliers de travailleurs jetés à la rue, sans que pour autant la production matérielle ait été la cause de ce déplacement. Il suffit que les cours de la bourse aient changé de quelques dixièmes, ou qu’il y ait l’ombre de l’esquisse d’une menace de crise à tel ou tel endroit de la planète.
11.3.4.3 - Aller beaucoup plus loin
La façon de poser les problèmes de transformation de la société par le rapport de la CIA au président des USA pêche fondamentalement par l’aspect parcellaire et purement technique des dites transformations. Les domaines considérés comme stratégiques sont examinés, mais stratégiques pour qui et pour quoi ? Pour la pérennisation du système capitaliste bien sûr. Or, les transformations à l’œuvre, les potentialités qu’elles ouvrent appellent à aller beaucoup plus loin. Ainsi pour en revenir au système éducatif, on ne peut concevoir une massification radicale de l’enseignement, enseignement général obligatoire jusqu’à 16 ans, 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, demain trois millions d’étudiants, par une simple extrapolation de ce qui
existe, même en y mettant les moyens financiers per capita . Toute réforme dans ce sens est vouée à l’échec. Une telle réforme de l’enseignement ne peut se faire que dans un cadre global de réorganisation de la société dans son ensemble. Ce qui vaut ici pour l’enseignement vaut pratiquement pour chacun des points soulevés par ledit rapport. En fait la seule chose qui n’est pas évoquée, et qui est centrale, c’est précisément la possibilité matérielle, et la nécessité absolue de réorganisation globale de la société.
C’est précisément cette société nouvelle qui est en gestation et dont l’émergence de la recherche, de la science, dans le processus économique d’abord, dans son appropriation sociale ensuite a jeté les prémisses. Dès 1900, le mathématicien allemand Hilbert et le Français Poincaré ont attiré l’attention sur le rôle de la recherche fondamentale dans le développement des sociétés. Rappelons que c’est de la résolution de l’une des vingt-trois conjectures de Hilbert énoncée au congrès de Paris en 1900 qu’est née la science informatique. L’Allemagne a compris l’enjeu avant la France. Lors de la première guerre mondiale, l’Allemagne n a pas envoyé au front ses élites scientifiques, au contraire de la France qui les a envoyées se faire massacrer au nom de l’égalité. C’est entre les deux guerres mondiales que la profession de chercheur est apparue en France. Même s’il y eut auparavant reconnaissance du rôle de la science dans le développement des sociétés, en témoigne la création par Colbert de l’Académie des Sciences en France, il faut attendre le vingtième siècle pour que le métier de chercheur soit reconnu en tant que tel. En 1911, le premier grand organisme national de recherche, l’institut Kaiser Wilhelm (devenu, après 134 1945, l’institut Max Planck) est créé en Allemagne. En France, après la création, en 1922, d’un Office national des recherches scientifiques et techniques, l’événement décisif fut la fondation, en 1939, du Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.), issu des réformes du gouvernement de Front populaire avec, pour la première fois, un sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique, Jean Perrin. Chercheur est aujourd’hui un métier et une profession à part entière, jouant un rôle déterminant, et croissant, dans la pérennisation des nations et des entreprises. Nous ne sommes qu’aux balbutiements de cette Cyber-révolution scientifique et technologique. Pour reprendre, dans un sens un peu sollicité une expression qui eut son heure de gloire, on peut dire de la science qu’elle devient une force productive directe. Directe en ce sens qu’elle est aujourd’hui le moteur du développement des sociétés et reconnue comme telle. Fe théorème de Fermât n’était, lors de son énoncé en 1637 qu’une curiosité mathématique appréciable au mieux par moins d’une dizaine de personnes en France, une vingtaine tout au plus dans le monde. Il est aujourd’hui au cœur même des transactions financières sur Internet, et la compression des images numériques serait bien pauvre sans les derniers développements de la tiiéorie des ondelettes. Et sans la topologie des espaces fibrés, pas de rein artificiel.
Fa vitesse à laquelle un vaccin contre le corona virus a été mis au point est due précisément au haut niveau du développement scientifique, ce qui a contrario explique aussi pourquoi la France n’a pas été un acteur majeur de cette production d’un vaccin. Fa politique de démantèlement du tissu industriel français et la misère
de la recherche française par' une vision quasi exclusivement financière135 ont créé cette situation scandaleuse !
11.4.1 - L’informatique au cœur
L’informatique est au cœur de la dynamique des forces productives aujourd’hui. Elle est l’élément structurant des décennies à venir. Elle n’est vraisemblablement pas la seule nouvelle force productive matérielle. D’autres vont faire (sont en train de faire) irruption dans la sphère sociale, comme la génétique, la nano-électronique, la biochimie, la bionique, etc. appelées elles aussi à bouleverser de fond en comble mode de vie et organisation sociale. Toutefois l’informatique par son caractère transversal investit tous les domaines de l’activité humaine et est l’outil privilégié de ces nouvelles forces productives matérielles émergentes ou en gestation. Elle est au XXIe siècle ce qu’a été la machine à vapeur pour le dix-neuvième siècle. Des changements dans la façon de produire, dans les rapports de production sont en cours et vont se développer de façon plus impétueuse encore, il couvieut d’essayer d’en saisir la dynamique sous peine de tenir un discours rapidement obsolète, passéiste et misérabiliste.
11.4.2 - Pour une prospective marxiste
Il ne faut pas confondre prospective et prévision (voir [Lavallée Léon, 1969]). La prospective scientifique consiste à essayer de mettre en évidence les lois, les lignes de forces, les possibles, du futur, ce qui travaille en profondeur une société. La prospective ne permet pas de savoir ce que sera exactement l’avenir, ce n’est pas
une boule de cristal, elle est une tentative d’approche scientifique du futur, elle est probablement approximativement correcte.
Toute critique de la situation actuelle devrait comporter une part prospective sur le nécessaire et le possible dans la dynamique scientifique et technique actuelle. C’est là jouer son rôle de révolutionnaire, déterminer ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Il y a à l’heure actuelle un déficit d’analyse criant de la paît des mouvements révolutionnaires à ce propos. Il s’agit là sans aucun doute d’une des raisons majeures du désarroi qui s’est emparé de nombre de militants et de dirigeants révolutionnaires. Ce n’est qu’en faisant ce travail de prospective, difficile, qu’on peut espérer ouvrir une nouvelle perspective révolutionnaire débouchant sur un réel projet de société.
Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives. En acquérant de nouvelles forces productives les hommes changent leur mode de production, et en changeant de mode de production, la manière de gagner leur vie. Ils changent tous leurs rapports sociaux. Comme l’exprime Marx dans la Préface à la critique de l’économie politique « Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain, le moulin à vapeur la société avec le capitalisme industriel ».
11.4.3 - Que donnera l’informatique ?
Quel type de production annonce la Cyber Révolution, quels types de produits, que va-t-on produire ? Qui va produire, quoi et comment ?
Au plan scientifique et technique, le XX' siècle aura connu des avancées majeures qui ont déjà modifié en profondeur, sans parfois qu’on en mesure toute l’étendue, notre organisation sociale.
En ce second millénaire, l’humanité retient son souffle, elle accumule les avancées et découvertes qui vont, très au-delà de rinformatique, mais aussi grâce à ses développements, et des TIC, bouleverser la société, qu’il s’agisse de la génétique, de la bionique... C’est dans le domaine social que la traduction doit s’opérer.
La puissance des outils informatiques permet d’avoir des simulations précise et fiables de l’environnement, ce sera un outil précieux136 dans la lutte contre le dérèglement environnemental et des températures.
11.4.4 - Une démocratie réelle
Par exemple, le développement impétueux des forces productives matérielles dans la deuxième moitié du vingtième siècle a entraîné un accroissement sans précédent de la productivité du travail. Cet accroissement autorise une réduction drastique du temps de travail aliéné et donc simultanément une libération importante de temps et de forces pour le citoyen qui peut ainsi, s’il le désire et en ressent la nécessité, s’investir dans la vie de la Cité. Il s’agit d’un potentiel de renforcement de la démocratie. La nature de cette démocratie, son contenu, devient une des questions clés du siècle. Au-delà de la démagogie des discours actuels sur le mot lui-même, et dont les événements ayant accompagné le G8 à Gênes ou la violente répression des manifestations des « gilets jaunes » en Lrance montrent en quelle estime la tiennent les capitalistes lorsqu’on se met en travers de leur chemin, c’est du contenu de cette démocratie en liaison avec le développement des forces productives que dépend en grande partie l’avenir de l’humanité. Les questions du développement
solidaire et pérenne de l’humanité, écologie, épuisement des ressources fossiles, démographie, eugénisme, sources d’énergie se posent avec force et entrent en contradiction avec le mode de production capitaliste.
L’enjeu est précisément là, ce développement des forces productives, la désaliénation que cela autorise par la libération de la force de travail humaine seront-ils récupérés par le capitalisme, instrumentalisés pour accroître encore l’accumulation, faire du profit, aliéner encore plus ; ou les hommes vont-ils pouvoir s’en emparer pour passer à un autre mode de production et d’échange en harmonie avec leur environnement, la nature, confortant notre communauté de destin ? Le développement des forces productives est nécessaire par les moyens de désaliénation et d’action qu’il confère. Il n’est pas suffisant, c’est dans la sphère idéologique que se mène le combat de la prise de conscience.
11.4.5 - La prise de conscience
Se pose alors la question du tribunal de l’Histoire cher à K. Marx, c’est-à-dire de la prise de conscience par les hommes du hiatus entre développement des forces productives, superstructures économico-sociales et intérêts de la collectivité, des citoyens et des individus, ainsi que de l'articulation afférente. L’enjeu est celui du contenu de l’éducation et de l’enseignement, des structures idéologiques. En effet, la dynamique des forces productives ouvre un ensemble de possibles, mais ce sont les hommes qui opèrent les transformations. Les superstructures idéologiques et culturelles sont déterminantes dans le processus de prise de conscience.
Les nouveaux chiens de garde. La sujétion absolue et l’enrôlement, de facto ou de jure de la plupart des médias et de nombre d’intellectuels, la volonté de « libéralisation » du système d’enseignement, la mainmise totale du capital sur tout ce qui concerne la connaissance, l’information, la formation, l’élaboration conceptuelle, trace la ligne de front actuelle du combat idéologique. C’est aussi la manifestation de la nécessité absolue dans laquelle se trouve le capital, d’obtenir le consensus idéologique pour pérenniser son système. Sans ce consensus, le système ne fonctionne pas. Il est nécessaire à tous les stades du développement du capitalisme et y revêt des formes diverses, contradictoires souvent d’une époque à l’autre, voire dans la même époque. Le capitalisme peut célébrer en même temps la civilisation des loisirs et expliquer qu’il faudra travailler plus longtemps pour avoir droit à une retraite alors que, dans le même mouvement, on met d’office à la retraite anticipée des dizaines de milliers de travailleurs. Le capitalisme n’en est pas à une contradiction idéologique près. L’essentiel pour lui c’est que l’accumulation continue, il enrôle pour « faire passer la pilule » d’une part auprès de tous ceux qu’il a aveuglés, d’autre part auprès de ceux qu’il a achetés. Cela n’est pas contradictoire avec une certaine « liberté de pensée ». Le capital peut admettre que 5 % des individus aient accès à des sources d’information « libres », ce n’est pas dangereux tant que ledit capital peut imposer son idéologie aux 95 % restants. C’est même un gage de « démocratie ». Il en va de même pour le discours sur « les droits de l’homme » qui est à sens unique et permet de justifier le droit néocolonial d’ingérence humanitaire, permettant de remettre de l’ordre dans le jardin impérialiste, comme en Yougoslavie ou en Lybie11. À côté de cela le Tiers Monde peut bien crever. 137
11.4.6 - Le rôle essentiel du débat intellectuel
Le débat intellectuel (qui ne dépend pas des seuls intellectuels patentés) joue ici un rôle majeur, il doit permettre la nécessaire prise de conscience et l’élaboration des voies pour dépasser le capitalisme. Le capital a une stratégie face à cela et enrôle lui-même des intellectuels dans ce combat, voire les achète si nécessaire. De toute façon ne peut être considéré comme intellectuel par 1 intelligentsia installée que quiconque est passé à la télévision, c est-à-dire a été intronisé comme tel par les faiseurs d’opinion politiquement corrects. De plus, l’utilisation qui est faite de la technologie elle-même contribue à cette domination. Le temps des TIC est celui de l’image, de l’immédiat, du superficiel, pas celui de la réflexion ni de l’analyse. Une image chasse l’autre et qui contrôle un média en contrôle aussi le contenu. La lutte des puissances financières pour le contrôle des journaux et des autres moyens d’information en témoigne. Ainsi, on manipule l’opinion à coups de télévision. En 1990, alors que 75 % des Français étaient opposés à la guerre en Irak à ses débuts, la campagne médiatique a fait que quelque temps après, 70 % étaient pour. Parfois les ficelles sont un peu grosses et la mémoire finit par fonctionner. Le peuple français fut plus réservé sur l’intervention en Yougoslavie.
TROISIEME PARTIE
L'homme est une corde tendue entre l’animal et le surhumain
-une corde par-dessus un abîme (...).
Ainsi parlait Zarathoustra
Friedrich Wilhelm Nietzsche
Dans l’entre-deux guerres mondiales du XX' siècle, naît dans le mouvement communiste, une Üiéorie « décadentiste » qui prend deux aspects. D un côté, 1 rotsky proclame dans le préambule du programme de transition qui sert de référence théorique à la « quatrième internationale » en 1938 :
Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle, les forces productives de l’humanité ont cessé de croître, de forces productives qu’elles étaient, elles sont devenues des forces destructrices, les prémices de la révolution mondiale prolétarienne sont réunies. [Trotsky, 1968]
Dans le même temps, Kondratiev était désavoué et mis à l’écart en URSS pour avoir énoncé sa théorie des cycles longs qui prévoyait un retour du capitalisme à une forte croissance des forces productiv es alors que le discours officiel était à l’effondrement du capitalisme englué dans une crise irréversible. L’hypothèse d’un « frein irréversible » des forces productives, autre volet de cette « théorie » décadentiste, n’est que la traduction, qui se veut théorique, d’une impression générale léguée par la période qui marque l’entre-deux guerres où l’accumulation capitaliste a, de manière conjoncturelle, du mal à redémarrer, mais à aucun moment, ni Trotsky ni quiconque ne voit poindre la rupture épistémologique et conceptuelle qu’est la Machine de Turing universelle, il est beaucoup trop tôt.
Les causes en sont multiples, la révolution bolchévique et les tentatives révolutionnaires d’Europe y jouent sans aucun doute un rôle majeur et la seconde guerre mondiale viendra y mettre bon ordre. La destruction massive de capital accumulé, la mise au pas impérialiste des forces révolutionnaires de l’Europe occidentale (Grèce, Espagne), la victoire à la Pyrrhus de l’I RSS dévastée et dépeuplée138, l’élan donné par la compétition dans la guerre froide (new de al) apportaient le souffle nécessaire au redémarrage de l’industrie du capital.
Ce XXIe siècle est lui aussi marqué par une crise du développement des forces productives du capitalisme, mais dans un contexte radicalement différent.
La thèse essentielle de Marx en ce qui concerne le concept de dépassement ne se base pas sur des présupposés moraux. Comme toujours il s’agit de partir des forces productives, de la production matérielle. Qu’est-ce qui fait que le capitalisme étant établi, il n’y a pas de retour possible à l’ancien régime, et par conséquent dépassement111' ? C’est que le capitalisme a développé des forces productives qui ne peuvent se mouvoir, se développer pleinement, dans le cadre de la société monarchique. Est ainsi posé le problème du communisme, du dépassement du capitalisme. Existe-t-il, ou émerge-t-il des forces productives qui ne peuvent se développer dans le cadre de la société capitaliste ? Le problème est peut-être un peu plus complexe. Marx a analysé la dynamique interne du système capitaliste, la contradiction, majeure, entre développement des forces productives et des rapports de production, la contradiction aussi propre à l’accumulation capitaliste entre travail mort et travail vivant, générant la baisse tendancielle du taux de profit, mais aussi la destruction de l’environnement. La question aujourd’hui se pose sous un jour nouveau et prend des aspects qui n’étaient, pour certains, guère prévisibles au temps de Marx ni pendant la première moitié du XX' siècle. Se pose avec force aujourd’hui la dialectique existante entre production de richesses et épuisement de ressources sommes toutes limitées. C’est donc la question du comment le capital, oriente, utilise, le développement des forces productives matérielles ?
Cette question aujourd’hui se pose désormais de façon prégnante. Le développement capitaliste impétueux des forces productives de l’humanité pose maintenant la question de sa nature, son moteur interne, de son orientation, pour qui et pour quoi, et de ses limites, jusqu’où et à quel prix pour l’humanité ? 139
Une évidence grandit : les ressources que les hommes peuvent mobiliser pour le développement ne sont pas infimes. Les contraintes démographiques aiguisent d’autant les enjeux de l’efficacité économique. Il y a deux façons antagoniques de poser ce problème, soit pour l’intérêt de l’humanité prise dans son ensemble, soit pour l’intérêt d’une classe de privilégiés. Mais dans ce second cas, le problème pour ladite classe, c’est qu’elle fait partie de façon solidaire, indépendamment qu’elle en ait conscience, de l’humanité. Qu’on le veuille ou non, il y a une communauté de destin !
Le capitalisme a assis fondamentalement son emprise mondiale sur sa capacité à mobiliser les forces productives produites par l’activité humaine tout en aliénant la force productive nature. C’est grâce à cela qu’il a assis sa domination militaire et politique. Cette dynamique économique historique qui a fait la force du capital est aujourd’hui confrontée à 2 interrogations majeures au moins :
— le Capital a organisé le développement des forces productives autour de l’exploitation sauvage, anarchique, des ressources naturelles. Elles apparaissent aujourd’hui limitées. C’est là la force productive que le capital ne peut maitriser au bénéfice de l’humanité, ni même à terme à son bénéfice propre. Le problème posé aujourd’hui est, nous ne le répéterons jamais assez, de gérer la force productive nature pour le bénéfice de l’humanité sous peine de régression majeure, voire de disparition. Les ressources naturelles formant, de facto, une force productive fondamentale, on entre maintenant dans une logique de destruction de celle-ci, d’une part par épuisement de certaines ressources, d’autre part par
pollutions en tous genre, la pollution des océans en étant une des manifestations les plus risibles, mais loin d’être la seule140 ;
— il a développé le niveau des qualifications pour gérer le progrès technologique. Cela crée une tension inédite entre ceux qui décident et veulent continuer à décider au nom de la propriété privée et du profit et ceux qui maîtrisent les problématiques du développement : la lutte des chercheurs en France est emblématique de cette contradiction, de même que celle des ITC (Ingénieurs Techniciens, Cadres) (lire à ce propos [Bolzinger et Koüicki, 2012] déjà cité).
Innovation, progrès technique, environnement, croissance sont au cœur de la bataille économique, des débats idéologiques, des enjeux géopolitiques.
De ce point de vue, la question du dépassement est posée. À la question de savoir s’il existe des forces productives émergentes ou en devenir dont le développement n’est pas compatible avec le mode de production capitaliste, la réponse comporte trois volets au moins :
— le niveau de développement actuel des forces productives atteint un niveau tel, la maîtrise des hommes sur la nature est telle, que des petits groupes d’individus, voire des individus peuvent mettre en cause la vie de populations entières et peut-être de l'humanité elle-même, rendant ainsi obsolète et dangereux le système de la propriété privée des moyens d’action sur la nature, c’est-à-dire les moyens de production, les forces productives matérielles ;
— les problèmes posés à l’humanité permettent de moins en moins des réponses « locales », les problèmes prennent de plus en plus d’ampleur et nécessitent des réponses et des anticipations, spatiales à l’échelle planétaire, voire plus, temporelles à l’échelle de centaines de générations, tel le problème de l’épuisement des ressources et de la biodiversité ou le réchauffement anthropique et ses conséquences ;
— les problèmes auxquels l’humanité est confrontée nécessitent des réponses à l’échelle d’icelle et entrent en contradiction avec la propriété privée des moyens permettant ces réponses. Ainsi en est-il des brevets sur les vaccins et plus généralement sur les médicaments, voire plus globalement, il faut remettre en cause la notion même de brevet !
Dans ce contexte, c’est l’activité scientifique sous toutes ses formes qui devient la force productive matérielle essentielle.
Innover c’est apporter du nouveau dans de l’existant. Inventer c’est créer du nouveau. Rechercher c’est partir à la découverte des lois qui régissent les phénomènes. Le terme innovation n’a pas de définition précise, il dépend du point de vue dont on se place. Pour le capital c’est le moyen d’augmenter les profits !
Du point de vue des utilisateurs la différence entre invention et innovation n’est pas toujours évidente. Ainsi par rapport au carburateur, l’injection électronique est vue par l’automobiliste comme une innovation. Pour lui la véritable invention c’est le moteur. Mais pour le motoriste, il s’agit d’une invention.
Lorsque le capitalisme investit dans l’innovation, il n’investit pas dans la nouveauté technologique. Il entend pousser jusqu’au bout les technologies existantes. Il rentabilise ses investissements au
maximum. C’est un capitalisme qui s’éloigne de la recherche, notamment la plus fondamentale.
La volonté et le discours actuels du patronat sur sa volonté d’insérer des chercheurs dans les entreprises marque donc une stratégie de captation des individus porteurs des savoirs les plus pointus pour pousser jusqu’au bout les potentialités des avancées scientifiques.
Pour ce qui est de la recherche publique elle se voit réduite à n’être que le terreau à partir duquel peut se faire l’innovation, laquelle n’a in fine pour rôle que de lutter contre la baisse du taux de profit.
On assiste là à la difficulté pour des entreprises à investir les champs technologiques nouveaux. Pourquoi en sont-elles là ? Le discours dominant est qu’il s’agit de mettre en valeur tout ce que la recherche fondamentale ou appliquée a déjà produit.
12.2.1 - Développement et croissance
Essayons d’identifier ce que sont les ressorts de ce qu’il convient d’appeler le développement économique.
La vulgate veut que le progrès technique soit facteur de croissance. Dire cela sans recul évite de se poser la question de la nature de la croissance, croissance de quoi ? Pour qui ? A quel prix ? Croissance est-il nécessairement synonyme de développement ? Qui définit ce qui est croissance et ce qui ne l’est pas ?
Le progrès technique c’est tout ce qui concourt à l’augmentation de la productivité de la force de travail humaine. En théorie économique, on le mesure par le quotient entre production et somme des facteurs de production.
Mais qu’est-ce qui génère le progrès technique ? Pour les économistes modernes, c’est l’innovation.
12.2.2 - L’innovation
Allons un peu plus au fond des choses. Pour qu’il y ait innovation, il faut qu’il y ait invention. En effet, on aurait pu investir tout ce qu’on voulait sur la technologie de la bougie, ce n’est pas ce qui aurait permis de découvrir l’électricité. La recherche précède l’innovation. L’invention elle-même ne peut en général exister que s’il y a recherche. L’innovation n’est jamais que l’exploitation d’inventions dans le processus de production, c’est-à-dire in fine l’exploitation de la recherche. C’est ce qu’entend Marx en termes de tendance lorsqu’il évoque la science force productive directe141. On peut ajouter ici que plus on avance dans la maîtrise des forces productives, plus l’innovation est liée au tissu de la recherche.
Si le schéma classique est :
Recherche fondamentale => Recherche appliquée => Invention => Innovation => Production,
Les tenues intermédiaires ont tendance à perdre de leur pertinence. La différenciation entre recherche fondamentale et recherche appliquée ne porte que sur le retour sur investissement, lequel serait prévisible pour la recherche appliquée, mais ne le serait pas pour la recherche fondamentale. Cette différenciation, propre au mode de production capitaliste, devient de plus en plus artificielle, les problèmes à résoudre faisant de plus en plus appel à des connaissances fondamentales, et la recherche fondamentale étant susceptible de déboucher très rapidement sur des applications. Ainsi en est-il par exemple de la démonstration du grand théorème de Fermât142 qui a pris 357 ans et dont les applications (issues de la démonstration, mais pas du théorème lui-même) en cryptographie sont déjà passées dans la production. Entre l’apparition de la machine à vapeur et celle des centrales nucléaires, un renversement s’est produit. La machine à vapeur a suscité et précédé la Üréorie thermodynamique, la physique atomique a précédé l’apparition des centrales nucléaires. C’est la science la plus fondamentale, celle des composants ultimes de la matière qui s’est trouvée être la force productive matérielle essentielle. Il en a été de même pour l’informatique née d’une avancée théorique majeure en logique. Il en sera de même pour la maîtrise éventuelle de la fusion thermonucléaire.
On peut distinguer plusieurs types d’innovation :
i
— création d’un nouveau produit ;
— création d’un nouveau procédé ;
— nouvelle organisation ;
— nouvelle matière première ;
— nouvelle source d’énergie.
Il n’y a évidemment pas indépendance entre ces types. Ainsi, par exemple, sans électricité, pas de téléphone, sans téléphone, pas de réseau, sans semi-conducteur, pas d’ordinateur, sans ordinateur ni téléphone, pas d’intemet, et sans internet (ni théorie de la complexité) pas de commerce électronique. On pourrait multiplier les exemples.
Ainsi, peut-on illustrer les grands cycles qui ont marqué le mode de production capitaliste depuis son apparition :
— 1780-1850 Machine à vapeur ;
— 1840-1900 chemin de fer ;
— 1900-1940 électricité ;
— 1920-1970 Taylorisme ; pétrole, automobile, télévision ;
— 1970-... Informatique, télécommunications.
— 2030... Bionique, nano-électronique ?
Certains économistes expliquent ainsi les cycles longs de Kondratiev.
Mobilisation générale. En cohérence avec ce qui précède on retiendra la recherche comme base du progrès technique. Mais qui dit recherche dit aujourd’hui formation et enseignement, car si on peut fabriquer automatiquement des voitures, ce sont les hommes qui font la recherche, et donc déployer une recherche efficace nécessite une formation et un enseignement qui le soient aussi.
Développement de la connaissance, donc aussi développement de la communication scientifique. Plus encore, face aux défis actuels, il faut décréter la mobilisation générale pour la recherche, ce doit devenir un enjeu majeur de société pour assurer la pérennité de l’humanité, une façon d’être, ce qui suppose bien sûr une diffusion sans limite de tous les résultats de la recherche et de l’innovation, sans exclusive, c’est-à-dire aussi la disparition du brevet et du secret industriel.
12.2.3 - Innovation et croissance pour qui, pourquoi ?
En système capitaliste, l’innovation est, en aval, de la recherche, un enjeu stratégique des affrontements des multinationales pour la conquête des marchés : la recherche de plus-value extra, fondée sur une domination technologique temporaire par un groupe. Cette course à l’innovation entraîne à son tour l’élévation de la composition organique du capital à l’échelle mondiale, et la baisse tendancielle du taux de profit moyen. Laquelle rend le recours à l’innovation, à son tour, de plus en plus indispensable.
Mais quel rôle joue dans cette dialectique la fïnanciarisation croissante de l’économie ? Elle est à la fois, en système capitaliste, le moteur de la course à l’abîme technologique et dans le même temps, elle tente de lutter contre la baisse du taux de profit moyen par des opérations spéculatives. Le besoin d’une analyse fine de cette dialectique est crucial.
Un autre élément ; la course à l’innovation permet-elle aux humains de mieux maîtriser leur destin ? La course à l’innovation, avec en amont le développement sans cesse plus rapide des progrès des connaissances, est un trait du mode de production capitaliste. Dans les expériences socialistes du XXe siècle, la science et la technologie étaient très développées, le développement des connaissances aussi, mais le passage dans la vie courante (et parfois dans la production elle-même, cf. la production d’acier) s’opérait différemment, les raisons en étaient diverses, la course aux armements, la mobilisation de forces économiques et humaines mobilisées par la nécessité de maintenir la parité militaire avec les puissances impérialistes a sans doute pesé très lourd, mais il conviendrait tout de même d’analyser plus profondément le phénomène. Dans une économie où des secteurs industriels publics, joueraient un i'ôle dominant dans la production, quelle serait la place, l’importance, des activités de recherche ? On comprend bien que pour tel ou tel secteur du capital, en économie capitaliste, multiplier par mille, la vitesse de lecture des informations stockées sur disque dur, ou la capacité de stockage de mémoire de ces disques est un enjeu majeur, qui permettrait de contrôler temporairement les concurrents. On comprend bien aussi que de tels progrès pourront résoudre des problèmes de production de façon nouvelle, satisfaire des besoins encore non satisfaits. Cela créera aussi d’autres besoins, qu’on ne peut imaginer avant que ces innovations produisent leurs effets dans la société. Mais une société socialiste développerait-elle les recherches pour ces facteurs mille, avec la frénésie que l’on constate aujourd’hui ? Et si d’autres recherches étaient préférées qui prennent en compte piioritairement des objectifs de libération humaine, comment apprécier la différence de rythme et d’orientation des progrès technologiques que l’on constaterait par rapport à la société capitaliste ?
Une autre question doit d’être immédiatement posée. Comment alors s’expriment les besoins sociaux en matière d’innovation, faut-il inventer des machines à laver le linge ou installer des laveries et avoir un service social d’entretien des logements ou fabriquer des aspirateurs pour les ménages ; les deux ? Faut-il développer encore et encore l’automobile ou développer autant que faire se peut les transports en commun et réfléchir à un autre mode de déplacement individuel ?
Comment et par qui s’opèrent alors les choix ?
C’est le problème de la démocratie, la vraie, qui est posé derrière cette question. Cela ne se réduit pas au vote avec ou sans pluralisme, mais la question est : comment s’expriment les besoins
sociaux, éventuellement contradictoires, et comment sont-ils pris en compte, qui tranche et comment ?
Autrement dit, une politique démocratique révolutionnaire, en matière de recherche, ne devrait-elle pas, par rapport aux bouleversements technologiques actuels, opérer une réorientation de l’innovation technologique dans des secteurs entiers de la production, pour consacrer des efforts plus importants, dans d’autres secteurs, à l’élimination de facteurs d’aliénation ou de mutilation humaine ?
Ces questions, formulées ici de manière insatisfaisante, mériteraient une analyse théorique plus fine.
Peut-être la formulation d’une politique révolutionnaire en matière de recherche devrait-elle être axée davantage sur l’élimination des facteurs de mutilation des personnalités humaines que sur la notion trop floue de « progrès social économique et culturel » ? Car la multiplication par mille de la capacité des ordinateurs est sans conteste un progrès technologique dû à un progrès de connaissances (aspect culturel indiscutable), très certainement un progrès économique (développement des forces productives). Mais représentera-t-elle globalement un progrès pour l’humanité ? Ce type de questionnement permet de reposer le problème de la définition de termes comme croissance et développement.
Wir müssen wisscn. Wir werden wisscn !143
Comme précédemment souligné, c’est en termes de système technique qu’il nous faut raisonner et non seulement sur une seule technologie, aussi innovante soit-elle. C’est l’inter-relation entre cette nouvelle technologie, les technologies traditionnelles, celles qui émergent ou vont émerger, qui dessine les possibles d’une société future. Sans aller aussi loin, nous allons essayer ici de pointer les évolutions susceptibles de bouleverser notre vision du monde, l’agencement de notre vie même et d’engager celles de nos descendants. Pour ce faire, nous allons nous intéresser à trois grands domaines susceptibles selon nous, d’influer de façon décisive sur l’évolution de la société humaine. Il s’agit de la modélisation-simulation (ce qu’on appelle malheureusement aussi Intelligence artificiellè) et de sa puissance, de la maîtrise du vivant, et de l’écologie.
Nous avons traité précédemment de l’émergence de rinformatique comme science, de sa déclinaison en technologie, puis de son impact comme outil dans la production. Elle est aussi outil scientifique. La lunette astronomique et le microscope ont permis d’avoir accès à des mondes jusqu’alors inconnus. De même l'informatique permet-elle de repousser les frontières de la connaissance, à la fois par l’élaboration et la fondation de certains concepts telles la complexité, la calculabilité, la programmabilité, l’apprentissage automatique, et comme fournissant des moyens de calcul et de simulation de grande puissance. En ce sens, l’utilisation de l’ordinateur est aux autres sciences un outil aujourd’hui majeur, et l’informatique fondamentale acquiert un statut central comme celui des mathématiques pour la physique théorique.
La place prise par la modélisation dans notre façon d’appréhender le monde tient à deux choses :
— la complexité des phénomènes observés d’une part ;
— l’existence de l’outil autorisant les simulations d’autre part.
Ce qui fait la force de l’informatique c’est sa capacité à simuler quasiment tous les phénomènes. Dès qu’un modèle matiiématique représentatif est établi, il est programmable et ressortit au domaine de l’informatique.
Ainsi, dès lors qu’on a un bon modèle de l’écoulement des fluides, on n’a plus besoin des souffleries pour profiler une aile ou une carlingue d’avion, ou une carrosserie de voiture. Comme les concepts mis enjeu sont d’ordre général, le même modèle permet de simuler le mouvement de la mer dans la baie du mont St Michel, ou les mouvements de l’atmosphère, ce qui le rend opérationnel pour la météorologie. Des carrosseries de voitures à la prévision du temps, ce sont les mêmes outils conceptuels qui peuvent servir. Le jeu dialectique ici veut que les outils mathématiques traditionnels aient dû être revisités à l’aune de la révolution numérique pour permettre des simulations quantitatives, les mathématiques du continu n’étant pas pertinentes pour la modélisation informatique.
Moins prisé des mathématiciens français, le domaine des mathématiques dites discrètes fournit des outils extrêmement puissants comme la théorie des graphes, les hypergraphcs, matroïdes et autre pré topologie qui permet de faire le lien entre discret et continu151.
Plus récemment, rutilisation des concepts probabilistes pour résoudre de grands problèmes en optimisant les temps de calcul laisse augurer de grandes avancées dans des domaines considérés comme très complexes et nécessitant des puissances de calcul à jamais inaccessibles pour une solution déterministe exacte.
Un très grand nombre de domaines de l’activité humaine sont susceptibles de modélisation et de simulation. Du simulateur de vol pour apprendre à piloter des avions à la simulation d’une explosion thermonucléaire en passant par celle de la circulation routière ou des flux sanguins. En particulier, les deux domaines que nous allons évoquer maintenant ne pourraient se développer sans cet outil extrêmement puissant.
13.2 La maîtrise du vivant
La nouvelle teira incognito, c’est la vie et la conscience de vivre. Les conquêtes en cours de l’esprit humain, la nouvelle terre à découvrir, c’est le mystère de la rie sous toutes ses formes, végétale, animale puis humaine. 144
13.2.1 La vie artificielle
La conquête spatiale, celle de l’infiniment petit, la découverte de l’ADN et des gènes ont posé en termes renouvelés le problème de la définition de la vie et de sa production ex nihilo145. Le défi est lancé, il est relevé en partie et le temps n’est pas très éloigné où nous côtoierons des robots auto-reproducteurs. On sait déjà le faire de manière virtuelle, les virus qui infectent et infestent les réseaux informatiques en sont un exemple fruste certes, mais un exemple quand même. Deux grandes voies s’ouvrent dans cette recherche de la maîtrise de la vie artificielle. Soit, formellement à partir d’une définition purement cybernétique qui considère l’auto-reproduction comme fondatrice du concept de vie, soit une vision plus pragmatique qui cherche quel est le minimum de gènes, et lesquels pouvant constituer un être vivant autonome. Ce dernier type de recherche est mené à l’Institut pour la Recherche Génomique du Maryland (TIGR), d’autres sont menées au centre de recherches avancées de l’OTAN... ce qui en dit long sur leur intérêt stratégique146.
Après les plantes génétiquement modifiées, le clonage de différents animaux, l’annonce du clonage humain très proche, nous poserons un certain nombre de problèmes sur les mutations humaines.
13.2.2 - Les plantes
Les manipulations génétiques sur les plantes peuvent être la meilleure comme la pire des choses. En système capitaliste, la démarche du trust Monsanto est logique et représentative de la
nature profonde du capitalisme. On met au point une graine génétiquement bricolée qui donne un excellent rendement à l’hectare mais qui ne permet pas la germination de nouvelles graines, rendant ainsi le producteur dépendant, pieds et poings liés, du trust. Peu importent les conséquences sur l’environnement, les papillons et autres abeilles sont des fariboles pour poètes qui ne sont pas cotées en bourse. Peu importe à Monsanto d’avoir provoqué la stérilisation annoncée de la Beauce et de la Brie dont les terres gorgées d’engrais de synthèse ont perdu leur humus, cela permet de vendre encore plus d’engrais.
Par contre d’autres manipulations génétiques peuvent aussi permettre de modifier le riz de façon à éradiquer une maladie ophtalmique endémique. Là encore se pose le problème de la maîtrise sociale de ces avancées scientifiques et techniques. La simple revendication de l’interdiction des OGM a des limites très étroites, elle est tout simplement vaine et s’avère à terme contreproductive.
Toutefois, on ne peut en rester là. Trois conditions qui nous semblent fondamentales doivent être réunies pour mener à bien les recherches sur les OGM :
— premièrement ces recherches doivent être l’apanage exclusif d’organismes publics ;
— deuxièmement, les résultats et les méthodes d’investigation et d’expérimentation doivent être soumis à un contrôle démocratique de l’ensemble de la société civile, en prenant le temps nécessaire pour la prise en compte de tous les paramètres, y compris le temps lui-même ;
— troisièmement, tous les résultats doivent être mis dans le domaine public, donc ne pas faire l’objet de brevets.
13.2.3 - Les animaux
L’amélioration des races animales au service de l’homme, que ce soit pour le nourrir comme les bovins, ovins et caprins ou pour le servir comme les chiens ou les chevaux s’est opérée en un long processus d’essais et d’erreurs, mais toujours à des échelles suffisamment petites au début pour que puissent jouer les éléments régulateurs naturels. Il n’en est plus de même aujourd’hui, les manipulations du patrimoine génétique peuvent permettre des modifications importantes, massives et incontrôlables, des espèces animales, et donc de l’écosystème.
Déjà, la simple transplantation d’espèces animales dans un autre biotope a créé des problèmes majeurs, qu’on en juge par' les lapins en Australie ou les dromadaires, la perche du lac Tanganika la grenouille taureau en France, le frelon dit asiatique, ou les abeilles tueuses, vraisemblablement issues, elles, d’une manipulation génétique (müitaire ?) mal contrôlée.
Il convient donc là de ne pas laisser n’importe qui faire n’importe quoi dans n’importe quel but. Il va devenir décisif pour l’avenir que ce genre de manipulation soit soumis à un contrôle citoyen. Il n’est pas pensable que ces techniques soient aux mabis d’individus ou de groupes d’individus ; d’intérêts privés. Seule une socialisation de ce genre d’activité peut permettre de dresser un garde-fou contre des dérives lourdes de dangers. Encore laut-il trouver des formes qui garantissent l’intervention et le contrôle des citoyens. C’est une condition nécessaire, il n’est pas sûr qu’elle soit suffisante.
13.2.4 - Les êtres humains
Le clonage d’un être humain relève aujourd’hui purement et simplement de la prouesse technique, mais ne semble pas apporter
quoi que ce soit comme amélioration pour les hommes, la société elle-même. La volonté d’effectuer ce clonage tient plus à « l’effet show bis:/ » qui tend à envahir tous les domaines, y compris malheureusement l’activité scientifique. Des biologistes à l’ego surdimensionné et en veine de notoriété peuvent réaliser ce clonage. Ils trouveront même peut-être pour financer leur imposture, quelque narcisse schizophrène états-unien multimilliardaire en dollars pour penser que, étant irremplaçable il lui faut son double en secours. Par contre, on peut, peut-être, effectivement envisager le clonage de tissus humains pour la chirurgie réparatrice de la peau, du foie, des reins ? Un certain nombre d’affections pourraient être abordées ainsi sous un jour nouveau par la médecine. Tout le problème est de savoir comment ces technologies et avancées scientifiques vont modifier l’organisation sociale, et quels sont les moyens dont peuvent disposer les citoyens pour s’emparer, à leur avantage, de ces avancées scientifiques. De ce point de vue, le problème de l’éducation et du rôle des médias mérite d’être réexaminé. La maîtrise et la prise en compte sociales de ces avancées scientifiques et techniques nécessitent un haut niveau culturel, et constamment actualisé. La révolution Française avait créé le CNAM (Conservatoire National des Arts et des Métiers) de façon ajustement, asseoir la citoyenneté sur le niveau de connaissances requis pour cette époque147.
13.2.4. - Comprendre et modifier la machine humaine
La fondation japonaise Riken fondée à l’origine pour la recherche en physique, chimie et biologie, considère aujourd’hui l’étude du cerveau et de son fonctionnement comme étant un axe de recherche crucial et un enjeu majeur pour le vingt et unième siècle. Pour ce faire, elle a créé l’Institut pour la Science du Cerveau, le BSI (Brain Science Institute) à Wako.
Programme de recherche du B.S.I.
Comprendre le fonctionnement du cerveau | |
Recherche sur la fonction neurale |
Circuits neuronaux Étude des mécanisme internes de la mémoire Recherche en science cognitive. |
Protection du cerveau | |
Étude du développement du cerveau Recherche en gériatrie et psychiatrie |
N europathologie moléculaire. |
Créer un cerveau ex nihilo | |
Voies de recherche sur le cerveau |
International Brain Initiative ; sur l’Intelligence du cerveau ; sur le système d’information dans le cerveau |
Modélisation des circuits informationnels Recherche sur l’Intelligence Artificielle GO, Shogi, apprentissage _automatique._
Cet institut conduit des recherches de façon intensive dans trois directions.
— Comprendre le fonctionnement du cerveau ;
— Protéger le cerveau (contre la dégénérescence, les maladies type vache folle), améliorer ou permettre sa restauration après accident cérébro-vasculaire ;
— Créer ou simuler un cerveau (I.A., apprentissage automatique profond, supervisé ou non).
13.2.5 - L’enjeu
On voit clairement quels sont les enjeux, ceux qui sont affichés et les autres. Cela peut aller de la restauration des capacités cérébrales après accident ou maladie au maintien des capacités intellectuelles à leur niveau maximal tout au long de la vie, à la manipulation mentale et la fabrication d’individus « formatés » ; au « formatage » d’individus148. Il ne fait pas de doute qu’à terme, au niveau fonctionnel, ce type de programme aboutira. Il s’agit en l’état actuel des choses encore, de recherche fondamentale, c’est à dire dont il est difficile de prévoir les échéances. Toutefois des résultats sont d’ores et déjà acquis ou en passe de l’être, notamment sur les accidents cérébraux vasculaires et sur des maladies du type Alzheimer ou Parkinson.
On commence à avoir des modèles permettant la compréhension des mécanismes cérébraux. Ils permettent de saisir l’activité cérébrale, du niveau neuronal au niveau du cerveau tout entier en passant par les réseaux neuraux intermédiaires. L’une des difficultés liées à ce type de recherche, c’est leur ambivalence. Les mêmes recherches peuvent à la fois servir à soigner le cerveau ou le contrôler.
Un des problèmes qui va émerger — non seulement du simple point de vue de la spéculation éthique, mais concrètement en ce sens que la technique tôt ou tard permettra de modifier l’humain — c’est celui de l’eugénisme, de la transhumanité, c’est-à-dire de l’avenir de l’homme en tant qu’entité biologique après l’humain que nous connaissons, dont nous faisons partie.
13.3.1 - Eugénisme
Le principe qui préside à cette démarche se nomme extropianisme et se définit lui-même comme une « philosophie transhumaniste » (les guillemets sont de moi). Comme les humanistes, les transhumanistes disent se placer du point de vue de la Raison, du progrès, de valeurs centrées sur le bien de l’homme plutôt que sur une morale religieuse extérieure.
L’idée est de dépasser les limites physiques actuelles de la vie et ses conditions physiologiques. Il s’agit alors de se poser les questions de ce que serait, sera, cette « transhumanité » qui défie
l’âge et les limites humaines au nom de la science et des progrès technologiques149. La question du dépassement humain actuel, par amélioration de nos capacités intellectuelles, par amélioration aussi de certaines capacités physiques, est posée. Elle est crédible à plus ou moins long terme.
13.3.2 - Demain, de nouvelles races humaines ?
Dans cette optique, l’humanité actuelle est vue comme une étape transitoire dans le développement de l’intelligence, comme un début, pas comme mot de la fin. Il reviendrait alors à l’humanité actuelle de provoquer sa propre mutation, de façon consciente. Certes, les progrès de la médecine, de l’hygiène, ont permis déjà un allongement de la durée moyenne de vie (dans les pays hautement développés toutefois) et les problèmes ne sont déjà plus les mêmes.
Mais là, ce qui se profile à l’horizon, c’est une rupture biologique. On peut très bien imaginer à terme la fabrication de nouvelles races d’humanoïdes par manipulations génétiques de primates, humains ou autres. Ainsi on verrait apparaître des hommes-poissons par exemple, ou des humanoïdes porteurs de capacités particulières, sous hommes/femmes ou sur hommes/femmes suivant les besoins. Science-fiction ?
13.3.3 - Quelle société pour les humanoïdes ?
Il semble qu’il y ait eu anthropologiquement, différentes races humaines au cours des âges, jusqu’à cinq selon S. Jay Gould [Gould, 1993, Gould, 1997]. Il n’y en a plus qu’une aujourd’hui, ce qui n’est pas nécessairement un progrès. Verrons-nous apparaître de nouvelles races « fabriquées » par nous ?
Techniquement, l’idée n’est pas à ternie absurde. Il reste toutefois à se poser les problèmes éduques et moraux associés. Dans quelle société, avec quelle organisation ? Dans quels buts et avec quelles fonctionnalités sociales ? De tels développements sont-ils encore compatibles avec la notion de marchandise, de propriété privée, et si oui, quelle structure revêtira cette société ?
Le problème de l’utilisation que l’on fait de ces teclmiques (et plus généralement d’une politique scientifique) est fondamentalement politique. Il n’est ni technique ni moral. Lorsqu’il s’agit d’action individuelle, on peut parler en termes de morale. Là, il s’agit d’avancées scientifiques touchant aux structures même de nos sociétés. Le seul garde-fou est la société elle-même, sa structure, sa logique interne. Une société basée sur l’individualisme forcené et la propriété privée des moyens d’action sur la nature, sur le culte de Rambo, présente les pires dangers par rapport à l’utilisation de ces avancées de la connaissance.
Ne nous y trompons pas, l’industrie biologique et biochimique les biotechnologies pousse dans ce sens, celui des OGM « humains » :
Quelle société est capable de maîtriser de tels développements ? Une société basée sur le profit et la propriété individuelle ou une société dont le mode de fonctionnement oblige à prendre en
compte l’intérêt de l’ensemble de la communauté humaine, la communauté de destin ?
Le méga-programme de déchiffrement du génome humain mobilise déjà les biologistes des pays les plus industrialisés, dans une compétition analogue à celle de l’espace, une compétition ou la soif de connaissances nouvelles masque à peine l’urgence plus impérieuse de déposer des brevets et de conquérir des marchés.
Notons toutefois au passage, que, dans l’esprit des Lumières, les scientifiques français qui avaient démarré sur ces bases, ont fini, lors des premiers résultats, par comprendre la nécessité de ne pas prendre de brevets sur leurs découvertes. Ils ont ainsi, en quelque sorte, « forcé la main » à leurs collègues d’outre-Atlantique qui ont tout de même réussi à déposer des brevets sur les techniques employées.
13.3.4 - L’écologie
LTn autre grand déh, c’est l’écologie, c’est-à-dire la gestion rationnelle des ressources de la planète pour le plus grand bien de l’humanité150. Précisons bien, pour le profit de l’humanité tout entière. En effet, certains « écologistes » rêvent d’une nature vierge de la main de l’homme.
Il n’y a pas là vraiment de gros problèmes techniques. On possède les modèles de climat, les algorithmes performants et les ordinateurs permettant de les exécuter. Par contre, il existe de sérieux problèmes scientifiques pour l’amélioration de la compréhension des phénomènes, auxquels sont confrontés les écologistes scientifiques.
Mais fondamentalement, l’écologie est d’abord une question politique. Il ne devrait pas y avoir de place sur l’échiquier politique pour des partis politiques se disant écologistes, traitant du problème de l’écologie, comprise comme dit ci-dessus. L’écologie devrait être au cœur de la réflexion de toute formation ou parti politique se préoccupant du développement harmonieux des peuples et de la pérennité de l’humanité. En particulier ce devrait être le socle de réflexion de tout parti se proposant de dépasser le capitalisme, système qui, par nature, ne peut raisonner qu’à très court terme et en fonction d’intérêts particuliers (et même de particuliers). Le mouvement interne du Capital, qui l’entraîne à toujours plus d’accumulation, toujours plus vite, est en lui-même destructeur de l’environnement. Cette destruction est dans la logique même du système qui ne raisonne et ne peut raisonner qu’à court terme et localement.
Le défi écologique et sa contradiction avec ce système de production a été identifié dès le dix-neuvième siècle par le mouvement révolutionnaire à travers la personne d’Elisée Reclus alors qu’il était membre du directoire de La Commune de Paris. On peut dire d’ailleurs d’Elisée Reclus qu’il est le père de la science écologique [Reclus et Reclus, 1908].
Le problème de l’écologie est un problème majeur et qui intervient dans nombre de situations. Celui-ci se pose aujourd’hui déjà avec acuité comme conséquence des activités industrielles de l’homme. Qu’on en juge par l’annonce de l’élévation d’un mètre du niveau des océans dans le siècle à venir. Des nations entières, des territoires comme le Bangaladesh ou les îles Maldives, le delta du Mékong risquent de disparaître sous les flots. En particulier si on veut parler de développement équilibré de la planète, de communauté de destin de l’humanité, on ne peut ignorer
l’écologie, et on est alors obligé de poser le problème en termes politiques.
13.3.5 - Les limites physiques de la croissance actuelle
Nous vivons dans un monde fini, la masse de la terre est de 5,972 x 102‘ kg&i celle de l’atmosphère 5,13 * 1018 kg et pas plus. De même les réserves d’énergie fossile sont-elles limitées. La consommation desdites énergies et ressources ne va pas sans poser des problèmes énormes, et les énergies renouvelables ne peuvent satisfaire le nécessaire développement de l’humanité, à moins d’adopter une position malthusienne entérinant la conservation des dominations impérialistes actuelles. L’utilisation et le développement de l’énergie issue de l’atome est inévitable, les technologies modernes, en rendant l’exploitation de plus en plus fiable et de moins en moins polluante.
Le problème central est celui de l’énergie. La question du devenir énergétique de la planète est au cœur des grands défis, sociaux, scientifiques et politiques. Celle du devenir même de l’humanité est posée à l’horizon du siècle. D’où la responsabilité qui nous incombe d’agir pour que l’avenir de la Terre se conjugue, au sein d’une biodiversité maintenue, avec le développement de l’espèce humaine. La question de l’énergie est centrale. L’essentiel des conflits contemporains, où le contrôle des réserves et moyens d’acheminements d’énergie fossile est un enjeu stratégique, le démontre.
13.3.6 - Les contraintes et problèmes
Le problème de la maîtrise énergétique de l’avenir est conditionné par des impératifs vitaux :
— effet de serre et évolution du climat ;
— épuisement rapide (quelques décennies) des énergies fossiles traditionnelles (pétrole, gaz, charbon) ;
— maîtrise de la demande et croissance sobre en énergie ;
— choix des infrastructures dans la période d’urbanisation massive du sud ;
— définition des programmes de recherche et développement pour agir sur la demande (consommation maîtrisée) et sur l’offre (nouvelles filières de production) ;
— démographie en expansion encore pour 20 ans, avec une modification importante de la situation des différents pays tant au plan démographique, qu’énergétique ou économique.
Comme on le voit, ces problèmes sont en interaction forte, et encore, ne sont pas posés ici d’autres problèmes liés au développement et aux variations environnementales qui interfèrent fortement sur celui de l’énergie (l’eau courante et l’eau potable par exemple).
Quelques éléments d’appréciation sur l’évolution de la consommation en énergie : l’augmentation de la production d’énergie dans les prochaines décennies est une nécessité politique. La population mondiale atteindra très vraisemblablement les neuf ou dix milliards en 2050 pour décroître lentement après dans l’hypothèse où il n’y aurait pas de conflit mondial majeur avec emploi des armes de destruction massives (thermonucléaires ou biologique ou...). Ce niveau suppose des avancées politiques considérables, sur tous les continents. La consommation actuelle d’énergie est très inégale dans le monde : 8 TEP (tonne équivalent pétrole) par habitant et par an aux États-Unis, 4 en Europe et au Japon, moins de 1 dans le reste du monde, en Chine, en Inde, en Afrique. 40 % de
l’humanité n’a pas accès à l’électricité. Bien entendu, les inégalités ne concernent pas que l’accès à l’énergie, mais également à l’eau potable, à la santé. Un milliard d’individus souffrent de la faim. Plus d’un milliard n’a pas accès à l’éducation. Chacun sait, ou du moins sent, que lutter contre ces inégalités iniques et les réduire considérablement est une condition absolue de la survie des sociétés humaines. Bien que ces inégalités ne se réduisent pas à des questions énergétiques, le développement des peuples exige l’accès à des ressources énergétiques. Il faut pouvoir au moins doubler la production énergétique globale (ne pas le reconnaître, c’est de fait refuser à ceux qui en ont le plus besoin l’espoir de sortir du sous-développement) ;
13.3.6.1 - De 2000 à 2030
Selon l’A.I.E. qui travaille par projection, extrapolation de la situation actuelle, la situation serait la suivante (voir aussi [Bellal, 2016]) :
— la consommation mondiale passerait de 9,2 à 15 Gtep (accroissement de 61,3 %) ;
— la part des énergies fossiles resterait proche des 90 % actuels ;
— la consommation de pétrole passerait de 3,5 Gtep actuels à 5,7 Gtep (accroissement de 61,4 %).
Se posent alors un certain nombre de problèmes cmciaux :
— quelles sont les contraintes physiques sur la disponibilité du pétr ole (épuisement des réserves) ; les contraintes en investissement (quels financements ?) ; les contraintes politiques ?
— les émissions de C02 augmenteraient de 70,45 % passant de 22 Gt (Gt = milliard de tonnes) à 37,5 Gt (que deviennent l’accord de Kyoto et le GIEQ de Glasgow ?) ;
— quelles doivent être les mesures mondiales à prendre pour modifier cette évolution ?
Les différentes populations du globe ont un accès très inégal à l’énergie : 8 tep par an et par tête en Amérique du nord, 4 tep par' an en Europe de l’ouest, moins de 1 tep pour les pays en voie de développement. 1, 6 milliards d’humains n’ont pas d’électricité et 2, 4 milliards n’ont que la biomasse comme énergie pour le chauffage et la cuisine, ce qui ne va pas sans poser de gros problèmes de déforestation dans certaines contrées (Brésil, Chine, Inde, Philippines, Vietnam ...) et cette situation ne devrait pas évoluer de façon significative d’ici 2030, sauf modification politique mondiale profonde qui n’est pas à l’ordre du jour.
13.3.6.2 - Et à l’horizon 2030 ?
Là, la prévision devient difficile, mais tentons-en l’expérience. Le scénario retenu se situe dans une fourchette de 15 à 25 Gtep (l’éloignement de l’horizon et les incertitudes politiques ne permettent pas une plus grande précision). Que peut-on inférer de l’évolution du monde durant cette période ?
— Transition démographique se traduisant par un ralentissement d’accroissement puis une stabilisation de la population humaine aux alentours de 9 milliards d’individus en 2050, et décroissance lente ensuite ;
— cet accroissement de population se fera essentiellement dans les actuels pays en voie de développement ;
— modification importante de la pyramide des âges dans ces pays avec une part très forte d’individus en activité, mais avec une répartition très différente suivant les pays et régions ;
— grands mouvements de population dus :
1. à 1’urbamsation accélérée dans les pays en développement (de 2010 à 2035 la population urbaine augmentera de deux milliards d’habitants environ) ;
2. à la montée des eaux, qui peut amener des populations entières à migrer (Bangaladesh, Thaïlande par exemple) ;
— la recherche par les populations émergeant du sous-développement, de l’acquisition des standards de consommation occidentaux actuels.
Une incertitude majeure pèse sur les voies de développement des pays émergents comme la Chine. Essaiera-t-elle de singer les pays occidentaux ou cherchera-t-elle une voie de développement originale ? Peut-elle se contenter d’imiter le développement occidental, ou les contraintes environnementales et énergétiques l’obligeront-elles, ainsi que les pays actuellement développés, à modifier son mode de développement ? la question mérite d’être posée. De la réponse à cette question, pour la Chine, laquelle a mis en route un vaste programme de production d’énergie nucléaire pour pallier au problème et fermer à terme ses centrales les plus polluantes, mais la question se pose aussi pour l’Inde, le Pakistan, le Brésil et d’autres, de la réponse dépend en grande partie l’avenir énergétique et environnemental de l’humanité. Bien entendu, cette réponse ne s’entend qu’avec une modification drastique des politiques énergétiques et environnementales des pays développés et en premier lieu des Etats-Unis d’abord, de l’Europe occidentale ensuite.
L’essentiel de la production énergétique actuelle (plus de 80 %) est basé sur des ressources (dites fossiles) qui s’amenuisent tellement que la question de l’existence de réserves accessibles, à des échelles de temps inférieures au siècle, est posée. A-t-on pris la mesure de ce que signifierait l’absence de pétrole dans cinquante ans ? Certains en tout cas le comprennent, qui mènent des guerres d’agression pour maintenu' le contrôle des zones d’approvisionnement.
13.3.7.1 - Le pétrole, tensions et turbulences
Même si les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont amené de grands pays consommateurs comme la France à réserver le pétrole aux usages pour lesquels il est difficilement substituable (chimie, transport), de nouvelles tensions, inévitables, auront sans aucun doute davantage d’impact sur la vie quotidienne des consommateurs.
En Amérique du nord et en Europe, les productions de pétrole sont en déclin. La dépendance de ces régions va donc augmenter. La dépendance de l’UE pourrait passer de 73 % actuellement à 92 % en 2030 si rien n’est fait.
De plus en 2030, si on extrapole les données actuelles, la Chine pourrait importer 500 Millions de tonnes de pétrole (et les USA 750 Mt). Cette croissance de la demande devrait être assurée par la production des pays du Moyen-Orient qui sont censés détenir les 2/3 des réserves mondiales prouvées. Les échanges mondiaux en seront bouleversés, de 1,25 Gt/an en 2002 à 4 Gt/an en 2030. La part du Moyen-Orient dans ces échanges pourrait atteindre 70 %, dont les 2/3 à destination de l’Asie.
Le débat n’est pas clos, mais pour les experts de l’ASPO (Association pour l’étude des pics pétrolier et gazier), les découvertes de gisements ont, pour l’essentiel, été faites dans les années 60 du XXe siècle. Les découvertes actuelles ne compensent pas la croissance de la production et a fortiori de la consommation. Par ailleurs, les réserves ultimes prouvées sont restées du même ordre. Ces différents éléments conduisent à pronostiquer un plafonnement de la production autour de 2030.
Les chiffres avancés par les pays producteurs de pétrole sont à manier avec circonspection, la transparence n’étant, en la matière, pas de rigueur. On peut ainsi légitimement douter des chiffres annoncés par les pays du Moyen-Orient.
Par contre d’autres experts (ceux de l’AIE) se montrent plus optimistes, considérant que les ressources conventionnelles de pétiole permettront de faire face à la demande d’ici 2050, étant admis qu’à partir de 2040, les ressources non conventionnelles tels les sables asphaltiques du Canada, les schistes bitumineux, et le gaz apporteront leur contribution.
La prudence est de rigueur et sans doute vaut-il mieux se « caler » sur les prévisions de l’ASPO (worstcase analysis — analyse en pire des cas-).
13.3.8 - Quelles sources d’énergie à l’horizon 2050 ?
Là la question reste entière car les énergies non fossiles (le nucléaire en étant !) ne représentent actuellement que 1 Gtep alors que le gap énergétique à assurer doit tourner autour de 6 Gtep, des décisions sont à prendre de façon urgente. Les énergies fossiles (hors nucléaire) ne pourront répondre à la demande à cause de l’épuisement des ressources en pétrole, et même de gaz. Pour ce
qui est du charbon, encore relativement abondant, la limitation prévisible de son utilisation est liée à l’effet de serre plutôt qu’à l’épuisement des ressources. L’enfouissement du gaz carbonique ne convaincant personne, la filière charbon est fortement polluante.
13.3.9 - Le gaz
Pour ce qui est du gaz, le tableau est moins pessimiste que pour le pétiole, les ressources avérées oscilleraient entre quatre cent cinquante mille et cinq cent trente mille milliards de mètres cubes (530 x 1012 m3), et les ressources probables non découvertes seraient encore de quelque cent cinquante milliards de mètres cubes. Au rythme actuel de consommation, cela représente environ deux siècles. Toutefois, si le gaz devait prendre mécaniquement la place du pétrole, la consommation augmenterait de façon telle que ces chiffres devraient être sérieusement revus à la baisse, de plus l’utilisation du gaz est aussi génératrice de C02.
13.3.10 - Effet de serre, des discours et des actes
Le principe même de la production énergétique principale, basée sur l’oxydation (la combustion) de molécules riches en carbone et hydrogène (pétrole, gaz, bois, charbon), engendre des déchets considérables sous la forme principale de gaz carbonique et d’eau. L’homme produit désormais presque autant de gaz carbonique que l’ensemble de la machine planétaire : il en résulte une augmentation très rapide de la concentration de ces constituants, qui de bénéfiques qu’ils ont été au cours des âges géologiques en maintenant une température clémente à basse altitude par « effet de serre » peuvent s’avérer catastrophiques quant à leurs effets éventuels à l’échelle de la planète entière
(sécheresses et désertification, inondations irréversibles, tempêtes, etc.).
Il s’agit là d’un dossier sensible, à la fois vaste et sujet de polémiques, pas toutes désintéressées. Nous nous en tiendrons là à l’aspect des accords de Kyoto, l’écart entre les engagements des signataires et la réalité, et les conséquences sur l’émission des gaz à effet de serre. En prenant pour base le scénario de référence établi par l’AIE en 2002, sur la base d’une extrapolation des politiques actuelles et des modifications prévisibles sans bouleversement l’évolution des émissions de C02 peut être caractérisée comme suit :
Entre 2020 et 2030, les émissions mondiales passeraient de 22 Gt à 37,5 Gt, augmentant ainsi de 70,45 % dont les 2/3 c’est-à-dire environ 10, 3 Gt viendraient des PVD (Pays en Voie de Développement), leurs émissions totales dépassant celles de l’OCDE.
Pour ce qui est de l’analyse par secteur d’activité, il faut noter que : la production d’électricité serait, dans ce scénario, cause de
48,3 % de cette croissance (7,5 Gt) ; les transports représentent le second poste avec 26,54 % (4,21 Gt).
D’où deux grandes questions stratégiques :
Quel choix d’énergies primaires pour produire de l’électricité ?
13.3.11 - Des solutions ?
Y a-t-il des solutions qui prendraient en compte ces différents aspects ? Les enjeux sont tels, l’avenir de l’humanité se joue là, que le sérieux s’impose quant à leur définition. Il faut avant tout rejeter les solutions qui impliquent, soit une diminution de la population mondiale (par l’effet conjugué de guerres et d’épidémies : certains envisagent sérieusement cette « option »), soit le maintien dans le sous-développement d’une majorité des peuples. L’enjeu est ici de permettre un développement énergétique favorisant le développement social. Les solutions misérabilistes de compensation du déficit des uns par l’appauvrissement des autres sont à proscrire. Il faut parvenir à augmenter la production énergétique globale, dans les contraintes imposées par l’horizon d’appauvrissement des ressources, et du choc environnemental lié au réchauffement planétaire.
L’énergie solaire, par sa nature, ne puise pas sur les ressources fossiles, et ne produit pas de gaz carbonique. Est-ce donc la solution ?
Malheureusement, compte tenu de la valeur (connue) de l’énergie reçue sur Terre en provenance du Soleil, on ne peut envisager de satisfaire les besoins humains définis plus haut par la conversion de cette seule énergie. La fraction de la surface terrestre qu’il faudrait recouvrir pour la récupérer est trop élevée pour être envisageable. D’une manière générale, il est nécessaire dans la mesure du possible, de diversifier les sources de production d’énergie. Un examen des rendements réels conduit toutefois au verdict suivant : si l’on vise à développer des filières de production protégeant notre environnement, et suffisamment efficaces pour ne pas butter sur des problèmes d’approvisionnement, on ne peut se passer, pour les décennies à venir, de l’utilisation de l’énergie nucléaire.
13.3.12 - Et l’énergie nucléaire ?
L’uranium est répandu dans l’écorce terrestre à raison de 3 grammes par tonne en moyenne. Par contre les gisements à teneur significative (de l’ordre du %) restent aujourd’hui en nombre limité.
Les ressources classiques connues accessibles à un coût inférieur à 130 dollars parkgd’U étaient en 2001 de 3,93 millions détonnes,
5,4 en 2009 à comparer à une consommation annuelle mondiale de 159.000 tonnes dans les dix ans. C’est-à-dire environ 65 ans de fonctionnement dans les conditions actuelles. Or, compte tenu de l’état du marché, il n’y a pratiquement plus aujourd’hui de prospection et des gisements restent à découvrir. Le thorium pourrait prendre le relais mais la rationalité serait de pouvoir disposer vers 2040 de réacteurs à neutrons rapides (surgénérateurs).
L’uranium ne représentant que 5 % du coût de l’électricité nucléaire, on peut admettre de supporter des coûts d’uranium plus élevés que le niveau retenu actuellement. De nombreux gisements, voire des voies moins classiques telles que l’extraction de l’uranium des phosphates, deviennent alors économiquement justifiés.
L’énergie nucléaire telle qu’aujourd’hui produite (/le. de fission) est une énergie jeune et les centrales actuellement en fonctionnement sont d’un type relativement fruste par rapport à ce qui existe « dans les cartons ». La cohérence voudra que la surgénération soit mise en œuvre, ce qui est susceptible de diviser par au moins un facteur 50 (voire 100) la masse de déchets actuellement produits sur un même laps de temps. Les centrales de génération 4 optimiseront l’utilisation de la matière fissile. On utilisera ainsi la quasi-totalité de l’uranium 238 qui constitue 99, 3 % du minerai. Le besoin en matière première sera alors divisé par un facteur proche de 100 (les plus pessimistes — ou prudents — donnent un rapport de 50) ce qui multiplie d’autant la durée des ressources naturelles, ce qui au rythme actuel, permettrait 3 000 ans au moins d’approvisionnement Ces centrales de quatrième génération ne seront pas disponibles avant 2040, une
décision politique démagogique et imbécile ayant fait perdre à la France son avance en matière de surgénérateur (programme Rapsodie) par la fermeture du réacteur expérimental Superphénix, et plus récemment (2020) l'arrêt du projet ASTRID.
Il faut ici préciser que le développement de la production d’électricité par des centrales nucléaires nécessite une très grande sécurité d’icelles. Là il y faut des conditions politiques et économiques nationales et internationales (les nuages radioactifs ignorent les frontières) sur lesquelles il convient de réfléchir. Le problème des déchets se pose encore pour quelques temps mais la technologie évoluant, ce problème est en voie de règlement. La masse de déchets à vie longue (mais à radioactivité relativement faible) dits de niveau C produite, est relativement faible, surtout après utilisation dans des surgénérateurs (on l’estime à l’équivalent du volume de 4 piscines olympiques par siècle pour la production d’électricité de la France). Ces déchets ultimes à longue durée de vie sont actuellement sous contrôle grâce au stockage surveillé et à la vitrification. Il faut faire remarquer ici que ledit stockage permet de localiser les déchets en question, ce qui fait que lorsqu’on aura résolu le problème de leur élimination, on saura où les retrouver. Tel n’est pas le cas des molécules plus ou moins bizarres qui sont envoyées dans l’atmosphère ou dans les eaux et terre, qui s’y diluent et sont irrécupérables sans qu’on sache quelle est leur action à long terme (comme aussi le plastique dans les océans). Curieusement ce problème, pas plus que l’effet sur les couches les plus hautes de l’atmosphère et sur la ceinture magnétique d’un milliard de téléphones mobiles émettant simultanément, ou encore la consommation d’oxygène, ne préoccupe les forces politiques se réclamant de l’écologie.
Les énergies renouvelables seront sans doute exploitées au maximum des possibilités, mais aussi les énergies plus traditionnelles comme la biomasse combustible et l’hydraulique (il y a encore des possibilités de ce côté-là en Afrique comme en Asie).
Il ne s’agit pas de minimiser les problèmes spécifiques et essentiels découlant de l’utilisation de l’énergie nucléaire. Ici, il existe deux comportements possibles :
— celui qui est le plus fréquemment mis en avant, dans les milieux se voulant protecteurs de l’environnement en France, est de considérer sans autre débat que ces problèmes sont rédhibitoires, et d’exiger de « sortir du nucléaire ». Cela revient à opposer ce qui serait la seule énergie par nature « sale », l’énergie nucléaire, à l’ensemble des énergies « propres », sans prendre en compte les conflits régionaux et planétaires auxquels le déficit d’approvisionnement énergétique conduirait — et conduit déjà. Plus fondamentalement, une telle position revient, qu’on le veuille ou non, à pérenniser un statuquo planétaire où seule une minorité de pays Capitalistes développés gérerait la planète, en utilisant l’ensemble des moyens de domination militaires, économiques et idéologiques dont elle s’est dotée. C’est la direction dans laquelle s’engage l’impérialisme en général, les USA et l’OTAN en particulier ;
— l’autre comportement consiste à reconnaître que pour éviter le risque de déséquilibres planétaires globaux, on ne peut faire l’économie de l’énergie considérablement plus efficace que toute autre source énergétique.
Il convient alors, non pas d’éviter, mais au contraire d’affronter avec sérieux et responsabilité les problèmes qu’elle soulève, pour en réduire la portée au maximum.
Ces questions se répartissent en au moins quatre domaines, qui chacun justifierait un article dédié :
1. sûreté des réacteurs,
2. déchets ,
3. prolifération ,
4. ressources ;
L’objectif est de permettre que soient développées, au sein des pays qui en ont la capacité scientifique, technique et politique, mais en coopération internationale, des filières de production encore plus sûres, sous un contrôle renforcé contre les risques de prolifération, moins consommatrice de ressources, et moins productrice de déchets à stocker ;
Nucléaire militaire. S’il est un champ d’intervention pour lequel une mobilisation est urgente et impérieuse afin de sortir du nucléaire, c’est celui du nucléaire militaire, qui se développe sans aucun contrôle populaire ; la planète doit s’en débarrasser définitivement151. En parallèle, il faut modifier en profondeur le rapport des citoyens au nucléaire civil ; il est nécessaire que soient mises en œuvre rapidement les recherches scientifiques et les développements techniques permettant de fabriquer des réacteurs de type nouveau, sur des principes physiques connus, au service de l’homme et de la planète152. Proposer l’arrêt de tout
développement c’est faire perdre plusieurs années critiques, au terme desquelles la raison et la réalité imposeront de reprendre le travail, mais avec un retard qui pourrait s’avérer catastrophique par ses conséquences économiques et sociales.
Il n’y a pas de solution miracle, il ne faut pas se leurrer, il n’y a pas de voiture propre ! l’hydrogène n’est pas une énergie primaire, il faut le produire et le rendement énergétique laisse pour l’instant à désirer.
Les biocarburants peuvent apporter une contribution limitée à condition de choisir les filières de production et d’utilisation les plus rationnelles, ce n’est pas actuellement le cas en Europe, et ça ne résout pas le problème de l’effet de serre.
La voiture électrique est une aberration du point de vue du rendement énergétique153 la seule justification en pouvant être l’effet de serre et la pollution à la condition qu’on élimine certains constituants des batteries (cadmium par exemple). Et comment vouloir à la fois des voitures électriques et pas d’énergie nucléaire ?
En 2000, les énexgies alternatives utilisées pour les transports routiers dans le monde (GPL + biocarburants) ne représentaient
que 24 Mtp pour 1550 Mtep de carburant conventionnel, soit 1,52 % du total du carburant utilisé. Cet état des lieux montre les directions dans lesquelles doit se développer l’action : Poursuivre l’amélioration des rendements des moteurs thermiques en respectant les objectifs fixés par l’Lnion Européenne, soit au maximum 120 g/km de C02 contre 200 g/km en 2000, soit 40 % en moins au kilomètre. Les solutions sont certes à chercher du côté de la technique, mais aussi et surtout dans une politique de forte incitation à la production et l’achat de véhicules plus économes en énergie. Arrêt de la production en masse des 4x4, des 6 et 8 cylindres qui doivent être réservés à des activités très spécifiques.
Développer une politique audacieuse de transports en commun maillant les territoires, sans doute couplés avec un système de prêt ou location de voitures.
f
Repenser l’aménagement du territoire.
13.4.1 - Changer de modèle
Pour que les pays pauvres puissent se développer, il faut (mais il ne suffit pas) que les pays riches (i.e. Capitalistes) changent de modèle de développement, c’est à dire :
— soit qu’ils deviennent pauvres et cessent l’essentiel de leurs activités énergétivores ;
— soit qu’ils changent radicalement de politique de développement dans le sens d’une solidarité mondiale.
La conférence de Kyoto a montré dans quelle direction les principaux pays capitalistes entendaient s’engager. En effet, il n’y a aucune raison pour que les principaux pays impérialistes, ou les transnationales aident les pays pauvres à se développer, sauf s’il y a possibilité d’y générer des profits substantiels.
Le problème de la pollution de l’air est intimement lié à celui de l’énergie et de l’utilisation de certaines ressources fossiles comme le pétrole, le gaz ou le charbon. Il s’agit de limiter, en fait sensiblement diviser par quatre, l’émission de gaz à effet de serre. Bien sûr les pays développés sont concernés au premier plan, et les USA en particulier qui sont les principaux pollueurs. Là, certaines mesures pourraient être prises rapidement si une volonté politique se manifestait. Révision de la politique du transport des marchandises par promotion du rail et du transport fluvial là où c’est possible, révision de la politique des transports individuels, par bridage des moteurs de voitures d’abord, par développement rationnel des transports en commun ensuite (ou plutôt simultanément), par aménagement urbanistique du territoire enfin. Au niveau de la production industrielle aussi il faut une politique ambitieuse et dans la mesure du possible concertée pour éviter les gaspillages et fournir aux pays, (essentiellement les pays sous-développés) à technologie gourmande en énergie et polluante, les moyens de se doter des technologies modernes et propres de production, et ce en dehors de tout esprit de concurrence. De même un grand nombre de productions « gadget », conçues uniquement pour provoquer de la consommation et donc uniquement générer des profits sans répondre à un besoin réel doivent être supprimées.
Comme on peut le voir, c’est en termes politiques que se posent ces problèmes écologiques. Le plus souvent, les forces qui se réclament de l’écologie ne posent le problème politique qu’à la marge, événement par événement, non pas comme problème global d’organisation de la société. Lorsque par bonheur quelques mouvements écologiques tentent de poser le problème global, c’est la plupart du temps en dénigrant les avancées scientifiques, sur des
positions qui sont in fine obscurantistes quand elles ne sont pas purement et simplement démagogiques.
Le problème de l’écologie planétaire ne saurait être dissocié de celui du développement des sociétés et de la place des humains dans l’écosystème. La race humaine, est partie intégrante de l’écosystème, et même pour ce qui nous concerne, la partie la plus importante. On ne peut donc penser l’écologie sans mettre au centre de ses préoccupations, le développement harmonieux de la société humaine, la communauté de destin de l’humanité !
13.4.2 - Une attitude scientifique et sociale
Il faut s’emparer socialement des avancées scientifiques, en identifier les potentialités et les mettre au service de la société. La politique de recherche elle-même doit être pensée en ce sens. Quelle recherche, quelle politique de recherche dans 1 intérêt du développement des hommes, des citoyens, des individus tout autour de la planète ?
Comment faire pour qu’il y ait une véritable appropriation citoyenne des avancées scientifiques et techniques, non pas une révolution de l’intelligence comme l’ont prôné certains idéologues de la bourgeoisie afin que ladite intelligence se coule dans le moule de la pensée dominante, mais une révolution par 1 intelligence [Le Guen étal., 1989] afin que les citoyens soient maîtres de leur destin et non l’inverse. Cela nécessite un haut niveau culturel, un autie système d’enseignement et une information débarrassée de la dictature de l’audimat et de la nécessité du croustillant et du spectaculaire, pour que ces choix soient possibles et laits en connaissance de cause en dehors des groupes de pression, plus ou moins bien intentionnés ou « sponsorisés ».
13.4.2.1 - Retour à l’école
L’école joue encore un rôle majeur du fait qu’elle est quand même le lieu essentiel de formation idéologique du citoyen et du producteur. Elle est destinée à reproduire idéologiquement le système. Dans l’école laïque et publique, la dialectique est plus subtile. L’école laïque et publique, constitutive de la République, a été conçue pour la propagation des idées de la République et l’édification des citoyens. Elle véhicule nombre de valeurs universalistes, lesquelles sont susceptibles de permettre à des citoyens de réfléchir et mettre en cause le système. A l’heure du libéralisme triomphant, cette situation, essentiellement française, est inadmissible pour la bourgeoisie.
Le grand marché de renseignement Comme nous l’avons noté précédemment, la façon de poser le problème de l’éducation et de l’enseignement reste dans la problématique actuelle de l’enseignement et de son rôle. Le Capital, ne s’intéresse pour l’essentiel à l’e_enseignement que dans la mesure où les bouleversements que les TIC peuvent induire dans ce domaine peuvent permettre, voire forcer, la « libéralisation », c’est à dire la privatisation « à tout-va » de tout système d’enseignement, ce qui représente à la fois un marché gigantesque et un moyen de propagande phénoménal. La chose est, en France, bien engagée. Le baccalauréat qui était le premier diplôme national universitaire a été transformé en diplôme de fin d’études secondaires et a perdu son caractère national. De plus l’application ParcourSup permet aux universités de créer un concours d’entrée sans le dire pour l’instant. L’autonomie donnée aux universités sans les moyens qui devraient aller avec va conduire à la mise en place de véritables concours d’entrée et à des études payantes (et chères, très chères !) et donc à l’apparition d’universités privées soutenues par des fonds
de pension et autres puissances financières qui en dicteront de facto la polidque et le contenu des enseignements.
Toutefois, face à cette offensive, il faut se garder de l’attitude défensive actuelle de conservation du système en l’état ou de modification et adaptation à la marge. L’apparition des TIC, les changements intervenus dans l’organisation de la production et de la société, les modifications des moyens et conditions d’accès à l’information conduisent à poser le problème plus fondamentalement dans la perspective d’une société désireuse de l’épanouissement des individus et de la formation des citoyens.
13.4.3 - Une vision résolument offensive
L’enseignement doit-il rester concentré dans le temps, celui de la jeunesse, dans l’espace, celui de l’établissement (crèche, école, collège, lycée, université), dans la parole, celle de l’Institution à travers le Maître ?
Le système d’enseignement doit accompagner 1 individu tout au long de sa vie et lui offrir des accès multiples à l’enseignement, dans une interrelation certes indispensable avec des maîtres et d auties apprenants, mais aussi dans une auto-construction des savoirs, vers une éducation et un enseignement sans distance.
Cela ne signifie pas qu’il faille que disparaisse l’école, ni géographiquement ni socialement. Elle a un rôle majeui de socialisation et de formation des citoyens àjouer, en particulier en offrant une unité de lieu et de rassemblement, une unité cultuielle aussi sous peine de dilution de la relation sociale. Se pose alors le problème, majeur, de la nature du service que doit à la nation l’école : Instruction Publique ou Éducation Nationale ? La réponse n’est pas évidente.
Le rôle de l’école doit-il être de former des producteurs adaptés au marché du travail ou d’abord de former des individus capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent et d’agir sur lui : c’est-à-dire de former des citoyens, le travail étant alors compris non seulement comme moyen de gagner l’argent nécessaire à une vie décente, mais aussi comme élément fondamental de socialisation.
Les TIC peuvent être un outil au service du monde éducatif, elles doivent permettre de désenclaver les écoles, les mettre en relation entre elles, avec le monde (les musées, les centres de recherche et bibliothèques par exemple, etc.), mais plus encore, elles permettent de penser différemment la pédagogie elle-même par l’entrelacement, la combinaison, l’intégration des matières. On peut faire de l’art ou des mathématiques tout en apprenant l’histoire... L’apprentissage de certains concepts scientifiques ne serait-il pas plus aisé s’il était présenté dans son contexte historique d’élaboration ?
Et a contrario, la compréhension de l’histoire ne serait-elle pas plus aisée si les grands événements, les grandes transformations politico-économiques étaient mises en relation avec le développement des sciences et des techniques comme du reste le prône Bertrand Gille (Voir [Gille, 1978]). Ce morcellement de l’enseignement de l’histoire qui n’est même plus aujourd’hui présentée de façon chronologique n’est pas neutre non plus. L’enseignement de l’histoire est un enjeu idéologique majeur. Les « révisionnistes », qui nient le caractère génocidaire du nazisme et les chambres à gaz ou qui pratiquent avec complaisance l’amalgame communisme/nazisme, l’ont bien compris.
Bien sûr, cette problématique rejoint celle de la formation des enseignants et de la structure même du métier d’enseignant. Elle
nécessite de plus un vaste débat, une prise de conscience, et va de pair avec un bouleversement des structures sociales.
13.4.4 - Connaissance et information
De même, en ce qui concerne plus globalement la culture, l’information, la connaissance, la communication, les problèmes ne sont posés qu’en termes techniques, or il s’agit de questions de fond, questions qui, du reste rejoignent celle de l’enseignement. Il est nécessaire de distinguer entre connaissance et information. En effet, un mythe (ou plus exactement en la matière, un argument commercial) veut que le fait d’avoir une énorme quantité d’information (non nécessairement vérifiée, et par nature labile) accessible quasi instantanément augmente automatiquement la connaissance et la culture moyennes, il n’en est nen. Notre représentation du monde se trouve modifiée, les constantes de temps et de lieu sont bouleversées.
L’information prend le pas sur la réflexion, le savoir sur la conscience, le temps de l’analyse est dévalorisé. Là encoie le temps apparaît comme la ressource rare non renouvelable, un luxe du vingt et unième siècle .
Le degré de la lenteur est directement proportionnel à l’intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli (Milan Kundera).
13.4.5 - Cyber-révolution Scientifique et Technique
Comme on a pu le voir tout au long de ce chapiüe, les problèmes posés concernent l’humanité tout entière et solidairement, illustrant ainsi ce que nous avons nommé communauté de destin de l’humanité. Ces problèmes ne sont plus seulement techniques. Hors leur aspect politique majeur au niveau de l’organisation de la vie humaine sur la planète, ils posent des
problèmes éminemment scientifiques et qui ne peuvent être résolus que par une activité scientifique sans commune mesure avec ce qu’elle est actuellement et menée en coopération mondiale.
Décréter la mobilisation générale pour la recherche. L’urgence et la dimension des problèmes nécessitent, sous peine de problèmes terribles à court terme154, un investissement massif de la société dans la recherche, bien au-dessus des 3 % avancés par certains.
L’activité scientifique sous toutes ses formes doit devenir centrale dans l’activité de la société, et elle est contradictoire avec la recherche du profit maximum dans le minimum de temps, c’est-à-dire avec le capitalisme. Il ne s’agit pas seulement de raisonner en termes d’argent investi, il s’agit d’état d’esprit. La force de travail sociale doit être tournée tout entière vers la résolution des problèmes que rencontre et va rencontrer la société humaine, c’est la condition pour éviter la régression. Les problèmes qui nous sont posés nécessitent du temps pour être résolus, pour qu’on leur trouve des solutions d’une part, pour les mettre en œuvre, d’autre part. Par ailleurs l’ampleur et la diversité des problèmes nécessitent de tenir un « front » de la recherche le plus large possible, il faut une armée de recherche nombreuse, motivée et portée par la société dans son ensemble. Les médias de masse ont là un rôle à jouer, très loin de ce qu’ils font actuellement et du « star système ».
Nous n’avons abordé ici que des problèmes immédiatement perceptibles, mais bien d’autres se profilent à l’horizon. Ils concernent directement la vie sur cette planète. Ainsi en est-il de
l’avenir des courants marins et donc du climat, du système nuageux de l’atmosphère, des pandémies etc.
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Nous allons essayer d’esquisser dans ce chapitre les grandes lignes de ce que pourrait être le dépassement du capitalisme puisque cette expression, reprise de Marx, fait aujourd’hui florès, mais souvent sans trop savoir ce quelle recouvre.
Pour ce faire il nous faut adopter une démarche à caractère scientifique car c’est dans la dynamique de l’évolution de la composition organique du Capital que se trouve la clef de l’objectivation de ce dépassement.
La démarche marxiste ne consiste pas essentiellement à mettre en accusation le capitalisme, contrairement à ce qu’en pourrait laisser croire une vulgate répandue, mais à montrer son historicité, son caractère transitoire. Le capitalisme n’est pas la fin de l’histoire, quoi qu’en pensent et écrivent ses laudateurs et propagandistes. Il a lui-même une histoire et donc une logique interne, un début et une fin.
Tout ce qui vit, naît, se développe, et meurt, donc en particulier le capitalisme.
Le but de l’analyse marxiste de la société, ce qui lui confère sa scientificité, c’est d’essayer de mettre en évidence cette dynamique en identifiant les forces en mouvement, de montrer où elle conduit, obligeant ce système de production et d’échanges à
constamment tout révolutionner en son sein, pour finalement, accoucher du communisme. Le communisme ne serait ni possible ni concevable sans la nature révolutionnaire du Capital lui-même. Toute la puissance théorique du marxisme tient à ce qu’il considère de façon unitaire, (unité dialectique des contraires), ces deux aspects de ce mode de production et d’échanges. C’est seulement en procédant ainsi que l’on peut comprendre la perspective historique qui mène du capitalisme au communisme.
Les considérations morales n’ont pas leur place ici. Il ne s’agit pas ici de morale, mais tout simplement de logique interne du système de production et d’échange qui se nomme capitalisme. La condamnation morale du système ne saurait être une cause de son obsolescence, c’en est au plus, une conséquence.
14.1.1 - La logique mortifère du Capital
C’est dans la logique même du capitalisme qu’il nous faut trouver les raisons profondes, et les forces qui le conduisent à sa perte, celles qui expliquent pourquoi il est daté, et pourquoi il viendra un moment où il faudra passer à une forme supérieuie d’organisation de la production et des échanges. Mais encore une fois, on ne le répétera jamais assez sous peine de se laisser aller à une vision mécaniste de l’histoire, il n’y a nul automatisme en la matière, il s’agit là d’une condition nécessaire, mais pas suffisante. C’est aux hommes conscients, d’assurer la transition, le passage à une société supérieure, ou de sombrer dans un recul de société dramatique, voire une régression, ou une disparition même de l’humanité niant certes le capitalisme, mais « par le bas ».
14.1.2 - La composition organique du Capital
Du point de vue qui précède, celui du système technique, l’informatique joue aujourd’hui un rôle majeur. Elle permet la
naissance d’un nouveau système technique, celui qui est marqué par ce que les idéologues de la bourgeoisie ont appelé mondialisation. La mondialisation n’est possible que grâce à rinformatique, elle est in fine un système technique qui se meut au sein du capitalisme lui-même dont elle permet une réorganisation et une accélération du cycle de valorisation du Capital. Dans une première phase, l’automatisation a permis d’augmenter considérablement la rentabilité du Capital au niveau des unités de production par amélioration de la productivité du travail et donc élimination massive de travail vivant. Dans la phase que nous vivons aujourd’hui, on passe à l’échelon supérieur, l'informatique permet de faire passer la production de travail vivant au niveau conceptuel, à l’échelle planétaire. La production a lieu dans des usines automatisées dont la localisation est indifférente, et le travail vivant tend à se déplacer dans la sphère de la gestion et de la conception. Usines et laboratoires ou bureaux d’études, organismes financiers forment alors un tout unique. L’informatique permet de donner au système une cohérence à la fois plus étendue et plus forte, qui va du cycle de la conception à celui de la distribution en passant par celui de la production. Cette évolution du système technique concerne aussi la nature des objets produits. Il y est indifférent que les objets soient matériels (palpables) ou non palpables, qu’il s’agisse de produire des automobiles ou des logiciels d’ordinateur, des jeux vidéo, des films numériques enregistrés sur support magnétique et retransmis, dans des salles spécialement équipées, depuis un satellite. Les grands groupes aujourd’hui ne confinent plus leur activité à un secteur particulier, ils agissent là où il y a du profit à faire, qu’il s’agisse de l’eau ou du marché du film cinématographique. Cette nouvelle organisation du Capital est transfrontalière. Elle n’a plus besoin des Etats tels qu’ils ont émergé de l’histoire, il n’est plus besoin que
d’États jouant un rôle de régulateur des tensions sociales. Dans le même temps, l’organisation territoriale et politique en régions autorise une stabilité politique forte. C’est ce que recouvre le vocable « mondialisation ». De ce point de vue il ne peut y avoir une bonne mondialisation pour le monde du travail. La mondialisation est une forme moderne d’organisation du capitalisme à l’heure de l’informatique en réseau. Le mouvement révolutionnaire n’a pas à se fourvoyer dans une lutte « pour une autre mondialisation ». Il a su il y a déjà quelques décennies avancer le concept d’internationalisme, bien plus riche et susceptible de solidarités et mobilisations.
Restent quand même des activités de main-d’œuvre, là où les esclaves coûtent encore moins cher. De ce point de vue, la composition organique du Capital doit se comprendre au niveau global de la production. C’est l’informatique qui donne sa cohérence au système technique de production et c’est ce qui nécessite qu’on ne considère plus la composition organique du Capital que de façon globale.
Nous l’avons dit, c’est dans cette composition organique du Capital que se trouve la contradiction fondamentale, et dans la dynamique de l’exploitation elle-même. En effet, la logique du mode de production Capitaliste consiste à réduire sans cesse le rôle du travail vivant dans la composition du Capital en accumulant tant et plus de Capital constant. Dans la mesure où toute valeur est déterminée par le temps de travail vivant (social, moyen) c’est le principe même qui régit le système qui est mis en cause. Dans la composition du Capital, le temps de travail tend à jouer un rôle de plus en plus négligeable par rapport à l’ensemble du Capital matériel, (ou Capital fixe), c’est ce qui s’exprime sous une autre forme dans la baisse tendancielle du taux de profit.
14.1.3 - Le travail humain, mesure de toute valeur
Or, et c’est là le nœud du problème, le système continue, par sa logique même à mesurer toute valeur en temps de travail social et à régler ainsi tous ses échanges, alors que ce même système tend à rendre ce dernier négligeable, en valeur relative bien sûr. Cela est manifeste avec les investissements engagés en informatique et dans toute la production moderne. C’est ce qui tend à faire du capitalisme un système obsolète puisque, non seulement inadéquat au développement économique en ce sens qu’il répond de manière inadaptée aux besoins réels de la société humaine, de toute la société, de tous les humains, mais parce qu’il est frein à celui-ci. Mesurer la valeur en temps de travail social revient alors à mesurer l’éternité en secondes !
14.1.3.1 - Un mouvement contradictoire
Bien sûr, là non plus, rien n’est linéaire. D’autres facteurs viennent contrecarrer cette tendance. En particulier, c’est en étendant son champ d’action à de nouvelles activités que le Capital cherche à échapper à cette contradiction, d’où la tendance lourde à la marchandisation de toute activité. Il opère alors un développement extensif qui nécessite du travail vivant par l’investissement de nouveaux champs d’activité, par l’extension à d’autres territoires. On a précisément un exemple de ce phénomène avec l’industrie informatique ou la téléphonie mobile, mais tout cela n’a qu’un temps. Sur ses activités « traditionnelles » — et les nouvelles deviennent vite traditionnelles — le Capital continue son développement intensif pour lutter contre la baisse du taux de profit.
C’est aussi cette nécessité d’investir de nouveaux champs qui rend le capitalisme à la fois conquérant et prédateur, nuisible. Tout doit passer sous ses fourches caudines. Il ne faut pas chercher plus
loin l’explication de la tendance à la marchandisation de toute activité humaine. Elle ne dépend en rien du bon vouloir, de la bonté ou de la méchanceté des uns ou des autres. Elle est inscrite en lettres de feu dans le mode de fonctionnement du capitalisme : conquérir ou mourir, telle en pourrait être le résumé.
14.1.4 - La production de valeur en informatique
La prégnance de l'informatique et des réseaux dans le système de production moderne oblige à se poser la question du statut de ce qu’on y produit. Pour l’essentiel, des services. Toutefois un certain nombre de productions, essentielles d’ailleurs au développement de l’informatique et de la production moderne en général revêtent un caractère nouveau.
La proportion entre travail mort et travail vivant devient absolument déséquilibrée en faveur du travail mort, quand le travail vivant, comme noté ci-dessus, ne consiste pas en fait en une stérihsation de la force de travail pour préserver le caractère marchand. L’acheteur de logiciel n’achète en fait qu’un droit d’usage dudit logiciel1'", c’est-à-dire un service. L’éditeur de logiciel lui a intérêt à vendre son logiciel au plus grand nombre possible et plus il le vend, plus la disproportion entre Capital fixe et Capital variable s’accentue dans la composition organique du Capital.
14.1.5 - Le capitalisme, système inhumain
La négation incessante du travail humain fait du capitalisme un système qui tend à devenir, au sens propre, non humain puisqu’il a de moins en moins besoin des hommes. Le capitalisme est inhumain, et non seulement il n’a besoin que de très peu d’hommes, de moins en moins, mais en plus, ceux dont il n’a pas 155
besoin sont des freins à son expansion, et un danger pour lui. Au mieux, il cherche à les marginaliser, au pire à les exterminer. La pérennisation du système se fait en conquérant d’autres territoires à la production marchande. Ainsi en est-il de l’informatique qui permet de transformer du travail intellectuel en travail mort à un niveau inégalé auparavant.
14.1.6 - La question du communisme
Sans vouloir trop s’étendre sur le concept lui-même qui a évolué tout au long de l'œuvre de Marx, de Misère de la Pltilosophie au Manifeste et à L’Idéologie allemande en passant par Le Capital, comme après, chez Lénine ou Luckacs, nous adopterons ici en première approche le point de vue suivant.
14.1.6.1 - Socialisme ou communisme P
Socialisme renvoie plus ou moins, par l’usage, à des formes organisationnelles : propriété sociale des moyens de production. Etatisation ici, nationalisation là, coopératives ailleurs, etc. Le socialisme est un état des choses existant, une organisation nécessairement transitoire. Du reste on touche là à une des questions majeures qui est posée au mouvement communiste aujourd’hui. S’il est désormais clair que les formes de propriété propres à la société Capitaliste doivent être dépassées ou abolies, la question des formes de la propriété collective, sociale, des moyens de production et d’échange est de nouveau ouverte, mais sous une forme renouvelée, à la lumière des développements des lorces productives. Ces formes ne peuvent pas, pour l’essentiel, reprendre celles qu on a connues. Les formes de propriété collectives à inventer hors du champ du système Capitaliste ne peuvent exister hors d’une conception citoyenne renouvelée, à bâtir, intégrant la dialectique du local au global, de l’individu au citoyen, de la collectivité locale à la nation, de la nation à
l’humanité tout entière. L’informatique peut être là un outil formidable pour aider à la citoyenneté.
Le Communisme est une négation, au sens dialectique, d’un état des choses existant, le capitalisme. Pour reprendre la formule désormais célèbre :
« Le communisme n \est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité de\ra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. »
C’est le mouvement de la valeur qui est décrit ici. Le mouvement réel dont il est question, c’est celui de la composition organique du Capital précédemment décrit qui conduit à la négation du mode de production Capitaliste par négation de la valeur travail. Le Communisme est vu ici comme le mouvement qui conduit à la négation du capitalisme compris comme mode de production et d’échanges, la négation de la primauté du rapport marchand dans le processus d’hominisation, voire la négation pure et simple de ce rapport. Ici négation, veut dire négation dialectique, c’est à dire dépassement, c’est à dire aussi intégration d’un certain nombre d’acquis tant dans des formes d’organisation de la société que dans les rapports entre individus et collectivité. Ce qui a amené l’homme à se distinguer du reste du règne animal c’est le fait qu’il doive produire lui-même sa subsistance, les conditions de son existence. Une ère s’achève qui va du moment où les hommes ont commencé à fabriquer de leurs mains des outils, à créer techniques et technologie, à aujourd’hui, où les techniques et la technologie sont tellement développées qu’il devient envisageable, à un horizon visible, car tout s’accélère, d’éviter aux hommes d’avoir à produire leur subsistance.
14.1.7 - La production sans travail humain
Si jusqu’ici la production s’est organisée autour de l’exploitation du travail humain, de la mise en dépendance du producteur immédiat par rapport au détenteur des moyens de production et d’échange, le niveau atteint par nos forces productives permet d’envisager sérieusement la situation décrite par Aristote :
En effet, si chaque instrument pouvait par ordre ou pai' pressentiment, accomplir son œuvre propre, si, pareilles aux statues légendaires de Dédale ou aux trépieds d’Héphaïstos, qui, au dire du poète, « pouvaient d’eux-mêmes entrer dans l’assemblée des dieux » les navettes tissaient d’elles-mêmes, et les plectres jouaient de la cithare, alors les maîtres d’œuvre n auraient nul besoin de manœuvres, ni les maîtres d’esclaves.
14.1.8 - Une mutation humaine, un nouvel humanisme
Sommes-nous dans une phase telle du développement de l’humanité qu’on entre dans une mutation humaine, un saut dans l’hominisation, d’une importance analogue à ce que fut la Révolution Néolithique ? Est-ce là l’enjeu du Communisme ?
« ...commence là où cesse le travail, qui est déterminé par la nécessité et l’opportunité imposée de l’extérieur; il se situe donc, par nature, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite » [Marx, 1894] Livre 3 du Capital.
L’exploitation a été jusqu’ici consubstantielle à la production des objets nécessaires à la vie, au développement des forces productives, à la production de la valeur, à la production de la société elle-même. La sujétion du producteur vient de la pénurie de production, de la faible productivité, et de la façon de produire qui rend le producteur appendice de l’outil ou de l’appareil de production. D’ailleurs dans le même texte, un peu plus loin (partie 5) Aristote parlant de l’esclave le voit comme actionnant les navettes, comme force de travail. Ceci à cause précisément de la nécessité d’une action intelligente de l’homme dans l’acte productif, de la nécessité de prise de décision dans un univers non totalement déterminé. Dès lors que les problèmes ne se posent plus en termes de pénurie et que les fonctions de prise de décision et d’action complexe non prédéterminée sont l’apanage de la machine, l'intervention humaine dans le procès de production n’est plus qu’épisodique et se situe plutôt du côté de 1 expression de desiderata que du côté de la production matérielle proprement dite.
En fait, S. Lehman donnant sa vision d’une possible société future, nous fournit peut-être la clé du Communisme au sens eide ssus :
«L’argent est un signe de pauvreté, c’est-à-dire une caractéristique des économies primitives, fondées sur la gestion de la rareté (...) Dans une société avancée, capable de tout produire en quantités illimitées les formes classiques de l’échange comme le troc ou le commerce tombent d'elles-mêmes, et les symboles financiers qui leur sont associés n’ont plus déraison d’être (...) Un univers où les hommes ont cessé de craindre la mort ou le manque, où le travail est un choix et le pouvoir une question d’esthétique, où les plaisirs du sexe et du jeu, délivrés de l’opprobre sont omniprésents et librement partagés... » (L’Humanité Hebdo 19-20 Août 2000 p. 48).
F. Engels ne désavouerait sans doute pas une telle définition.
S’il en est ainsi, le capitalisme est le modèle achevé de toute forme d’économie marchande, il ferme l’orbe d’une histoiie multimillénaire qui est celle des forces productives matérielles de
l’humanité. Le Communisme serait alors la négation de cette histoire par la négation — dialectique toujours — de ces forces pxoductives, la seule force productive restante étant l’humanité elle-même.
Comme la bête d’Alien, Oussama ben Laden a grandi au sein de notre société. Il a été aimé par les Américains, qui 1 ont utilisé pour lutter contre les Soviétiques pendant la guerre de Tchétchénie.
R. Martineau, Voir, Québec Oct. 2001
C’est en ce tout début de XXIe siècle, au plus fort de la domination technologique des USA que quelques fanatiques armés de cutters bafouent toutes les protections technologiquement les plus sophistiquées et touchent au cœui même du plus puissant des États impérialistes.
On a là, l’illustration a contrario de la puissance des TIC. Dans la seconde qui suit l’événement, le monde entier est au courant. Le « village planétaire » est en marche. La puissance de la technologie révèle toute la fragilité du système dans laquelle elle se meut.
Le 11 septembre 2001 à 15 heures ; heure française, un avion de ligne, un Boeing 767, est lancé contre 1 une des tours jumelles à New York. Dans les minutes qui suivent, la deuxième tour est attaquée de la même façon, le Pentagone à Washington aussi, et un avion de ligne abattu ( ? ?) qui devait aussi servir de bombe contre, semble-t-il, la maison blanche. Trois mille morts, les principaux dirigeants capitalistes en état de choc, le président
américain Bush appelant à la croisade, les peuples plus circonspects malgré une déferlante de propagande éhontée complaisamment relayée par toutes les télévisions du monde sous la coupe US156.
Paradoxalement cet attentat marque le retour de la dimension humaine dans un monde à la technologie hyper sophistiquée et élevée au rang de mythe. C’est avec de dérisoires armes blanches que des fanatiques décidés ont déjoué toutes les protections technologiques et mis à mal non seulement le mythe de l’invincibilité américaine, mais aussi celui de sa toute-puissance technologique. Le bouclier anti-missile à plusieurs milliards de dollars peut être percé par un simple canif de poche.
Terrorisme ? Il s’agit sans aucun doute possible de terrorisme, et du pire qui soit. Toutefois, une fois encore on ne peut s’empêcher de citer K. Marx tout en pensant à l’attitude de l’impérialisme US (et plus généralement occidental) :
« Les outrages commis par les Cipayes révoltés en Inde sont réellement épouvantables, affreux, indicibles — comme ceux qu ’on ne s'attend à voir que dans les guerres de mutinerie, de nationalités, de races, et par-dessus tout de religion ; en un mot, comme ceux que la respectable Angleterre avait coutume d’applaudir lorsqu’ils étaient perpétrés par les vendéens contre les « Bleus », par les guérilleros espagnols contre les français infidèles, par les serbes contre leurs voisins allemands et hongrois, pai~ les croates contre les rebelles viennois, par la garde mobile de Cavaignac ou les
Décembristes de Bonaparte contre les fils et les filles de la France prolétarienne. Aussi infâme que soit la conduite des Cipayes, elle n’est que le reflet, sous une forme concentrée, de la propre conduite de l’Angleterre en Inde... » K. Marx, New York Daily Tribune 1857
La mondialisation, source de terrorisme. Nous l’avons vu, l’informatique autorise une réorganisation du procès de production capitaliste à un niveau global, un système à la fois intégré et délocalisé. Intégré dans son processus de valorisation du Capital, délocalisé dans ses unités de production, mondialisé en ce sens qu’il tend à former un tout unique et cohérent.
Le développement du capitalisme s’est fait à coup de creusement des inégalités de développement des nations et des peuples. La différence de statut social, de revenu ou de consommation d’énergie par tête n’a jamais atteint une telle proportion sur la planète au cours de l’histoire et cela s’amplifie. La révolution scientifique et technique n a atteint 1 Amazone ou l’Afghanistan qu’à travers les bombes ou la déforestation.
Début 2020, il y avait sept milliards cinq cent millions d’êtres humains sur terre, un milliard trois cents millions vivant sous le signe de la pauvreté absolue, avec moins d’un euro par jour poui vivre et sans bien sûr d’accès à l’eau potable “C Quatre-vingt-six pour cent du produit intérieur brut mondial (PIB) sont détenus par vingt pour cent de la population, alors que les vingt pour cent de la population mondiale les plus pauvres ne détiennent que 1 % dudit PIB. 157
Les trois personnes les plus riches du monde, dont Bill Gates, grâce à la vente d’un logiciel de mauvaise qualité, ont un revenu supérieur à la somme des PIB des pays en développement comprenant plus de six cents millions d’habitants.
Comme l’exprime l’abbé Pierre : « La misère est encore plus tenible lorsque la télévision entre dans les favellas. La conscience de la misère, c’est en plus l’humiliation, et lorsqu’on peut accéder à la technologie, l’humiliation cela incite à la \tiolence. »
Le développement impétueux des forces productives du capitalisme, son caractère prédateur et conquérant ont laissé de côté nombre de peuples et de territoires qui en sont restés pour certains au Moyen Âge, pour d’autres encore à la tribu primitive. De la forêt amazonienne au Chiappas, en passant par Doha, Islamabad ou Kaboul, les laissés pour compte se comptent par milliards. D’autres aussi, subitement projetés du moyen âge à la technologie du XXP siècle y perdent tout repère et raison. La technologie moderne associée à l’idéologie des croisades, cela peut faire de gros dégâts, d’un côté comme de l’autre. Ainsi se crée un monde qui ressemble à une mosaïque.
Mais le patchwork en question n’est pas seulement spatial, il ne va pas seulement de Freetown à Douala. Le creusement des inégalités, la logique de l’exclusion, se retrouvent au sein même des pays développés. La baisse drastique de la part de travail vivant dans la production entraîne l’exclusion massive des hommes du procès de production capitaliste. Il ne s’agit plus seulement là de l’armée de réserve du Capital dans laquelle il vient puiser selon ses besoins en main d’œuvre bon marché. Si ce caractère n’a évidemment pas disparu, un autre apparaît, consubstantiel au développement actuel du capitalisme, nous l’avons déjà dit, c’est la
négation du travail vivant dans le processus de production capitaliste.
Les individus trouvent alors d’autres relations entre eux, y compris des relations économiques, hors du circuit marchand. Il vaut mieux en France aujourd’hui, pour une jeune personne seule avec un enfant, vivre avec le RSA qu’être caissier ou caissière dans une grande surface. Le SMIC — salaire minimal — est dramatiquement, honteusement, bas. Comment peut-on accepter que le salaire, rémunérant donc un travail, puisse ne pas permettre à un travailleur de se nourrir ou se loger. Il existe aujouid hui en France des travailleurs qui sont SDF (sans domicile fixe) cai leur salaire ne leur permet pas de payer un loyer. La prise en charge sociale n’est évidemment pas financée par le Capital, la CSG (contribution sociale généralisée) française est prélevée sur les salaires comme la contribution solidarité. En fait on fait payer par le salariat l’exclusion, générée par le Capital, du monde du travail d’une partie de la société. Ainsi apparaissent des zones de non travail, de non droit, de non citoyenneté car seul le travail est source de socialisation. C’est un délitement de la société sous l’influence du mode de production capitaliste dans sa phase appelée mondialisation, qui est en cours.
Dans cette situation, c’est vers des situations conflictuelles de révolte extrêmement violente que s’oriente le capitalisme. Il en a conscience. La suppression du service militaire en France et l’orientation militaire qui consiste à créer des troupes d’intervention, capables d’« être projetées sur un théâtre d’opérations », même sous couvert humanitaire en est une illustration caricaturale pour qui veut bien regarder les choses en face. Il s’agit bien là d’une police chargée de préserver l’ordre capitaliste mondialisé. Police planétaire à laquelle la bourgeoisie
française entend participer pour préserver ses intérêts propres, avec la bénédiction de la social-démocratie. Là encore c’est la réorganisation du capitalisme qui objective cette organisation, et c’est la technologie moderne qui la permet.
Du reste, si la bourgeoisie française utilise la litote pour montrer le bout de l’oreille de sa politique, du fait que le mouvement anticapitaliste n’est pas complètement déliquescent en Europe et en France, et a encore des traditions de lutte et des principes, les dirigeants US eux ne s’embarrassent pas de scrupules. Le carnage de New York et Washington a permis aux dirigeants US de donner libre cours à leur discours belliciste, menaçant militairement tout Etat, tout mouvement, qui s’opposerait, ou serait considéré par les US comme s’opposant, à leur hégémonie et à l’ordre qu’ils entendent imposer. Le simple rappel de la déclaration de Hillary Clinton au lendemain des attentats est édifiant :
« Désormais il y a ceux qui sont a vec l’Amérique et ceux qui sont contre l’Amérique. Ceux qui s Apposent à la mondialisation sont contre l’Amérique... ».
Le message est clair. Du reste, en lisant entre les lignes, on se rend compte que le message s’adresse aussi aux « alliés » des Etats Unis. Les USA entendent être les maîtres du monde, et exigent des autres grands pays capitalistes l’allégeance du vassal, celle que le seigneur féodal devait au roi, y compris en leur faisant lever l’ost pour appuyer les aventures guerrières des cow-boys de Washington. Le monde entier aura pu voir à la télévision le Président de la République Française déclarer publiquement à Georges Walter Bush, président minoritairement élu des Etats-Unis « You are the Boss ! »
Aux USA même, les lois ont été modifiées pour que le FBI ou les services de sécurité puissent arrêter et juger à huis clos des individus simplement suspects. Il y aurait entre 1 000 et 1 200 personnes, ressortissants étrangers essentiellement, détenus totalement arbitrairement dans les prisons US. Sommes-nous confrontés à une fascisation des USA, comme semblent le penser les deux journalistes de renom John Stanton et Wayne Madsen ?
« Historians mil record that between November 2000 and Februaiy 2002, democracy-as envisioned by the creators of the Déclaration of Independence and die U.S. Consdtudon-eifecùveJy came to an end. As democracy died, die Fascist American Théocratie State ["The State"] was boni. Tins new fascist era was designed and implemented primarily by Republican organizadons and individuais who funded, supported and uldmately inserted George Bush II in office'"" »
La violence. La violence exacerbée de ce système, sans doute l’un des plus inhumains, de l’histoire a engendré le monstre. Le capitalisme, par sa logique même de production tend à nier l’humain en tant que producteur tout court et de lui-même en particulier, nous l’avons vu.
Quelle déstabilisation ? Il ne fait aucun doute que le passage à une société supérieure se fera à travers une phase d’une violence extrême, dans laquelle nous sommes peut-être déjà entrés. Cette 158
violence est déjà le cas au quotidien. Il est peu probable que cette violence vienne des forces progressistes, elles n’y ont nul intérêt. Cette violence ne peut être le fait que du capitalisme lui-même prêt à tout pour se préserver, ou des forces qu’il a secrétées pour combattre l’aspiration communiste d’une part, les luttes de libération nationales d’autre part. Et ceci, il est prêt à le faire à n’importe quel prix, fût-ce, on l’a vu au prix fort en vies humaines et destructions majeures pour l’humanité.
Les évènements du 11 septembre 2001 ont servi de prétexte aux USA pour déployer la plus formidable armada militaire à travers le monde avec velléité d’intervenir partout où les États-Unis y ont un intérêt quelconque.
Cette fébrilité guerrière est motivée par la situation économique mondiale du capitalisme, la crise. La linanciarisation de l’économie, comme nous l’avons montré, est telle qu’elle rend le système fragile à l’échelle planétaire et que les mécanismes internes de celui-ci ne jouent plus suffisamment leur rôle stabilisateur. Les dirigeants US en profitent, dans la mesure où ils pensent représenter d’une certaine façon les intérêts du Capital international (la fameuse mondialisation), pour prendre le pas sur l’ensemble du monde capitaliste, et du monde tout court. C’est ce qui explique aussi la vassalisation acceptée de bonne grâce de pays comme la Grande-Bretagne en premier lieu, mais aussi la Lrance, ou l’Allemagne, l’Europe actuelle n’étant qu’une construction de défense du capitalisme européen au sein de la mondialisation et d’imposition des dogmes libéraux. L’Europe actuelle dans ce contexte n’est, et ne peut-être, qu’une pièce de la mondialisation.
La République Populaire de Chine aujourd’hui, conteste l’hégémonie US et occidentale dans tous les domaines, reprenant la place dans le monde que lui avaient fait perdre les aventures
militaires néocoloniales occidentales. L’émergence de la République Populaire de Chine sur la scène économique, scientifique, technologique mondiale est en elle-même un gage de déstabilisation du système capitaliste mondial. La déstabilisation du capitalisme émergera du cœur même du système, hors des ornières de l’obscurantisme ; mais le chemin sera difficile.
L’issue, le développement, pas la guerre. Il ne faudrait pas au nom de la nécessaire déstabilisation du capitalisme entretenir la moindre confusion. Il n’y a ni ne peut rien y avoir de commun entre le mouvement révolutionnaire et les intégristes religieux, de quelque obédience soient-ils. Pas plus qu’avec les intégristes néonazis qui sévissent aux USA mêmes. Il en va par contre également de la responsabilité du mouvement démocratique d’aider les forces progressistes des pays dominés par ces intégristes obscurantistes, dans les pays sous-développés, mais aussi dans les pays développés économiquement comme les USA où l’obscurantisme a pignon sur rue, voire à la Maison Blanche. Les forces laïques des pays européens ont eu, en leur temps, à combattre leurs propres intégristes religieux et ont su gagner cette bataille, à une époque où la bourgeoisie était encore révolution-nan e.
Il serait d’ailleurs du plus grand intérêt de l’Europe, et de la France, en particulier de se désolidariser de la façon dont les USA entendent combattre le terrorisme intégriste en pratiquant eux-mêmes un terrorisme d’État avec des armes et des médiodes inadaptées et donc militairement inefficaces à ternie et qui risquent au contraire de cristalliser les mécontentements du monde musulman. La lutte contre l’obscurantisme et contre le terrorisme qu’il nourrit passe par le développement, pas par la guerre.
L’Occident ne doit toutefois pas apparaître comme « apportant la bonne parole ». Le développement doit se faire par la
coopération scientifique technique, culturelle, le respect et la valorisation des cultures des différents peuples et non leur uniformisation, c’est par leurs entrelacements et pénétrations que doit se faire ce développement. C’est la seule façon d’amorcer une véritable sortie du sous-développement, en donnant les moyens, humains avant tout, aux pays dits sous-développés, de sortir de la géhenne dans laquelle les plonge la mondialisation. Les forces productives de l’humamté doivent être mobilisées pour éradiquer le sous-développement et la misère. La recherche et le développement doivent être réorientés dans le même sens et dans le même but. Le but de l’humanité doit être sa pérennisation et le développement harmonieux des individus qui la composent, la communauté de destin de l’humanité encore !
Des citoyens ou des consommateurs ? Dans les sociétés capitalistes développées comme les USA, la France... les ravages du capitalisme mondialisé se font sentir au niveau de la décomposition des sociétés. Les revendications autonomistes en sont une manifestation éclatante. C’est parce que la citoyenneté s’est étiolée que ces revendications ont pu se faire jour. C’est parce que les hommes et les femmes veulent pouvoir agir sur leur quotidien, et que les structures politiques actuelles ne le leur permettent pas, car elles ne sont pas fondamentalement là pour ça. La régionalisation est de ce point de vue la pire des choses pour en revenir à la mosaïque précédemment évoquée. Le niveau régional est très confortable d’un point de vue organisationnel pour le Capital en mondialisation. En effet, le citoyen peut ainsi avoir l’illusion de choisir la couleur des fleurs du rond-point à côté de chez lui, mais on est assuré qu’il ne pourra pas intervenir au niveau global des choix structurant la vie politique, ni surtout perturber la bonne marche des affaires.
La Cyber-révolution scientifique et technique portée par l’informatique permettrait pourtant un renouvellement de la citoyenneté. Dans un premier temps, la réintégration massive dans le monde du travail par une baisse significative de la durée du temps de travail salarié, aux environs de dix-huit à vingt heures par semaine aujourd’hui. Cela est possible, mais contradictoire avec la recherche forcenée du profit maximal dans le minimum de temps. Cela libère du même coup du temps pour la citoyenneté, pour l’intervention dans la vie de la Cité. D’autre part, cette même Cyber-révolution scientifique et technique autorise une réorganisation totale du travail lui-même pour lui ôter son caractère abrutissant et aliénant dans la plupart des cas. Une autre façon de travailler est aujourd’hui possible qui favorise l’épanouissement des individus.
Parlons morale. Le capitalisme en général, mais le capitalisme des anglo-saxons protestants blancs (wasp) plus encore, disert en matière de morale, a transgressé toutes les barrières morales de l’humanité, les droits de l’homme les plus élémentaires. Sans parler des actes de terrorisme d’État, suscités, couverts ou payés par les USA, comme l’assassinat d’un million de communistes en Indonésie, de présidents de la république légalement et démocratiquement élus, comme Salvador Allende au Chili, Soekarno en Indonésie, Mossadegh en Iran, ou J.F. Kennedy aux USA même, des actes de terreur au Nicaragua, Guatemala, Colombie, Mexique, Irak, Yougoslavie, Soudan, Afrique, Honduras, etc., demain peut-être au Venezuela, au Brésil, les tentatives de débarquement à Cuba ou de tentatives d’assassinat de Fidel Castro ? Bien entendu, quiconque verrait un rapport entre l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie, les événements d’Afghanistan, le pétrole de la mer Caspienne et des républiques d’Asie centrale ferait preuve de mauvais esprit. La liste n’en finit
pas des actes de terrorisme défiant le droit international et la morale. Pour conquérir le monde, les USA n’ont pas hésité à l’usage de la guerre bactériologique (la peste en Corée, la variole avant contre les indiens, la fièvre porcine à Cuba), de la bombe atomique (Hiroshima et Nagasaki), de l’utilisation massive de l’arme chimique (la dioxine au Vietnam), l’uranium appauvri en Yougoslavie et en Irak, le terrorisme en Afghanistan et ailleurs. Les USA ont utilisé les pires moyens que jamais leurs adversaires, même au plus fort de la guerre froide n’ont utilisé. Création massive et manipulation de sectes, utihsation de l’obscurantisme religieux (création quasiment ex nihilo des talibans en Afghanistan), trafic de drogue, compromission avec les mafias au plus haut niveau de l’État (assassinat de J.F. Kennedy), etc. À part le nazisme avec sa pseudo « théorie » de la race supérieure et l’extermination massive des Juifs, des Roms, des Tziganes et plus généralement de tout ce qui était considéré comme inférieur, aucun autre système jusqu’ici n’était allé jusque-là. Comment une nation qui s’est fondée sur, un génocide, une expropriation année et annexion massive de territoires, l'apartheid, peut-elle prétendre, sans jamais être revenue sur son passé, donner « la » moral à l’humanité ?
Il ne faut pas s’étonner après cela que pour des esprits faibles, manipulés par des sectes millénaristes, il n’y ait plus de barrières morales, où trouveraient-ils des points de repère ?
Le terrorisme quotidien. Le terrorisme du Capital est aussi quotidien, ordinaire, banal, ou plutôt banalisé.
La marchandisation du vivant, rendue massivement possible par la révolution scientifique et technologique, est déjà, en soi une négation d’humanité159 160. L’élimination systématique du travail vivant grâce à la technologie, entraîne, en système capitaliste, la marginalisation de toute une partie de l’humanité, et une violence faite à la société. C’est l’une des causes de la révolte inconsciente d’une partie de la jeunesse des banlieues françaises et du sentiment de paupérisation accrue des gilets jaunes. De façon plus prosaïque, dans le monde, selon la FAO, environ trente-cinq nulle enfants meurent chaque jour de manque de soins et de malnutrition à cause de l’exploitation du Tiers-Monde.
Au niveau de développement qu’ont atteint nos forces productives, personne ne devrait avoir faim dans ce monde, tout enfant devrait aller à l’école au moins jusqu’à seize ans, tout malade devrait recevoir gratuitement les soins nécessaires à son état, aucun être humain ne devrait être contraint à se prostituer. Il s’agit là de crimes contre l’humanité, de crimes contre l’humain.
Seul le nazisme, comme nous l’avons noté ci-dessus, produit de la crise du capitalisme, est allé plus loin dans l’inhumain. L’eugénisme guette, le clonage humain est pour demain, la race supérieure hante toujours certains cerveaux.
Ainsi la revue scientifique américaine New Scienùst signale que deux chercheurs américains, David Beeve et Matthew Wheeler, auraient mis au point un procédé capable de reproduire les étapes de la fécondation in vitro, à partir d’un ordinateur1 L’enjeu : la sélection des gènes et la production en série, pour les animaux, bien sûr, rassurons-nous...
L’obscurantisme génère l’obscurantisme. Face à l’obscurantisme dans lequel baigne le peuple des États-Unis, le très bas niveau
culturel moyen dans lequel il est maintenu et face à la puissance économique, scientifique et technologique que représente cet État, comment faire pour déstabiliser le capitalisme mondial qui s’appuie dessus ? Telle est la question majeure qui est posée à tout anticapitaliste.
L’échec de la tentative européenne de construction socialiste et des luttes de libération nationales a laissé la voie libre à l’obscurantisme moyenâgeux des sectes et des multinationales. Des peuples bafoués, humiliés, exploités, des damnés de la terre n’ayant plus rien à perdre (même leurs chaînes ne leur appartiennent pas), ne voient plus leur salut que dans une fuite suicidaire. Peu leur importe de mourir, ils sont déjà morts, et la religion leur promet dans l’au-delà une vie étemelle de félicité ; éventuellement aussi pour certains de leurs proches. Comment hésiter dans ces conditions ?
Une régression humaine. Marx nous explique dans sa préface à la Contribution à la critique de l’économie politique que nous avons déjà citée, que :
«A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants (...) Alors commence une ère de révolution sociale. »
L’enjeu. Mais la révolution sociale en question peut ne pas aboutir, être étouffée, alors s’ouvre une ère de régression, et ce malgré un haut niveau de développement des forces productives. C’est l’enjeu auquel nous sommes aujourd’hui confrontés. Le capitalisme triomphant, mais en crise, contrarie les intérêts de l’humanité tout entière, déstabilise États et communautés, tente de
faire passer sous les fourches caudines du marché tout ce qui est culture et civilisation. L’enjeu est :
— soit de trouver maintenant (il y a urgence) une sortie dépassant le capitalisme par l’utilisation de la science et des forces productives matérielles de l’humanité pour le plus grand bien de la collectivité humaine ;
— soit de sombrer dans une régression majeure menée par des forces moyenâgeuses années par la technologie moderne, éventuellement relayées par des tentatives de réorganisation capitaliste.
Une telle régression pourrait ouvrir une longue période de déclin progressif de l’humanité. Celle-ci s’appuierait sur une technologie certes puissante, mais dévoyée, et se trouverait plongée dans un mysticisme stérilisant la pensée. L’histoire connaîtrait ainsi un nouveau Moyen-Âge remettant en cause les Etats comme régulateurs : il est aisé d’imaginer que des monopoles désincarnés joueraient alors le rôle des tribus antiques, les PDG celui de seigneurs de la guerre, CNN et ses annexes celui de magiciennes et Soros ou Bill Gates deviendraient les nouveaux gourous. Et combien de décennies (de siècles ?) de vraie ni s’écouler, avant que du fond de cette société et de ses contradictions ne se produise enfin un sursaut permettant l’émergence d’une société nouvelle à l’échelle planétaire.
Une telle régression peut aussi déboucher rapidement sur la disparition ou la quasi disparition de l’humanité, seules quelques tribus d’Amazonie, d’Afrique ou de la banquise assurant la relève, disparition provoquée par une catastrophe due à la non-prise en compte des intérêts supérieurs de l’humanité, soit même par des actes de guerre atomique ou bactériologique.
Dans un avenir proche, une tentative du type nazisme venant d’intégristes religieux, ou fascisante de la part des USA à l’échelle mondiale, l’un nourrissant l’autre, n’est pas à exclure, pas plus qu’une explosion (plutôt une implosion) des USA eux-mêmes dans une nouvelle guerre de sécession menée par les Etats qui contestent le pouvoir fédéral. N’oublions pas à ce sujet, que G. W. Bush lui-même, gouverneur du Texas contestait l’Etat fédéral. L’invasion du Capitole le 6 janvier 2021, lors de la défaite de Trump à l’élection présidentielle, montre bien l’actualité de cette question.
Science sans conscience. En fait, le développement technologique s’est fait sans être accompagné d’un nécessaire développement culturel, permettant la prise de conscience et l’appropriation sociale de ces avancées scientifiques et techniques. Il s’agit là d’une situation décrite par les philosophes des lumières et de façon prémonitoire par Rabelais « Science sans conscience ! » sauf qu’il ne s’agit pas là seulement de la ruine de l’ânie.
La Révolution française, la bourgeoisie étant alors classe révolutionnaire, avait su, elle, créer l’école laïque obligatoire et gratuite (il aura quand même fallu attendre 1905), le Conservatoire National des Arts et Métiers, pour former les vrais citoyens, c’est à dire des femmes et des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent et donc capables d’y faire des choix pertinents.
Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on est très loin de ces choix dans la plupart des pays du « monde libre », y compris en France. Cela marque, pour ce qui concerne la France, une régression majeure de la démocratie française une régression de la République. La réduction importante du temps de travail salarié à vingt heures permettrait cet exercice citoyen tout au long de la vie.
Cela autoriserait et objectiverait une autre conception du système d’enseignement et d’accès à la culture, permettant ainsi aux citoyens d’être en mesure de comprendre et d’agir sur les enjeux de société.
Bien plus, pour un certain nombre de pays qui n’en ont pas été nécessairement moteurs, le développement technologique dans le système capitaliste s’est fait contre les cultures des populations. La conception en étant une uniformisation sans âme au nom du sacro-saint marché et de la rentabilité d’un système de production qu’il s’agissait de « rationaliser », la bouteille de coca cola devant remplacer le thé dans le désert de Barhein, tout le monde devant manger Mc Do et aller à Disneyland. La mondialisation capitaliste frappe là où on ne l’attend pas forcément.
Une condition nécessaire (mais malheureusement pas suffisante) pour lutter contre cette violence, tant au niveau individuel que social, c’est l’accès à la culture. Mais là non plus il ne faut pas se tromper. Non seulement ce n’est pas suffisant, mais il 11e s’agit pas de n’importe quelle culture. C’est de celle de l’esprit critique dont il est question ici. Il est temps, dans tous les cursus, y compris ceux de sciences et techniques, à tous niveaux, de réintroduire des cours, conférences ou ateliers de philosophie. Il ne s’agit pas, on l’a vu, d’un supplément d’âme, mais d’une démarche vitale.
Quels droits de l’homme ? Il serait trop simple de stigmatiser telle religion plutôt que telle autre, toutes ont utilisé le fanatisme. Rappelons-nous Simon de Montfort : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens», ou, plus proche de nous, le pape Pie 12 bénissant la légion hitlérienne de la LVF161, ou encore en Inde, le
massacre des hindous par les musulmans au cours des XVIIIe et XIX1 siècles. Sans parler de la colonisation de l’Amérique latine par les Espagnols qui ont assassiné huit millions de Mexicains sur neuf millions. Toutes les religions toutefois n’ont pas été aidées dans la formation de leurs fanatiques par de grandes puissances technologiques. Au temps de Simon de Montfort, on passait les hérétiques au fil de l’épée, le travail était fatiguant et artisanal, le rendement faible. La révolution scientifique et technologique apporte un changement qualitatif dans la barbarie. Toutes ces religions dans leurs formes extrêmes tiennent un discours d’exclusion, raciste quant au fond. Qu’il s’agisse de « peuple élu » ou de « tuer tous les infidèles », ou des wasps se prenant pour l’élite du monde et installant l’apartheid comme système de gestion de la société.
Un discours instrumentalisé. Le discours sur les droits de l’homme apparaît dans ce contexte comme une hypocrisie de plus. Les idéaux généreux de la Révolution Lrançaise sont bien loin, même s’ils n’étaient pas exempts de contradictions eux aussi, ils sont en régression en Lrance même, le rouleau compresseur de « la construction européenne », nécessaire à la mondialisation du Capital, mesurant tout à l’aune anglo-saxonne ; le libéralisme, la concurrence libre et non faussée, (c’est-à dire le renard libre dans le poulailler libre !) en particulier en ce qui concerne la force de travail. Le thème des droits de l’homme a été instrumentalisé par le monde capitaliste, tout d’abord contre les pays socialistes et 1TTRSS en particulier, et contre les pays qui cherchaient à se dégager de l’emprise du monde capitaliste en général. Même si ce qui est certain lesdits pays et systèmes, sortant quasiment du Moyen-Age pour la plupart avaient parfois de sérieux progrès à faire en la matière. Cela n’avait rien à voir avec les systèmes fascistes sanglants, ou des intégristes obscurantistes, ultra
réactionnaires, comme en Arabie Saoudite, soutenus par les capitalistes contre le monde qualifié de communiste. On ira jusqu’à voir le « pays des droits de l’homme », la France, soutenir les Khmers Rouges génocidaires à l’ONU contre un gouvernement modéré et pacifique à Phnom Pen, et participant (modérément il est vrai) au blocus contre un Vietnam qu’elle avait auparavant déjà bien martyrisé162. La conservation de l’ordre capitaliste confère tous les droits. Ainsi, il serait intéressant de savoir ce que pensent aujourd’hui, les inventeurs du concept d'intervention humanitaire, de l’intervention — réellement humanitaire celle là — vietnamienne au Cambodge qui a empêché le génocide complet de ce peuple ?
Le résultat de la conférence de Durban en l’an 2001 montre le peu de cas que le monde capitaliste dominant fait du développement du Tiers Monde. Pourtant, techniquement, l'éradication du sous-développement et la gestion rationnelle des ressources de la planète pour le plus grand bien de tous les humains est aujourd’hui possible, sans doute pour la première fois dans l’histoire des hommes. Il faut ajouter que cette éradication et cette gestion rationnelle sont non seulement possible, mais nécessaire. Rappelons cette apostrophe prémonitoire de Fidel Castro à l’ONU : « Si les grands pays capitalistes ne permettent pas de résoudre le problème du sous-développement, alors leur avenir sera apocalyptique... »
Mais seuls veulent régner en maîtres absolus le CAC 40, le NASDAQ et le Dow Jones. N’oublions pas ce qu’écrit Michael Parenti, un étatsunien, lui-même professeur d’histoire aux USA :
« The American dream is becoming a nightmare for many. A concem for collective betterment, for ending the abuses of free-market plunder, is of the utmost importance. "People before profits "is notjust a slogan, itis our onlyhope163. »
Il en va de la responsabilité du mouvement révolutionnaire à travers le monde, de dégager l’horizon, de faire émerger des possibles, de montrer les voies de la libération, la République Populaire de Chine dirigée par le Parti Communiste Chinois, après des débuts difficiles essaie d’ouvrir une voie originale marquée par son histoire, ses traditions et sa culture multimillénaire. L’un des pièges serait de tomber dans une vision nostalgique. Il faut que le mouvement révolutionnaire s’empare avec esprit offensif des avancées scientifiques et technologiques, de la Cyber-révolution, pour quelles se traduisent en progrès pour les hommes et les femmes. En particulier pour ce qui est du mouvement i évolutionnaire français qui a une longue tradition internationaliste, et qui tente difficilement de dégager une voie originale, ce dont cet ouvrage voudrait témoigner afin d’aider à reconstruire une perspective.
Pour cela, il nous faut remettre le monde à la question pour pouvoir le remettre en question.
« L :'homme est là, en train de jouer son destin (et même, que voulez-vous de plus, le destin de son espèce). Il le joue sans le
connaître, cela va sans dire, mais sans plus même se soucier de l’appréhender de quelque manière, ce qui est grave. Et qui plus est, avec des cartes truquées (il commence à penser que les cartes pouiraient être truquées) (...) Un jour viendra (s’arrachant à ce registre qui, pour la première fois, reste muet sur les jours à venir) où l’homme sortira du lab)rinthe ayant à tâtons retrouvé dans la nuit le fil perdu. " »
André BRETON
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Cyber-révolution & révolution sociale
C’est d’un point de vue marxiste qu’est abordé l’histoire et l’état présent des forces productives de la société, ses formes actuelles paradoxales et dangereuses, la menace de la « cyber-domination », les perspectives aussi ouvertes pour une société débarrassée de l’exploitation de l’homme par l’homme, la marchandisation de toute activité humaine et l’obscurantisme d’un côté et de l’autre la mise en lumière de la véritable mutation humaine possible qui va du « jour où les usines tourneront toutes seules » à « le jour où le travail sera devenu le premier besoin social de l’homme », le communisme.
La dégradation de l’écosystème par le mode de production capitaliste met en lumière la communauté de destin de l’humanité et l’urgente nécessité de l’avènement d’une société communiste dont la cyber-révolution donne les moyens , c’est ce dont il est question ici, et bien plus.
Né en 1946, Ivan Lavallée est professeur d’informatique émérite de l’Université. Il est actuellement directeur éditorial de la revue trimestrielle Progressistes qui traite des rapports entre science, technique et travail. Engagé dans le mouvement progressiste politique et syndical, il s’est toujours préoccupé des rapports entre son activité scientifique et les enjeux sociaux et sociétaux. Ses publications en témoignent, tout particulièrement celle-là.
9782370712431 (EAN) 978-2-37071-243-1 (ISBN)
782370
712431
18 euros
'Parti communiste de l’Union Soviétique.
Parti Socialiste Unifié d’Allemagne, en RDA (République Démocratique Allemande).
Malheureusement disparu aujourd’hui.
On lira avec intérêt à ce propos la livraison du Monde Diplomatique d’octobre 2021, et aussi [Pitron, 2021],
Traduction libre de : https://www.theguardian.com/sustainable-business/ 2017/jul/10/100-fossil-fuel-companies-investors-responsible-71 -global-emis sions-cdp-study-climate-change
Groupe intergouvememental d’experts sur l’évolution du climat
https://re vue-progressistes, org
Cette préface est celle de la version originelle de Cyber-révolution de 2002, la référence qui est faite au chapitre 4 est bien sûr relative à l’édition de 2002, elle n’a plus lieu d’être. Jean Pierre Kahane était mathématicien, membre de l’Académie des Sciences, membre du Parti Communiste.
Jean Pierre Kahane fait référence ici à l’ensemble des travaux de Léon Lavallée et de René Le Guen, mais aussi plus précisément à [Lavallée Léon, 1969], à [Le Guen, 1998] et [Le Guen et al., 1989].
Jean-François Bolzinger est directeur de la revue Progressistes « Sciences, travail, environnement ». Il a été secrétaire général de TUnion des Ingénieurs, Cadres et Techniciens CGT et membre du conseil national du PCF.
Cyber Révolution « Révolution scientifique et technologique, mondialisation et perspective communiste » par Ivan Lavallée et Jean-Pierre Nigoul, 2002, Le Temps des Cerises
Même la social-démocratie, à l’époque où elle avait encore des velléités de s’opposer au libéralisme, fustigeait la construction européenne : Le 18 janvier 1957, prenant position à l’Assemblée nationale contre le traité de Rome, P. Mendès France déclarait : « Le projet du marché commun tel qu ’il nous est présenté est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. [...] L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, elle recourt soit à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique au sens le plus large du mot, nationale et internationale. ».
Les conditions économiques, la façon de produire et d’échanger sont déterminantes dans une civilisation, y compris là où on ne les attend pas : « La modernité a reconstitué le corps humain [...] Les changements intervenus dans la production, le travail, la technologie et les relations de marché ont redéployé, et dans bien des cas, littéralement reconfiguré le corps. [...] la prépondérance des machines de l’usine et du travail salarié ont forcé le corps à s ’adapter à des horaires arbitraires au lieu de le laisser suivre un rythme naturel », et aussi, « Réveille-matin, grands magasins, prêt-à-porter, catalogues, réclames et articles industriels uniformisèrent peu à peu le prosaïque tandis que le recul de l’illettrisme et la presse naissante renforçaient le mouvement général vers la conformité. » dans Du prodige à l’erreur : les monstres de l’antiquité à nos jours dans [Bancel et al., 2004J p. 45 et 46.
Engels, Livre 3 du Capital.
K. Marx, L ’idéologie Allemande.
0n peut gloser sur cette affirmation ainsi énoncée, mais l’idée principale en est ici que ce qui a façonné l’humanité, c’est le travail.
Bien sûr, de ces temps reculés ne nous restent que des fossiles d’outils en pierre, on ne sait pas s’il y en eut en bois ou en os à cette époque, c’est fort probable, mais on n’a pas de trace à deux millions d’années et plus.
Bien que ce ne soit pas ici mon sujet d’étude, s’agissant de 1 utilisation de la force animale, on ne peut passer sous silence l’esclavage et la transportation qui permirent l’accumulation primitive pour le capitalisme ; à ce propos voir [Bihr, 2018],
Voir http://www.ampere.cnrs.fr/histoire/parcours-historique/mythes/pile-bagdad
Je n’évoque pas là la machine de Pascal qui fonctionne en système décimal et qui n’a pas de caractère universel, seulement, et ce n’est pas négligeable, un caractère opérationnel pour permettre à son père, fermier général, de faire ses comptes. Cette machine, conçue à une époque où la mécanique ne permettait pas d’assurer le fonctionnement des engrenages, ne put réellement fonctionner ; on peut en voir un exemplaire au musée du CNAM (Conservatoire National des Arts et des Métiers) à Paris.
Souvent confondue avec « l’ordinateur mécanique » dit aussi — Analytical engine - machine analytique.
Augusta Ada King, comtesse de Lovelace, mathématicienne et fille de Lord Byron.
0n est en droit de se poser la question de savoir si cette faculté d’adaptation et donc d’apprentissage, n’est pas à la base de ce que nous appelons intelligence, en particulier dans le syntagme intelligence artificielle.
Publiée par Diderot et D’Alembert en 28 volumes dont 11 de planches, entre 1751 et 1772, elle annonce, à son corps défendant, la Révolution.
Ainsi que des besoins sociaux qui s’expriment, formulés à partir du système technique et social existant.
N’oublions pas que la fameuse démocratie grecque concerne une population d’environ 20.000 individus servis et nourris par 200.000 esclaves !
Fin du premier siècle de notre ère, début du deuxième.
3'À part une utilisation anecdotique dans la scierie de Hiérapolis (IIIe siècle) ce système n’est pas connu en occident avant la Renaissance.
C’est ce qui fonde la théorie dite du matérialisme historique.
Traduction francophone ed. Cassini 2019.
J’entends ici immatérielle comme non préhensible par les organes physiques, c’est bien sûr matériel au sens philosophique, la pensée étant une forme du mouvement de la matière et impossible sans elle.
0n lira toutefois avec bonheur la remarquable introduction de Francis Cohen dans [Cohen, 1983] page 37 et suivantes.
Le problème est d’ailleurs posé en ces termes tant par Trotsky que par Lénine. Trotsky y répond en proposant de porter la guerre chez l’ennemi (cf. Discours au 1er congrès de la 3eme internationale, mars 1919), Lénine en proposant la construction du socialisme dans un seul pays.
[Lénine, 1967] La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer 10 -14 Septembre 1917, Tome. 25. ’
Dans les six derniers mois de l’année 1929, le nombre d’exploitations mises en kolkhoses est multipliée par 5 et couvre 20 % de la Russie.
Il ne faut jamais perdre de vue que les USA se sont constitués sur un génocide.
https://hal.archives-ouvertes.fr/cel-01493589/document
D’ailleurs il est incompréhensible qu’on appelle cet épisode «l’affaire Lyssenko » plutôt que l’affaire Vavilov, il est quand même mort en prison Vavilov. Et le plus grand centre de recherches en génétique en URSS hier, en Russie aujourd’hui est l’Institut Vavilov.
Nous ne rejetons toutefois pas ce concept en sciences sociales, mais c’est un autre débat.
C’est en fait le développement de forces productives propres au capitalisme, qui lui ont permis de dépasser la société féodale. Le socialisme, le communisme pour dépasser le capitalisme doivent être capables de développer un nouveau système technique basé sur des forces productives nouvelles. C’est le sujet du présent ouvrage de montrer en quoi la Cyber-révolution marque précisément l’émergence de ce nouveau système technique et de ces forces productives incompatibles in fine avec le mode de production et d’échanges capitaliste.
^J. Staline : Discours à la première conférence des cadres de l’industrie de l’URSS, 4 février 1931.
Lire à ce propos l’article Hight speed soviet computers dans la revue US Computers de 1988.
voir https: //auroraprize.com/en/armenia/detail/8213/boris-babayan/%252 C-pionnier-des-superordinateurs-%20
Department Of Defense.
National Science Foundation.
Voir aussi http ://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/30138
C’est d’ailleurs là un défi historique qui attend TOUTE expérience socialiste. La démocratie bourgeoise est certes bourgeoise, mais elle contient de l’universel sur les libertés individuelles entre autres et d’expression, voire de contestation, il s’agit alors de faire émerger une démocratie socialiste capable d’intégrer la dimension universelle de la démocratie bourgeoise.
Du reste, la productivité du travail en URSS n’a jamais dépassé le quart de celle des USA, elle-même déjà bien inférieure à celle de la France.
Chaque français a dans sa poche une carte du Parti Communiste, la carte de sécurité sociale !
La découverte en 1928 des antibiotiques et leur généralisation au lendemain de la seconde guerre mondiale sont aussi des inventions qui ont un impact non négligeable sur la société, de même que la mise au point au moment où j’écris ces lignes, d’un vaccin à ARN messager contre le coronavirus.
Polytechnicien, fils du conventionnel Lazare Carnot.
Rappelons qu’en 1938, dans le Programme de transition [Trotsky, 1968], Trotsky écrit : « La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de l’humanité ont cessé de croître... »
Dans l’empire des tsars, la révolution de 1905 ayant échoué, la bourgeoisie a du mal à se hisser au pouvoir. Les forces productives sont celles d’un pays agricole très arriéré et le paysan guère plus qu’une bête de somme qui ne mange guère que des choux, n’ayant accès à une viande que les jours de grande fête, vivant au rythme du soleil. La révolution industrielle est tout juste vagissante dans les usines Poutilov, et le capital allemand jette son dévolu sur la Russie espérant trouver là de nouveaux débouchés et des sources de matières premières. C’est dans cet entre-deux d’une guerre perdue par un Tsar démonétisé depuis ses concessions libérales de 1905 et l’incapacité de la bourgeoisie Russe de prendre et consolider le pouvoir, que les bolcheviks mènent la révolution et prennent le pouvoir alors que comme l’écrit Kautsky [Kautsky, 1908] « les conditions objectives ne sont pas réunies pour le socialisme » ce à quoi Lénine répond « les conditions subjectives deviennent objectives, nous pouvons prendre le pouvoir, prenons le », d’où après, la NEP.
”En 1941, lors de l’attaque nazie sur l’URSS, les officiers et sous-officiers de l’armée rouge savent à peine lire et écrire et ne savent pas lire une carte d’état-major [Lopez et Otkhmezuri, 2019], c’est une armée de paysans analphabètes pour beaucoup, illettrés pour la plupart, seuls les officiers supérieurs ont un haut niveau d’instruction, mais la chaîne de commandement est peu efficace dans la première partie de la guerre. C’est sous le feu et au prix fort, que va se faire la formation de l’armée soviétique.
voir http://revue-progressistes.org/2014/08/03/progressistes-n5-iuillet-aout-septembre/ et aussi http://www.ivan2Q15.eom/2015/l 1/elle-sourd-maintenant-depuis-des-decennies-dans-les-entrailles-de-la-societe-en-fait-depuis-tres-longtemps-depuis-que-les-hommes-ont
Tout est nombre disait déjà Pythagore. N’oublions pas non plus Leibnitz qui entendait représenter le monde avec deux symboles seulement et qui est l’inventeur du système binaire. De même les religions se réfèrent souvent aux nombres (les sept péchés capitaux, la trinité...) ou encore l’ésotérisme (numérologie...). Une mise au point ici s’impose, lorsqu’on évoque la révolution numérique ou encore la révolution digitale, ce n’est pas de n’importe quels nombres qu’il s’agit, c’est de nombres entiers. Il s’agit alors de travailler sur un ensemble discret, concept ici opposé à continu, c’est aussi ce qui conduit implicitement Leibniz à proposer le calcul binaire pour les machines à calculer.
“Premier théorème de Godel : Dans n’importe quelle théorie récursivement axiomatisable, cohérente et capable de « formaliser l’arithmétique », on peut construire un énoncé arithmétique qui ne peut être ni démontré ni réfuté dans cette théorie.
On traduira computer science en inventant un mot plus adapté au monde latin : Informatique (P. Dreyfus 1956) mais, malheureusement on traduira paresseusement artificial intelligence par intelligence artificielle créant ainsi un contre sens lourd de sens et idéologiquement pervers.
Voir à ce propos : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00814812v2 ou encore : https://arxiv.org/abs/1304.5604
-
Comme plus tard avec le minitel et internet, la puissance de frappe économique des USA et la veulerie politique de certains dirigeants français auront raison du transistron bien qu’il fut considéré comme plus résistant et plus stable que le transistor.
Pour prendre une image — avec toutes les limites que cela comporte — c’est la différence qui existe entre une motte de beurre (continu) et un sac de billes (discret) ou un paquet de lentilles pour rester dans le domaine alimentaire.
1894-1964. Il semble aussi qu’en Allemagne, dans les années 1940, Hermann Schmidt, physicien, ait aussi élaboré une théorie du contrôle des systèmes.
Ce type de situation donnera naissance à la Théorie mathématique des jeux.
F. Engels Anti Duhring [Engels, 1876],
Pour Léon Lavallée [Lavallée Léon, 1969], la différence entre prévision et prospective est fondamentale. La prévision c’est une extrapolation de ce qui existe ou a existé. La prospective, elle, consiste à mettre en évidence les lois du mouvement du ou des phénomènes étudiés et à en déduire des scénarios possibles.
On a fait le - mauvais - procès au concept de RST d’être essentiellement technocratique, ce n’est pas le cas de Bernai, ni même celui de la littérature de RDA, ni de la revue soviétique Sciences sociales aujourd’hui, et encore moins du travail de Richta. Par contre, il est clair, comme nous le faisons ici que ces études cherchaient à comprendre et maîtriser les rapports entre les avancées scientifiques et techniques et la société.
Ainsi en 1939 Kantorovitch [Kantorovitch, 1939] et Tolstoï développent la méthode de résolution des systèmes d’inéquations linéaires, problème critique en planification, posé par le mathématicien français Joseph Fourier au XIXe siècle. La méthode de Kantorovitch dite « de frontière » qui sera reprise en 1956 par Dantzig et appelée Algorithme du simplexe qui est l’un des algorithmes les plus utilisés en économie. Par la suite, en particulier, la bataille
de Koursk verra la mobilisation des mathématiciens et particulièrement de Kantorovitch pour résoudre le problème des transports pour alimenter les unités au combat, de même pour la « route de la vie » sur le lac Lagoda durant le siège de Léningrad.
Institut National de Recherche en Informatique et Automatique.
PARADIS pour PARAllèle et Distribué.
Co-auteur de la première édition de Cyber Révolution [Lavallée et Nigoul,
L’auteur du présent ouvrage a lui-même réécrit complètement le système d’exploitation d’un Solar 16-75 originellement destiné aux automatismes pour en faire une machine dite de gestion.
Institut National de Recherche Agronomique.
Ce sont très majoritairement, mais pas exclusivement, les enfants de la bourgeoisie qui peuvent faire des études universitaires.
Conseil d’Assistance Économique Mutuelle. Plus connu sous son acronyme anglophone COMECOM.
Bizarrement, on ne la trouve pas sur internet.
https://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/l/41147/l/IE_deux_siecles. travail.pdf
Cité par [Todd, 2020] p.56.
I1 faut prendre ici les termes de travailleur, capitaliste et consommateur au sens global, générique.
Les « » viennent du fait que la finance ne saurait être une industrie, seul le travail vivant produit de la valeur !
Voici ce qu’en dit Wikipédia : Le Minitel (pour « Médium interactif par numérisation d’information téléphonique ») est un type de terminal informatique destiné à la connexion au service français de Vidéotex baptisé Télétel, commercialement exploité en France entre 1980 et 2012. Donnant accès à des services variés préfigurant ceux du futur Internet, et utilisant pour cela le réseau français Transpac qui lui-même préfigurait la future infrastructure de transmission d’Internet, il a hissé la France au premier plan de la télématique mondiale grâce au premier service au monde de fourniture gratuite ou payante d’informations télématiques. Il sera un succès considérable et restera longtemps populaire.
C’est Lionel Jospin qui prendra la décision de faire passer le réseau français minitel sous les fourches caudines US, alors que nous étions en capacité de faire face. En effet, à l’IRIA (Aujourd’hui INRIA Institut National de Recherche en Informatique et Automatique), à travers le projet Cyclades (1972-77). Sous la direction de Louis Pouzin la communication par paquets sur réseaux avait été mise au point qui allait devenir la norme d’ARPANET puis d’INTERNET. De plus la surface internationale acquise à ce moment-là par le minitel eut permis à la France d’être un acteur majeur de l’internet et d’éviter que le réseau passe sous hégémonie US.
« Supposons qu’un verger, planté de pommiers, jouxte le terrain d’un apiculteur. Les abeilles de ce fermier vont butiner les fleurs du verger voisin. Le miel qu’elles produisent est de bonne qualité et se vend cher. Les fleurs des pommiers constituent, pour le propriétaire du verger, un output qu’il cède gratuitement à son voisin puisqu’il ne peut pas faire payer les abeilles (on dit que l’usage des fleurs est inappropriable). Pour l’apiculteur, les fleurs constituent un input gratuit : l’apiculteur bénéficie gratuitement du sous-produit de la culture des pommiers qu’est le pollen car il est dans l’impossibilité d’identifier les fleurs que les abeilles ont butinées et dans l’impossibilité de leur indiquer quelles fleurs butiner ; il ne peut donc pas payer le propriétaire du verger» James E. Meade, Prix Nobel d’économie 1970 [Meade, 1952], Et aussi « Tout coûte mais tout ne se paie pas » voir [Echaudemaison, 1993].
J’écris ceci à l’été 2021.
Le nombre de milliardaires recensés par Forbes dans son classement annuel des hommes les plus riches du monde est passé de 2.208 en 2018 à 2.153 en 2019. Un nombre record de 994 individus ont vu leur fortune s’amenuiser. Trump, ex-président des Etats-Unis fait d’ailleurs partie des malchanceux. Cette dernière remarque illustrant s’il en est besoin ce phénomène de concentration.
Attention, il s’agit là de la notion commune d’information, mot polysémique ; pas de l’information au sens de Shannon ou de Kolmogorov. De même, le mot calcul ici, n’a pas le sens que lui donne Turing qui montre que toute activité intellectuelle peut-être assimilée à un calcul.
voir Cyber révolution opuscule déjà cité [Lavallée et Nigoul, 2002].
Jean Claude Delaunay in [Delaunay, 2012] La Révolution de notre Temps, Notes de la Fondation Gabriel Péri, Janvier 2012, p. 36-37.
L’accord entre Microsoft et l’Éducation Nationale en France est, de fait, un accord léonin.
https://revue-progressistes.org/2014/08/03/progressistes-n5-juillet-aout-septembre/ et https://revue-progressistes.org/2016/06/27/progressistes-nl2/ et aussi https://revue-progressistes.org/2016/ 06/27/progressistes-n23
Lire aussi : https://revue-progressistes.org/2021/07/30/progressistes-n32/ à la p.6 « Changements dans le travail, prendre l’offensive »
Depuis Bretton woods, c’est aussi le cas du dollar qui est la monnaie de référence mondiale qui n’a plus de contrepartie Or, ce qui ne peut que conduire à terme à une crise majeure.
. La République Populaire de Chine l’a bien compris qui « reprend la main » sur certaines de ses multinationales.
. Le 16 février 1966, trois mille ouvrières de la Fabrique nationale d’armes de guerre à Herstal arrêtent le travail. Elles réclament une augmentation horaire de 5 francs et l’application du principe « À travail égal, salaire égal ». Cette grève de femmes durera douze semaines atteignant ainsi une ampleur exceptionnelle dans les annales ouvrières.
. Attention là, il y a un piège de l’idéologie dominante qui tend, à l’instar de Weber de voir des classes partout où il y a domination. Pour ce qui nous concerne, le concept de classe, et donc de lutte des classes, est défini par le rapport d’exploitation, seul critère réellement objectif. Ce rapport est bien évidemment un rapport de domination, mais tout rapport de domination n’induit pas un rapport de classe.
. « (...) Il n’y a pas de route royale pour la science, et ceux-là seulement ont la chance d’arriver à ses sommets lumineux qui ne craignent pas de se fatiguer à gravir ses sentiers escarpés. » Lettre de Karl Marx à son éditeur Maurice Lachâtre, 1872.
. White Anglo Saxon Protestants.
. Par un rapide calcul, nous avions établi en 2002, Jean Pierre Nigoul et moi, que la consommation théorique minimale d’une voiture d’une tonne à moteur thermique lancée à 90 km/h sur terrain plat était environ 3,5//100km de carburant. J’utilise aujourd’hui (2021) une voiture diesel de 1200 kg qui consomme 4,8 //100 contre 9 / pour un véhicule équivalent il y a dix ans !
. Les significations des performances sont les suivantes: Méga= 106 , Giga = 109 , Tera = 1012 , Peta = 1015 , Exa=1018 , Zetta = 1021 , Yota= 1024 Quand on écrit Mégaflop ou Teraflop... «flop» signifie
opérations en virgule flottante et comme ces opérations se font sur 64 bits et sur deux nombres à la fois, soit 128 bits, un ordinateur de puissance Petaflop manipule 128 x 1015 bits par seconde. Toutefois, ces performances annoncées sont des limites que le constructeur vous assure ne pas pouvoir dépasser. C’est un peu, pour donner une image, comme pour une voiture, lorsque le compteur de vitesse est marqué jusqu’à 220 km/h c’est une vitesse qu’on ne peut atteindre que quelques secondes, en descente avec vent arrière...
. L’argutie avancée par Pfizer pour justifier le prix est le prix que coûterait le fait de ne pas avoir de vaccin...
. Ceci dit depuis le 15 août 1971, et surtout du 8 janvier 1976, les accords de la Jamaïque ; c’est aussi le cas du dollar.
McAfee est un informaticien anglais et fondateur de la société qui distribue le logiciel anti-virus éponyme dont il est le principal créateur. Il est également le co-auteur de [Brynjolfsson et McAfee, 2015],
Sur les nombres calculables avec une application au problème de décision.
. Une des difficultés est précisément de définir où commence le vivant, qu’est-ce qui est vivant ?
m. Il serait plus juste de dire que c’est la technique du calculateur, ce dernier alors étant humain car avant que les ordinateurs apparaissent, les calculs un peu compliqués étaient effectués par des humains, des calculateurs ! m. IBM France lance commercialement « l’ordinateur IBM 650 », en 1955 ; le mot, suggéré par le latiniste Jacques Perret Professeur à la Sorbonne, est un succès qui ne se dément pas.
. On utilisait aussi les termes américains «Electronic Data Processing System » EDPS pour les machines qui n’étaient pas spécifiquement dédiées au calcul.
I1 en est ainsi par exemple du jeu d’échecs. Le premier programme qui a joué aux échecs en gagnant -deepblue- était composé de deux ensembles :
1. une base de données contenant toutes les parties gagnantes de championnat depuis des dizaines d’années ;
2. l’autre ensemble est un algorithme (alpha/beta, ou SSS* ou Scout) qui parcourt un arbre de jeu et évalue à chaque fois une situation de jeu à l’aide d’une fonction d’évaluation calculée à partir de la base de données et des espoirs qu’elle suscite.
Le résultat de cette évaluation permet au programme de dire s’il est intéressant de continuer à explorer cette branche de l’arbre de jeu ou non. La fonction d’évaluation est donnée par l’homme, par l’expertise des joueurs. C’est la puissance énumérative de la machine qui fait la différence ; c’est tout.
Toujours l’anthropomorphisme anglo-saxon !
U8Institut de Relations Internationales et Stratégiques.
Voir: https://www.nitrd.gov/pitac/. Traduction: Le Président de
Information Technology Advisory Committee (PITAC) a été autorisé par le Congrès en vertu du High-Performance Computing Act de 1991 (P. L. 102194) et du Next Génération Internet Act de 1998 (P. L. 105-305) en tant que comité consultatif fédéral. Le Comité fournit au Président, au Congrès et aux agences fédérales impliquées dans la recherche et le développement en matière de réseaux et de technologies de l’information des conseils d’experts indépendants sur Le maintien de la prééminence des États-Unis dans les technologies de l’information avancées, y compris les éléments critiques de l’infrastructure nationale des technologies de l’information tels que le calcul à haute performance, les réseaux à grande échelle, la cybersécurité et la conception de logiciels et de systèmes à haute sécurité. Dans le cadre de cette évaluation, le PITAC examine le programme fédéral de recherche et développement en matière de réseaux et de technologies de l’information (NITRD). Composé d’éminents spécialistes des technologies de l’information issus de l’industrie et du monde universitaire, le comité contribue à orienter les efforts de l’administration pour accélérer le développement et l’adoption des technologies de l’information indispensables à la prospérité américaine au XXIe siècle.
Nous utilisons ce syntagme puisque passé dans le langage courant mais il est particulièrement inadapté comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent ; voir 8.4 ainsi que 8.5. Intelligence Artificielle est la -mauvaise-traduction de Artificial Intelligence. Nul n’a jamais traduit Intelligence Service par Service intelligent. Par la suite, nous noterons I.A.
Voir https ://lexpansion.lexpress.ff/actualite-economique/la-spectaculaire renaissance-de-l-agriculture-russe2 148012.html
En 2015, les entreprises Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, pesaient 1 675 milliards $ contre 1 131 milliards pour toutes les entreprises françaises cotées au CAC 40.
À l’heure où j’écris ces lignes, on apprend que le gouvernement chinois interdit toutes les transactions internationales en crypto-monnaies !
https ://www.galeriecharlot.com/fr/50/Eduardo-Kac
D’ailleurs le gouvernement chinois a pris conscience du problème et y a mis fin !
Et pour le capital, c’est une main-d’œuvre gratuite !
'^Contrairement à la tradition des Lumières, la bourgeoisie française a fait le choix de la finance, laissant en déshérence la recherche et l’enseignement supérieur lorsqu’ils ne sont pas directement mis au service de la finance. C’est ainsi que la France, alors qu’elle a les chercheurs capables, s’est trouvée dans l’obligation d’acheter à prix spéculatif à des firmes US, des vaccins contre le corona viras, n’étant plus capable de développer dans ses laboratoires un vaccin ni de le produire en grande quantité !
NSF : National Science Fundation.
DOD : Department Of Defense.
http://www.20minutes.ff/sciences/835558-exploration-cerveau-lire-pense
es-peut-etre-bientot
C’est ce qui est noté dans le rapport du GIEC qui, maniant la litote, montre la communauté de destin de l’humanité et son interdépendance, et que les problèmes ne peuvent être résolus que par une planification à l’échelle mondiale, en d’autres termes et autres temps, on aurait parlé de communisme.
Une telle tempête s’est produite en 1859, Internet n’existait pas, mais des fils télégraphiques avaient alors pris feu. Voir aussi https://www.midilibre.fr/ 2021109113/black-out-dintemet-une-tempete-solaire-pourrait-provoquer-le-chaos-pendant-plusieurs-semaines-9786798.php
voir : http://fir.moe.gov.cn/docuinents/reports/202102/t20210210513215.html
Cette accumulation primitive s’est faite à partir de spoliations, contraintes, guerres, massacres, génocides et rapines, voir à ce propos [Bihr, 2018].
E. Macron étendra lui le concept au niveau de la start-up nation.
Guy Mollet, 2ème discours au congrès du Parti Socialiste SFIO de 1946.
Florian Gulli, Cause Commune n°23, mai/juin 2021, p.l 11.
La possession est en elle-même une aliénation puisqu’elle rend le propriétaire dépendant.
Qu’on pense ; à la proposition de Constitution européenne, heureusement rejetée en 2005 en tant que telle mais qui transformée en Traité de Lisbonne en 2007, entra en vigueur en 2009 ; à l’unification en France, à l’anglo-saxonne de la durée des mandats présidentiel et législatif, avec une élection législative qui suit l’élection présidentielle, de façon à fausser la démocratie en donnant au Président de la République une majorité quasi automatique à l’Assemblée nationale ; aux pouvoirs accordés aux régions sur fond de désengagement de l’État et de privatisations - appelées pudiquement « ouverture du capital » des services publics !
voir : https ://www.huf fingtonpost.fr/entry/mark-zuckerberg-se-defend-apres-le-requisitoire-de-frances-haugenfr615d44dle4b08d08062ba762
voir [Ferrer, \992\ Autodétermination, valor y planification mercantil.
C’était le discours de Serge Tchuruk PDG d’ALCATEL rachetée depuis par Nokia.
La parade trouvée par nos gouvernements, c’est de dénaturer le baccalauréat.
Ce n’est pas par hasard que le club Bilderberg a adoubé Emmanuel Macron, chargé de mission de la banque Rothschild pour être président de la République française.
Mais un outil seulement, il y faut un contexte et des choix politiques.
Et à être trop honnête et chef d’état africain, on finit comme Thomas Sankara !
Sans compter que les USA et plus généralement les pays occidentaux hors l’Allemagne n’ont que peu souffert de la guerre par rapport à l’URSS. Là où l’URSS qui sortait tout juste d’un quasi féodalisme a perdu plus de 14 % de sa population, soit plus de 20 millions d’êtres humains, les USA n’ont perdu, toutes pertes comprises sur tous les fronts que 0, 41 % de la population, soit, annoncés par Joe Biden lui-même en son discours d’investiture le 20 janvier 2021 ; au plus 400.000 âmes.
0n évoque là le mode de production et d’échange, pas la superstructure institutionnelle. Il peut rester des symboles monarchiques comme en Angleterre ou en Norvège, mais ce ne sont plus que des symboles, le système monarchique, le mode de production associé, lui n’existe plus.
Sur ces aspects et les enjeux qui y sont liés, on lira avec bonheur [Bellal, 2016],
Que reprend [Lavallée Léon, 1969] dans Pour une prospective marxiste déjà cité.
. Théorème : Il n’existe pas de nombres entiers strictement positifs x, y et z tels que : x" + yn = z" avec n e N et n > 2 c’est-à-dire dès que n est un entier strictement supérieur à 2. Théorème dont on a la trace dans les notes de Fermât sur un texte de 1621. Après avoir été l’objet de recherches acharnées pendant près de 350 ans, le théorème est finalement démontré par Andrew Wiles, au bout de huit ans de recherches intenses. La démonstration, fut publiée en 1995.
Nous devons savoir, nous saurons ! C’est l’épitaphe sur la tombe du mathématicien David Hilbert
Ceci dit, c’est un mathématicien français qui a apporté des éléments décisifs en la matière, Claude Berge [Berge, 1958, Berge, 1969].
Voir Courrier International, n°56, du 26 juillet au 1 er août 2001.
Et du risque associé de l’échappement d’un virus susceptible de provoquer une pandémie...
Fondé par l’abbé Grégoire le 19 vendémiaire an III (10 octobre 1794) pour « perfectionner l’industrie nationale », il est avec l’École polytechnique et l’École normale supérieure, l’ime des trois créations de la Révolution française ayant pour but de promouvoir les sciences et les techniques. La bourgeoisie triomphante n’avait pas besoin de lire Marx pour savoir qu’elle assoirait son pouvoir en développant ses forces productives !
À ce propos, il ne s’agit plus d’induire des idées dans le cerveau d’individus, mais bel et bien de modifier leur façon de penser afin de préserver l’ordre existant, celui du Capital :
https://ffancais.rt.com/intemational/91763-guerre-cognitive-etre-humain-
son-cerveau-nouveaux-champs-bataille-otan
Dmitry Itskov, milliardaire russe, a investi dans « 2045 initiative », un projet de prolongement de la vie par le téléchargement de l’esprit. Larry Page, cofondateur de Google, a mis 750 millions US $ dans le projet Calico. Max Moore a créé la Alcor Life Extension Foundation, entreprise qui cryogénise des corps humains et des animaux (149 « patients » en 2017).
En cet été 2021 c’est bien ce sur quoi le GIEC (Groupe d’experts intergouvememental sur l’évolution du climat) attire l’attention !
Au moment où j’écris ces lignes, un livre « Péril » est édité aux USA contant comment le chef d’État Major US, Mark Milley a dû prendre des mesures pour éviter que Trump ne déclenche l’apocalypse nucléaire sur la Chine.
De ce point de vue, la recherche sur l’utilisation du Thorium, abondant et dont les déchets n’ont que quelques décennies de vie doit être sérieusement envisagée, ainsi que la poursuite de la recherche en fusion nucléaire, même si
on pense qu’il n’y aura pas de percée significative avant une cinquantaine d’années.
En ce mois d’octobre 2021, la firme Citroën met en circulation une voiture de taille moyenne (4-5 places) de type C4 fonctionnant à l’électricité et bénéficiant des dernières avancées technologiques en la matière. L’autonomie annoncée est de 300 km (avec un conducteur, sur du plat, sans mette en marche la climatisation ni les phares !) et le poids de la batterie est de 250 kg et il n’y a quasiment aucun espoir de diviser cette masse par 10 alors qu’une C4 à moteur thermique consomme environ 15 1 (soit moins de 15kg) de carburant pour ces mêmes 300 km.
Au moment où ces lignes sont écrites, on annonce la possibilité, en France, de pics de chaleur de 50° Celsius.
En effet le logiciel en question, le code, se trouve chez l’éditeur, ce qui est fourni à l’utilisateur, c’est un exécutable en binaire !
Ce 11 septembre 2001 ne saurait toutefois faire oublier le 11 septembre 1973 où un coup d’État fasciste effectué sous les auspices de la CIA a conduit à la mort du Président de la République du Chili, Salvador Allende et à un régime fasciste qui a fait des milliers de morts dans la population, mais les médias en ont moins fait à ce propos !
La Chine populaire, elle, a fait sortir 700 millions de ses ressortissants de la pauvreté absolue !
« Les historiens retiendront qu’entre novembre 2000 et février 2002, la démocratie, telle qu ’envisagée par les créateurs de la Déclaration d’indépendance et de la Constitution des États-Unis, a effectivement pris fin. Avec fia mort de la démocratie, l’État théocratique américain fasciste [« l’État »] est né. Cette nouvelle ère fasciste a été conçue et mise en œuvre principalement par des organisations et des individus républicains qui ont financé, soutenu et finalement placé George Bush II au pouvoir. » (Traduction Ivan Lavallée)
N’oublions pas toutefois l’esclavage et la traite en la matière.
https ://transfert.net/Fils-de-puce
Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme.
0u maintenant en prison le plus vieux prisonnier politique d’Europe, Georges Ibrahim Abdallah alors qu’il est libérable depuis plus de 30 ans.
Le rêve américain est en train de devenir un cauchemar pour beaucoup. Le souci du mieux-être collectif, de la fin des abus du pillage du marché libre, est de la plus haute importance. « Les gens avant les profits » n’est pas seulement un slogan, c’est notre seul espoir, https://www.autistici.org/poderobrero/ articulos/ capitalism-is-a-genocide »